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Une petite semaine que j'ai terminé ce livre et l'émotion m'étreint encore.

Tout d'abord, je tiens à remercier ma Sandrinette (HundredDreams) de m'avoir accompagnée pour ce voyage dans le passé.
Celui de l'auteur, mais aussi un peu le mien.

À la fin de L'oiseau bleu d'Erzeroum, nous avions laissé Araxie, Assina (renommée Haïganouch), Agop et Haïgaz à Meudon, rue du Hêtre Pourpre.
Ils ont constitué une communauté, parmi d'autres Arméniens.

Mais voilà qu'Agop cède aux appels des sirènes, du moins de Staline, du PCF et des organisations arméniennes de France.

"Tous les Arméniens du monde sont les bienvenus en URSS. Une République d'Arménie les y attend, fière et indépendante, pour reconstuire leur pays et leur histoire."

Vous je sais pas, mais moi j'ai tiqué direct.
Mais bon, Agop décide d'y aller malgré les objections de sa famille : sa femme, ses amis, ses enfants...
En 1947, il embarque à Marseille...

Le livre est constitué de plusieurs parties, et nous allons donc suivre simultanément : Agop en URSS... Haïganouch (la soeur d'Araxie. Les deux femmes ne savent pas ce qu'est devenue l'autre), et bien entendu, le reste de la famille restée en France.

Pour Agop, je ne vais pas spoiler, mais nul besoin de moi pour imaginer ce qu'il trouve en Arménie Soviétique.
Et encore, mon imagination n'aurait pas suffi pour décrire le régime de Staline et ce qu'il se passe dans cette Arménie Indépendante. Je mets une majuscule, c'est un mot-clé.

Il y fait cependant la rencontre de Zazou, orphelin qui devient son ami et qui lui rappelle le fils qu'il a laissé en France, bien qu'il soit plus âgé.

Pour Haïganouch, nous la retrouvons mariée, avec un fils. L'essentiel du reste de son histoire se passe en Sibérie.

Concernant la famille, ils continuent à vivre en attendant le retour de Agop.
Araxie est une excellente cuisinière, et m'a rappelé ma chère tante Anna, qui préparait tous ces plats, sans parler du fameux turc, qui permet de lire l'avenir dans le marc.

La chaleur et l'affection qui lie tous ces gens m'a souvent fait monter les larmes aux yeux.
J'ai connu tout ça quand j'étais gamine et puis une fois plus grande, je suis bêtement passée à autre chose.

On s'attache aux personnages, même à certains de ceux qui sont de l'autre côté de la barrière, si l'on peut dire.
La plume de Ian Manook est magnifique.

C'est un excellent récit qui m'a plus d'une fois fait monter des larmes, de joie ou de tristesse.

Cette lecture ne me laisse pas indemne, tout comme celle de L'oiseau bleu d'Erzeroum.

Un seul chapitre m'a semblé long... la politique et moi... mais il était loin d'être inintéressant.
Pardonnez-moi ce retour très édulcoré. Les mots me manquent et j'ai fini par coucher ceux-ci parce que je n'aurai pas mieux.

