Publié chez Z4 dans la collection « Les quatre saisons » créée par Pierre Lepère dans un format à l'italienne orné d'un médaillon signé
Jacques Cauda, le livre est étrange, pour ne pas dire déroutant. Constituée d'une seule coulée de vers libres, sans ponctuation ni coupures, la première partie évoque feu Dominique Laffin (1952-1985), frêle figure mise en scène par Doillon, Miller ou Ferreri, emportée par une crise cardiaque à trente-trois ans seulement. Vibrant et singulier, l'hommage n'a rien d'une note biographique. Jamais nommée, la comédienne y est décrite de façon allégorique, telle une figure éteinte, vouée à une disparition rapide (p. 49). Une histoire d'amour totalement platonique, impossible, se dessine dès lors en filigrane, le narrateur n'hésitant pas à s'adresser directement à la jeune défunte, alternant le « tu » et le « il ». le souvenir cogne (p. 36), et une insondable, profonde tristesse qui parle debout (p. 56) traverse ainsi ce long morceau lyrique, puisque la trace ne se retire pas de notre périple (p. 41). Poème du deuil, Des ailes constitue également, d'une certaine manière, un texte mémoriel, un enchaînement d'images fortes, parfois mystérieuses, telle une suite de réminiscences tantôt réelles, tantôt fantasmées, surgies par bribes. Déclarant préférer/la merveille du passé (p. 67), P. Maltaverne se complaît délibérément dans la nostalgie, s'abîmant dans le souvenir fictif d'une impossible rencontre. Reste, pour se consoler, la puissance du verbe, lente et douloureuse mélopée, maelstrom de métaphores souvent belles, toujours inattendues. On songe parfois à
Nerval, comme si Dominique Laffin remplaçait finalement
Aurélia, incarnant une figure féminine idéale, et idéalisée.
Rien ne semble a priori relier Des ailes au Nocturne des statues, soit à la deuxième partie de l'ouvrage. La chose est d'ailleurs précisée dans le quatrième de couverture : le trait d'union entre Des ailes et Nocturne des statues est fortuit. Si nous nous en tenons à la définition du Petit Robert, le nocturne peut à la fois désigner un chant de l'office catholique, une sérénade pour instruments à vent, et enfin un morceau de piano de forme libre, à caractère mélancolique. Nous nous en tiendrons volontiers à cette troisième définition. Comme Des ailes, les énigmatiques vers du second mouvement semblent marqués par un spleen profond, évoquant la désincarnation, de désenchantement du monde. Objets figés, immobiles, silencieux, les statues ne répondent pas à l'angoisse du poète : Il y a de la transparence en dehors des miroirs/Le noir comme le marron sont deux couleurs sombres/Tenant plus chaud quand il fait froid au bout de la forêt (p. 112). Mais si les métaphores semblent surgir de manière spontanée, là encore, la construction n'est nullement libre, pour reprendre les termes du dictionnaire, puisque chaque poème est constitué de deux quatrains, suivis d'un quintil. Là tient peut-être précisément la cohérence d'un texte quelque peu hermétique, mallarméen, ou plutôt maltavernien, tant l'approche est singulière, atypique.
(Critique d'
Etienne Ruhaud, parue dans la revue "Diérèse").
Lien :
https://pagepaysage.wordpres..