Je lui avais laissé carte blanche, car il y avait trop longtemps que je ne m'étais plus intéressée à ce qui se passait dans le monde.
Je ne veux pas de ça... Tu n'es pas ma béquille, ni un médicament, tu mérites d'être aimé sans condition, pour toi seul et non pour tes vertus curatives.
"Nous comptons bien qu'il sera surmonté après un certain laps de temps, et nous considérons qu'il sera inopportun et même nuisible de le perturber."
(Freud à propos du deuil)
Je ne peux pas exclure Colin, comme tu viens de le faire avec Megan. Si je commence une histoire avec toi, je te reprocherai un jour ou l'autre de ne pas être lui... d'être toi. Je ne veux pas de ça... Tu n'es pas ma béquille, ni un médicament, tu mérites d'être aimé sans condition, pour toi seul et non pour tes vertus curatives. Et je sais que... je ne t'aime pas comme il faut. En tou cas pas encore. Il faut d'abord que je me reconstruise, que je sois forte, que j'aille bien, que je n'aie plus besoin d'aide. Après ça seulement, je pourrai encore aimer. Entièrement. Tu comprends ?
Je fis le tour de l'appartement, éteignis toutes les lumières, fermai toutes les pièces. Ma main se crispa sur la poignée de la porte d'entrée au moment de la refermer. Le seul son perceptible fut celui du verrou.
Les Gens heureux picolent et s'envoient en l'air, j'écoute.
C'est presque impossible pour lui d'accorder sa confiance. Il est convaincu qu'il sera trahi ou abandonné. Il m'a appris à me débrouiller toute seule et à ne compter sur personne.
J’avais oublié à quel point les parisiens faisaient la gueule en permanence. Un stage de chaleur irlandais devrait être obligatoire au programme scolaire. Je pensais ça, mais je savais pertinemment que, dans moins de deux jours, j’aurais le même visage blafard et peut avenant qu’eux.
Quel pays étrange, où les gens étaient tous gentils et accueillants, exception faite de ce rustre d'Edward, mais où l'on vous forçait à payer directement vos consommations. A Paris, ce charmant barman se serait fait remettre en place sans comprendre comment. Sauf qu'en France, ce même barman n'aurait pas été aimable, il n'aurait pas dégoisé un mot, quant à se fendre d'un sourire, même pas en rêve.
Les Gens étaient prêts. Moi un peu moins. J'avais peu dormi, j'étais anxieuse et excitée à la fois. J'inspectai une dernière fois les lieux. Tout était nickel : la nouvelle vaisselle était rangée à sa place, la pompe à pression fonctionnait à merveille, le percolateur livrait un café digne de ce nom, le bar brillait et les livres, flambant neufs, bien disposés et mis en valeur, attendaient les lecteurs sur les étagères.
Félix et moi avions tenu à dépoussiérer, dans tous les sens du terme, notre catalogue. Je lui avais laissé carte blanche, car il y avait trop longtemps que je ne m'étais plus intéressée à ce qui se passait dans le monde littéraire pour être encore à la page. "Il faut qu'on prenne aussi des choses rock 'n' roll, avait-il affirmé. Nous avons la clientèle pour ça, tu sais." Je n'en doutais pas, dans la mesure où c'était à lui qu'on devait d'avoir cette partie de la clientèle. Il avait donc commandé, entre autres, des Chuck Palahniuk, des Irvine Welsh et le dernier roman d'un auteur français que je ne connaissais pas, Laurent Bettoni. Le livre s'intitulait Les corps terrestres. "Tu verras, c'est comme si Sade avait écrit Les Liaisons dangereuses, mais dans un style très moderne, avait dit Félix. Ca va nous apporter un petit parfum de scandale assez sympa. J'avais souri. Après deux ans de léthargie, je me sentais d'attaque pour la luxure et le scandale.