Je conseille vivement ces deux tomes à tous mes amis, et autres lecteurs qui tomberaient sur ma modeste critique.
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J'ai retrouvé Ian Manook avec grand plaisir dans la suite de L'oiseau bleu d'Erzeroum : le chant d'Haïganouch, un hymne familial au peuple arménien ainsi qu'une mise en lumière des immenses souffrances qui lui ont été imposées au cours du XXe siècle.
L'ensemble de ce deuxième opus s'étale de 1947 à 1960.
Rue du Hêtre-Pourpre, à Meudon, Agop et Haïgaz ne sont pas d'accord. le premier est prêt à partir pour l'URSS car il croit aux promesses de Staline assurant que les Arméniens qui rentreront à Erevan seront bien reçus et pourront poursuivre leur vie au pays. le second tente de décourager son ami mais n'y parvient pas.
Malgré toutes les réticences de sa famille, Agop, personnage fougueux et déterminé, embarque, à 46 ans, sur le paquebot Rossia, un bateau prévu pour trois cent cinquante passagers et sur lequel on entasse trois mille cinq cents personnes qui vont donc vite déchanter malgré les assurances du Parti Communiste Français.
Reviennent alors les principaux protagonistes de L'oiseau bleu d'Erzeroum, plus d'autres, bien sûr, ce qui fait que j'ai un peu de mal à m'y retrouver. 1947 : pendant qu'Agop et tous les Arméniens de France voient leurs bagages pillés, rencontrent d'autres Arméniens venus d'Égypte ou du Liban, tous logés à la même enseigne, c'est en Sibérie que Ian Manook m'entraîne, à Koultouk.
C'est là que continue de sévir l'âme damnée du roman, le camarade Anikine, tortionnaire d'Haïganouch qui est aveugle et prouve sa virtuosité au piano. Pliouchkine, son mari, est exécuté par l'homme de Beria et Haïganouch se retrouve seule avec Assadour, son fils.
Les atrocités ne font que commencer ou plutôt se poursuivent avant de monter de plusieurs crans avec les déportations, le goulag, les sévices, le froid, le gel, les exécutions sommaires dont ne survivent que les plus forts ou les plus chanceux.
Ian Manook met bien en valeur toute la solidarité entre les Arméniens, même si subsiste un malentendu entre ceux qui vivaient déjà sur place et ceux qui se sont laissés berner pour rentrer au pays.
Si les souffrances, les vengeances, les viols, les crimes reviennent souvent, Ian Manook réussit tout de même à ménager quelques moments de douceur, d'amour, d'érotisme même dans quelque isba bien cachée au fond des bois.
Se révèle enfin le chant d'Haïganouch, ce poème mettant en avant le fameux oiseau bleu, texte mis en musique par Zazou. Il l'avait appris à Erevan et avoue qu'il a été écrit par Haïganouch Tertchounian : « ce texte raconte très exactement l'histoire d'Araxie, de sa petite soeur Haïganouch et d'Assina, qui aujourd'hui s'appelle Haïganouch aussi. »
Heureusement, Staline meurt le 5 mars 1953. Si le peuple défile trois jours durant devant son catafalque, mille cinq cents personnes sont étouffées ou piétinées au cours de cet hommage posthume. Cette disparition ne signifie pas la fin du calvaire de millions de prisonniers, de travailleurs forcés du goulag car d'autres contraintes seront vite imaginées pour s'acharner encore sur eux.
Si je ne cite que quelques éléments révélateurs de cette saga, il faut vraiment lire le chant d'Haïganouch pour s'imprégner de cette époque pas si lointaine et ne pas oublier ces montagnes de douleurs, ces millions de vies abrégées sans vergogne sur ordre de politiques bien au chaud dans leur datcha.
J'ajoute qu'il faut aussi apprendre le rôle plus qu'ambigu de Mitterrand, alors ministre des Anciens Combattants et des Victimes de guerre en 1947. Son marchandage avec le pouvoir soviétique pour récupérer les Français prisonniers des Allemands et laisser rentrer les nombreux Russes aussi prisonniers des Allemands, s'est fait au détriment des Arméniens. Résultat : « en 1949, Staline a fait déporter vers la Sibérie quarante mille Arméniens dont une très grande partie des rapatriés de 1947. »
Au travers de l'histoire romancée de sa famille, Ian Manook (Patrick Manoukian) m'a permis de prendre conscience d'un terrible drame trop vite passé sous silence et oublié, noyé dans les suites de la Seconde guerre mondiale. Pour toutes les victimes de cet odieux marchandage, L'oiseau bleu d'Erzeroum et le chant d'Haïganouch, sont une belle performance littéraire défiant l'oubli et rendant hommage à une communauté au formidable sens de la solidarité et de la fête comme le prouve l'auteur à plusieurs reprises.

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Un coup de gueule avant tout , contre moi , d'une part , contre l'éditeur ensuite . Contre moi donc , qui me dis " bon lecteur au fait de l'actualité " , toujours à errer dans les allées de telle ou telle librairie , et qui ignorais , en jetant son dévolu sur un roman qu'il était...le second volume d'une Odyssée particulière et tragique , celle des Arméniens....
On est mercredi , jour de parution du Canard Enchaîné , alors c'est ma tournée, le " Pan sur le bec " , aujourd'hui , c'est pour moi ....
Coup de gueule aussi contre l'éditeur qui ne mentionne nulle part ( sauf erreur ) qu'il s'agit d'une suite .Un peu plus de clarté serait bienvenu mais” business is business ! " Et pourtant , que de bandeaux rouges pour dire " ceci ou cela " .
J'assume mon erreur , mais peut_- être certains voudront bien se joindre à moi et me dire que je ne suis pas seul ...
Quoiqu'il en soit et malgré une certaine difficulté à replacer dans le contexte tel où tel personnage présent et actif dans le tome 1 , les liens qui les unissent , ce livre a été pour moi un perpétuel moment d'émotions variées et prenantes . Même romancée , cette histoire ne peut pas laisser insensible et fait découvrir avec intelligence , l'affreuse oppression russe sur des populations dont le seul objectif était de vivre sans richesse mais avec honneur , courage , fierté.
Le périple d'Agop s'élève au - delà de l'imaginable , le système d'extermination russe laisse sans voix , tout n'étant que désespérance même pour les " tenants " du pouvoir qui , un jour où l'autre se retrouvent FORCEMENT du mauvais côté du fusil .
Soyons clairs , c'est un livre dur mais nécessaire qui révèle , à travers cette saga familiale tragique , combien les humains peuvent se montrer incroyablement et désespérément, atrocement ...inhumains .
Des personnages humains ou pas , le reflet d'une époque, l'impuissance à jouir d'un des droits fondamentaux , la liberté, qu'elle soit physique ou d'opinion , la négation de l'existence .
C'est terrible et pourtant , on ne peut pas renoncer à cette lecture car tout l'art de l'auteur a été de présenter l'Histoire , la grande , par la lorgnette du " petit peuple " .
C'est un livre remarquable et , vous savez quoi ? Hier , je suis allé à la librairie où j'ai acheté ” L'oiseau bleu d'Erzeroum ” , oui , oui , je vais lire le début avant la fin ....C'est la toute première fois que je me trouve dans cette situation .
Comme je suis optimiste , je me dis qu'il " fallait bien que ça arrive un jour " .
Et puis , j'ai ma part de responsabilité...
Revenir en arrière ? C'est vous dire combien j'ai apprécié ", le chant d'Haiganouch" ...
A bientôt , chers amis et amies , et faisons tous bien attention à nos achats ..." On ne nous dit pas tout ! " .
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J'avais beaucoup aimé L'oiseau bleu d'Erzeroum et m'étais promis de ne pas tarder à lire la suite, et puis le temps passe, beaucoup de nouvelles sollicitations (merci les amis) et il a fallu les retours de mes deux amies (Nicolak et HundredDreams) pour me décider.

J'ai autant aimé ce tome que le premier, même si ce n'est pas exactement pour des raisons identiques. On voyage moins que dans le premier, on aborde moins d'évènements historiques différents. Mais paradoxalement, j'ai plus appris ici. Je ne connaissais absolument pas cette tragédie (encore une) ayant frappé les Arméniens partis en Russie sur la foi de promesses mensongères.

La plongée dans cette URSS sous le joug de Staline d'abord puis de Khrouchtchev est glaçante. Un pays où l'arbitraire règne, où les puissants d'aujourd'hui seront les réprouvés de demain, où la peur assure la domination et la puissance de l'état :
« La quatrième raison de ces déportations, c'est bien évidemment de faire régner la peur. La peur, camarade, ce sentiment qui retient chaque individu de se rebeller contre l'État ou le Parti. Qui lui enlève l'idée même d'en parler à quiconque. Cette peur, camarade, qui t'habite en ce moment de me voir ajouter ton nom et ceux de tes enfants sur n'importe laquelle de ces listes. »

J'ai retrouvé par Ian Manook la même analyse que celle de Padura dans L'homme qui aimait les chiens. Ces régimes tyranniques tiennent par la peur, la crainte de l'autre, de la dénonciation. Ce sont des pays où nul ne peut se sentir en sécurité, où l'on ne peut se fier à personne, et c'est terrifiant.

J'ai retrouvé dans ce tome tout ce que j'aime chez l'auteur, cette capacité à mêler l'histoire de ces personnages à L Histoire avec un grand H, cette richesse dans l'évocation de la vie de cette diaspora et de ses coutumes. Je me suis régalée en pensée à la description de ces plats typiques. J'y ai retrouvé surtout l'amour profond qu'il porte à ceux qui sont sa famille, qu'il fait revivre ici. J'ai aimé encore une fois partager pendant quelques années leur vie. Les personnages sont toujours aussi attachants et j'ai mieux découvert le personnage d'Agop, qui prend malgré lui le devant de la scène dans une bonne partie du livre.

Un tome traversé à nouveau d'horreurs, mais aussi de moments de bonheur, de douceur. Des personnages que je ne suis pas près d'oublier.

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1947. Agop, réfugié arménien installé en banlieue parisienne, cède aux appels de Staline et d'une partie des organisations arméniennes : il quitte, provisoirement pense t'il, femme, enfants et amis pour rentrer en Arménie.
Hélas, l'accueil dans la nouvelle république soviétique n'est pas celui attendu et le jeune homme se retrouve prisonnier de l'URSS, avec deux idées en tête : retrouver Haïganouch, la jeune soeur d'Araxie l'épouse de son ami Haïgaz, et fuir ce pays qui n'est plus le sien.

Après "L'oiseau bleu d'Erzeroum" où il nous présentait, de façon assez crue mais terriblement réaliste, la terreur du génocide arménien et le début de la construction d'une diaspora en France, l'auteur poursuit sa saga familiale avec un épisode moins connu de l'histoire des arméniens : la tentation d'un retour au pays, dans une république socialiste soviétique d'Arménie. Il y a encore beaucoup de douleur et de larmes, peut-être un peu plus d'espoir et de sourires, mais moins de crédibilité...
Tel que raconté, cet épisode paraît en effet plus romanesque que la première partie. Agop, ses proches et ceux d'Araxie semblent avoir un peu trop de chance. Là où beaucoup d'autres meurent, eux passent trop facilement au travers des mailles du filet. Et que vient faire le jeune Boris Eltsine dans cette histoire ?
Reconnaissons cependant, une fois encore, le talent de Ian Manook pour créer des personnages. Ce sont eux, et leur présence presque physique, qui donnent du corps à une intrigue que l'on vit avec eux, à travers eux.
Cette saga est écrite, et se lit, comme un épisode d'une série policière : rythmée par des chapitres plutôt courts, par le croisement des histoires des deux personnages centraux, par quelques rebondissements inattendus. le roman est rédigé simplement, sans effet de style ou abus de mots savants susceptibles d'égarer le lecteur. Il se lit donc très facilement, sans laisser indifférent.
Une belle saga historique, au tome 2 peut-être un peu trop romancé ?


Lien : http://michelgiraud.fr/2023/..
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C'est avec plaisir que j'ai retrouvé les personnages de L'oiseau bleu d'Erzeroum, Agop, Haïgaz, Araxie, Haïganouch, comme on retrouve de vieux amis.
Contrairement au premier opus qui démarrait incroyablement fort pour s'essouffler ensuite, c'est ici un démarrage poussif, puis un tempo qui s'accélère en deuxième partie avec un sprint final des plus inattendu.
J'ai retrouvé dans ce récit les mêmes ingrédients de réussite et de déception que dans le premier tome.
La réussite, c'est Ian Mook qui nous en apprend encore davantage sur l'histoire des Arméniens, largement inconnue des Français il me semble (enfin de moi en tout cas). Dans les années 50, l'URSS fait miroiter des lendemains qui chantent aux exilés Arméniens en leur promettant un retour aux sources sur leur terre natale pour un nouveau départ. Agop si attaché à son Arménie, décide de quitter sa famille et la France. Il se laisse appâter par les belles promesses, et se rassure, ainsi que ses proches, en cas de désillusion, il sera vite de retour. Cependant, avant même d'avoir posé le pied sur le sol arménien, il a compris sa terrible erreur, il est piégé, sans retour possible, transformé en main d'oeuvre bon marché pour les grands chantiers russes qui manquent de bras au sortir de la guerre. Gare à ceux qui sortent du rang, les délateurs veillent, et au premier mot de travers, c'est le camp de travail qui les attend. Mais ce n'est là que le début des déconvenues, le pire est à venir, Agop va devenir un zek.
Les travers du récit, ce sont d'énormes invraisemblances avec des personnages qui n'arrêtent pas de se croiser. Ian Manook use et abuse des heureux hasards et coïncidences à en donner le tournis au lecteur, et cela m'a agacée encore plus que dans le premier tome tant les invraisemblances sont légion, ce qui a gâché mon plaisir de lecture et fait perdre en crédibilité au récit.
Cependant, une fois de plus, Ian Manook réussit son pari de nous faire découvrir un nouveau pan de l'histoire du peuple arménien en nous emmenant dans les pas d'Agop. D'Erevan à la Sibérie, il nous raconte la peur, les camps, et les destins des uns et des autres se mêlent entre la France, l'Arménie, la Sibérie.
L'auteur donne un brusque coup d'accélérateur à la fin du roman, les évènements se bousculent et certains dénouements tant attendus sont pour finir très vite expédiés, j'en ai été déçue après l'interminable démarrage du début. La fin appelle clairement un troisième tome, je ne suis pas certaine de suivre cette fois…
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Selon l'éditeur, Albin Michel, ce roman relate "l'odyssée tragique de la diaspora arménienne en Russie"
C'est effectivement tout à fait cela, car l'action se passe essentiellement à Erevan, la capitale de la république soviétique d'Arménie, et Iakoutsk en Sibérie, la ville la plus froide du monde, entre 1947 et 1960.

Point besoin de présenter ici Patrick Manoukian, alias Ian Manook, né à Meudon en 1949, comme Aznavour d'origine arménienne, et très apprécié sur Babelio avec 21 livres et 1045 critiques, parmi lesquels "Yeruldelgger" de 2013, en tête.

Ce roman fait suite à "L'oiseau bleu d'Erzeroum" sur le génocide arménienn, paru l'année dernière et qu'il vaut mieux lire d'abord, puisqu'il nous présente la survie miraculeuse des massacres de 1915 des soeurs Araxie et Haïganouch.

Sur le génocide arménien, toujours contesté par les autorités turques, j'ai fait le 3 avril 2018 un billet de l'ouvrage important de Taner Akçam "Ordres de tuer : Les télégrammes de Talaat Pacha". Talaat était le grand vizir ottoman et organisateur principal du génocide, tué à son tour à Berlin par un étudiant arménien, en 1921.
Ces ordres prouvent la responsabilité des Jeunes-Turcs dans l'opération atroce d'annihilation de tout un peuple durant la Première Guerre mondiale, quoique puisse en penser aujourd'hui monsieur le président Erdoğan.

Le récit proprement dit commence par le départ en bateau de Marseille du fils d'Araxie, Agop Tarpinian, vers l'Arménie, qui sous contrôle des bolcheviques sous la conduite du meurtrier de masse Staline (1878-1953) et son horrible acolyte, le chef du KGB Lavrenti Beria (1890-1953), ressemble plutôt à un grand camp de prisonniers, où règnent la famine et l'arbitraire.

Relativement vite, Agop envisage un retour rapide en France, vers sa douce moitié et leurs 2 enfants, Anaïd, 13 ans, et Josig 11.
Seulement, sortir du bloc soviétique est loin d'être simple. Les frontières sont "hermétiques et meurtrières"....

Simultanément avec le pénible séjour d'Agop à Erevan, nous suivons les événements tragiques auxquels se trouve confrontée sa tante, la poétesse aveugle Haïganouch, en Sibérie, où son époux Pliouchkine est assassiné par l'aide de Beria, l'affreux Anikine.
Dans cette taïga immense le long du fleuve Léna gelé, c'est la poésie de Viktor Dodourov, Marina Tsvetaïeva et Anna Akhmatova qui la font tenir debout.

À un officier russe de passage, la pauvre Haïganouch déclame un chant de son enfance :
Je demande à la lune
D'avaler cette triste nuit
Et au soleil lui aussi
De brûler cette infortune.
(page 120).

Rien que pour la beauté poétique de la langue d'Ian Manook, ce roman, paru le 28 septembre dernier, mérite tout le succès qu'on connut ses best-sellers précédents.
Il s'agit, en plus, d'une page d'histoire hautement dramatique et fort méconnue dans nos régions.
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Il existe des destins singuliers, des récits de vie inimaginables, de ceux qui participent au mouvement de l'Histoire.

« Être l'enfant d'une diaspora, c'est devenir un nomade culturel, même si le nomadisme n'est en fait qu'une technique de survie en milieu hostile… »

Ce deuxième tome, qui retrace l'incroyable parcours de vie des grands-parents de l'auteur, est une belle histoire de survie, d'identité, de famille et de résilience.
C'est en compagnie de NicolaK (@NicolaK) que j'ai poursuivi cette fresque familiale qui court de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu'à la déstalinisation et l'arrivée au pouvoir de Khrouchtchev. Je te remercie Nicola car il m'est difficile de dire si je l'aurais lu seule, tellement le premier tome contenait plusieurs scènes quasiment insoutenables. Je l'ai commencé avec appréhension, mais très vite, la maîtrise parfaite de la psychologie de ses personnages, leur sensibilité, leur vie emportée par le flot de l'histoire m'ont absorbée.
Quel récit instructif et émouvant ! Ce roman construit sur l'alternance de deux voix m'a plongée littéralement dans le régime stalinien autour des années 50, avec, en toile de fond, le rapatriement de la diaspora arménienne en URSS, les répressions politiques et la déportation de masse des Arméniens dans les goulags d'Iakoutsk en Sibérie.

*
Si « L'oiseau bleu d'Erzeroum » m'a entraînée dans l'enfance de Araxie et Haïganouch, deux soeurs rescapées du génocide arménien, « le chant d'Haïganouch », lui, débute en 1947 : à l'appel de Staline, du PC français et des instances arméniennes, Agop décide de quitter la banlieue parisienne pour rejoindre la République Soviétique d'Arménie et voir si un avenir est possible pour sa famille.
Il rêve de participer au grand projet de construction d'une nouvelle Arménie, de redevenir arménien dans son propre pays. C'est un dur à cuire et certainement pas une personne naïve, pourtant, il va se laisser séduire par les promesses mensongères de Staline et se laisser prendre dans les rets de la politique et du pouvoir.

Agop se sent en effet trahi par la France de Vichy : pour lui, elle n'a pas tenu ses engagements en considérant les Arméniens comme des étrangers alors qu'ils ont combattu dans l'armée française ; de même, en suspendant les naturalisations et en les plaçant sur la liste des déportations vers les camps allemands.
Alors, malgré les mises en garde de sa famille, il embarque pour l'Arménie soviétique, sur le Rossia, un ancien paquebot ayant appartenu au 3e Reich.

Très vite à son arrivée, Agop déchante : l'administration soviétique les abandonne dans un pays qui ne veut pas d'eux. Cette terre d'espoir n'était en définitive qu'une chimère, un joli songe auquel il se raccrochait éperdument.

« Les ordres du camarade Staline sont clairs : il ne doit rester en Arménie que des Arméniens communistes et nés en Arménie soviétique. »

Livré à lui-même, Agop décide de revenir en France, mais les portes de l'URSS se referment sur lui.
Alors que beaucoup d'Arméniens partis de France se résignent à vivre en URSS dans la misère et la soumission, Agop décide de s'évader.

*
La deuxième voix est celle de la plus jeune des deux soeurs, Haïganouch, séparée de son aînée lors du génocide de 1915. C'est en union soviétique que le lecteur la retrouve. Devenue poétesse et pianiste renommées, son destin croisera plusieurs fois celui d'Agop sur le chemin de l'exil. J'ai aimé leur force morale à tous les deux, les valeurs qu'ils défendent.

« Ô pays que j'aime et quitte à la fois
Dans ma tête leur haine éteint le soleil
L'exil est une mort à nulle autre pareille
Je t'aime dans le noir, et te quitte malgré moi

Des scarabées dorés sous les eucalyptus
Ne reste qu'un bâton tombé dans la poussière
Maman est morte, dans la cour, sans prière
À leur rage qu'aurions-nous pu donner de plus ?

De viols en abattoirs, à manger l'immonde
De haines en offenses, sans pitié ni remords
On nous a chassés loin, on nous a voulus morts
Sous le même ciel que le reste du monde. »

*
À travers le destin de cette famille arménienne, c'est aussi un récit lucide et triste sur notre condition humaine et le poids du déracinement.
Il se dégage beaucoup d'émotions dans ces pages où les déportations et l'enfer des camps de travail russes, les arrestations arbitraires et l'exil forcé, les purges et les massacres tentent d'anéantir toute trace d'humanité. Les atrocités commises et les exécutions sommaires, les conditions de vie et de travail dans les goulags, l'usure physique et psychologique, la peur et les lâchetés, les humiliations, révèlent en même temps ce qu'il y a de plus beau dans l'homme : la dignité et le sens de la solidarité, la force et le courage, l'amitié et l'espoir, l'amour et la tendresse.

« En 1949, Staline a fait déporter vers la Sibérie 40 000 Arméniens dont une très grande partie des rapatriés de 1947… »

*
Entre mélancolie et nostalgie, ce roman puissant et prenant, douloureux et émouvant, m'a tenu en haleine jusqu'à la toute dernière page. L'écriture, sensible et profonde, rend les personnages beaux et touchants. Plus romancé, certains moments du livre sont tout de même bouleversants, même s'ils n'ont pas la dureté et la puissance émotionnelle du premier tome.
Entre instants de bonheur et tragédies, les destins d'Haïganouch et Agop semblent s'entremêler, se répondre en un jeu de miroir où la destinée humaine rencontre l'universel.
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Cette suite de "L'oiseau bleu d'Erzeroum" était depuis un bon moment à mon programme de lecture, j'attendais juste un déclic, un signal pour me signifier que c'était le bon moment. Et c'est @Gwen21, en m'invitant à rejoindre un groupe de LC sur cette saga, qui m'a donné ce signal, je l'en remercie ainsi que nos autres complices (@tomsoyer, @sylvaine, @catherineCM).
Les souvenirs sont vite revenus, même si ma lecture du premier volume remonte déjà à un an et demi. Il faut dire que les personnages, inspirés de la famille de l'auteur, sont plutôt marquants ! On les retrouve au sortir de la seconde guerre mondiale (en 1947), alors qu'Agop, le mari d'Araxie (grand-mère de l'auteur), cède aux sirènes soviétiques qui promettent aux arméniens exilés en France de leur rendre leur terre. Il s'embarque à bord du Rossia, en compagnie de 3500 autres compatriotes pleins d'espoir, certains avec femme et enfants. Lui au moins a eu la sagesse de partir seul, heureusement car il va vite déchanter. Les belles promesses vont se transformer en années de galère, d'emprisonnement arbitraire et de persécutions, nombre de ses compagnons de misère y laisseront leur vie.
En parallèle, nous retrouvons la trace d'Haïganouch, la poétesse aveugle soeur d'Araxie, dont elle avait été séparée lors d'évènements tragiques précédemment. Elle s'est mariée, a eu un fils, Assadour, mais son bourreau Anikine l'a retrouvée et a de nouveau plongé sa vie dans le chaos et la terreur. Elle se retrouvera déportée en Sibérie.
Les trajectoires d'Agop et d'Haïganouch ne cesseront de se croiser sans qu'ils le sachent, chacun endurant son lot de souffrance, et ignorant du sort de sa famille. C'est d'ailleurs un des aspects que j'ai trouvé parmi les plus terribles dans toutes les "péripéties" subies par les héros de l'histoire : cette perpétuelle ignorance du sort de ceux qu'ils aiment, parfois des années durant à ne pas savoir si le fils, l'époux ou la femme aimée sont encore de ce monde, et dans quelles conditions. Il y a peut-être un peu moins de scènes d'horreur crue que dans "L'oiseau bleu d'Erzeroum", mais la violence psychologique est omniprésente, en plus de la violence physique. Et nous en apprenons encore une fois beaucoup sur les "méthodes" des dirigeants soviétiques successifs (mais pas que), pour asservir le peuple et tuer dans l'oeuf toute vélléité de rébellion. Et surprise, certains politiciens français débutants à l'époque vont aussi en prendre pour leur grade, ainsi d'ailleurs que le Parti Communiste Français, qui a poussé les Arméniens de France à repartir vers un avenir illusoire.
J'ai été un peu moins emportée par ma lecture que pour le premier opus, peut-être parce qu'il y a beaucoup de personnages secondaires qui interviennent, on s'y perd parfois. Et les moments de respiration ou d'humour sont aussi plus rares, même lorsqu'on revient dans la famille restée en France, l'atmosphère ne s'allège que lors des banquets où la communauté prépare d'innombrables plats traditionnels (je les connaissais presque tous par coeur à la fin !). Par contre j'ai apprécié les intermèdes musicaux initiés par le jeune Zazou, compagnon d'infortune d'Agop qu'on suivra également tout au long du roman et qui prendra une place prépondérante dans l'histoire.

Cette lecture restera certainement marquante pour moi, et j'espère que l'auteur ne nous laissera pas sur la cruelle incertitude induite par la dernière phrase du roman ! Je l'ai rencontré au festival du Livre de Colmar alors que j'étais en pleine lecture de son histoire. J'ai vraiment regretté le lendemain de ne pas avoir achevé un peu plus vite les derniers chapitres, je crois que je l'aurais "cuisiné" jusqu'à savoir si un troisième tome allait paraître bientôt !
J'espère que c'est le cas, parce que pour moi ça ne peut pas s'arrêter là.


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1947, les arméniens sortent d'un enfer pour plonger dans un autre.

Le chant d'Haïganouch est la suite directe de L'Oiseau bleu d'Erzeroum, le premier roman qui avait permis à Patrick Manoukian alias Ian Manook de fictionner ses racines.

Avec ces deux livres, il nous raconte l'histoire de ses grands-parents, ainsi que de ceux qui ont gravité autour d'eux. Des vies remplies de tragédies terribles, qui avaient débuté de la pire des manières.

Après le génocide turc autour de 1915, place à l'URSS d'après la seconde guerre mondiale.

Staline disait cyniquement que « La mort d'un homme est une tragédie. La mort d'un million d'hommes est une statistique ». Les personnages du roman vont expérimenter les conséquences terrifiantes de cette politique.

L'espoir était pourtant de mise au sortir de la guerre, les familles avaient trouvé leur place en France. Et voilà que les soviétiques leur proposent un mirage : créer une nouvelle terre promise arménienne. La suite sera pire qu'une désillusion, un autre brasier de douleurs qui se formera dans la glace russe.

Mais ces romans tiennent davantage de la saga familiale que d'une saga historique.

Ce deuxième volet est différent du premier, dans le sens où il se focalise étonnement sur Agop, le copain à la vie à la mort de son grand-père, et sur Haïganouch, la petite soeur de sa grand-mère.

Tous deux se trouvent sur les immenses terres russes, pour des raisons différentes. Mais ils vont chacun de leur côté connaître la déportation et l'inhumanité à grand échelle du système soviétique.

Les deux pieds dans l'absurdité totale de ce système, et une situation horrifiante qui dépasse le sort même des arméniens.

C'est à nouveau un livre à lire pour comprendre, pour s'émouvoir, pour se laisser porter par des personnages marquants. Des vies qui pourraient être tristement banales, mais qui s'avèrent des destins extraordinaires. Et pour l'auteur, rendre des histoires personnelles universelles.

Un récit qui sert de transmission, basée sur les souvenirs racontés par les grands-parents. Et qui contribue au devoir de mémoire, d'autant plus de nos jours où on recommence à jouer le même genre de partitions mortifères.

Mais le roman reste avant tout une vraie aventure humaine, avec un Manook qui habite ses personnages. Un récit fait de petits-riens qui constituent un tout, au plus près des protagonistes. Un enrichissement.

C'est un deuxième livre, la surprise est moins prégnante, mais le ressenti de lecture toujours touchant. Toujours révoltant.

La plume de l'auteur est là pour raconter ces destins. Pour nous faire aimer ces personnages. Pour imaginer et imager la réalité. Pour dire l'innommable ou même pour appuyer avec virulence sur la responsabilité de la France.

Le chant d'Haïganouch est un deuxième volet toujours au plus près de l'humain, même dans les pires horreurs. Avec un Ian Manook qui se donne et qui donne.
Lien : https://gruznamur.com/2022/1..
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