Un an auparavant, quand j'étais arrivée aux urgences en compagnie de Félix, on m'avait annoncé que c'était trop tard, que ma fille était morte dans l'ambulance. Les médecins m'avaient juste laissé le temps de vomir avant de m'apprendre que ce n'était plus qu'une question de minutes ou au mieux de quelques heures, pour Colin
Dehors, il faisait sombre, il pleuvait, et des rafales de vent s’abattaient sur moi. Jusqu’au bout, je subirais le climat irlandais, il me manquerait.
J’eus la nausée en verrouillant la porte. J’y appuyai mon front. Il était temps de partir, je me tournai vers la voiture et me figeai. Edward était là, le visage fermé. Je courus et me jetai dans ses bras en pleurant. Il me serra contre lui et caressa mes cheveux. Je respirai son parfum à pleins poumons. Ses lèvres se posèrent sur ma tempe, il les pressa fortement sur ma peau. C’est ce qui me donna le courage de lever les yeux vers lui. Il mit sa grande main sur ma joue, je m’appuyai sur sa paume. Je tentai de lui sourire, ce fut un échec. Mes mains toujours agrippées à lui le lâchèrent. Il ancra ses yeux dans les miens, pour la dernière fois, je le savais, et partit en direction de la plage. Je montai dans ma voiture et démarrai. Les jointures de mes doigts étaient blanches à force de serrer le volant.
C’était la première fois que je voyais Edward si joyeux, presque insouciant. Il me fit grimper sur son dos pour une série de clichés. Je gesticulai tellement qu’on finit par tomber. Je réussis à lui chiper son appareil des mains et partis en courant. Lorsque je me retournai, je vis qu’Edward n’avait pas bougé de place et qu’il me suivait des yeux. Il s’assit, s’alluma une cigarette, tourna la tête, et son regard se perdit dans le vague. Par je ne sais quel miracle, je réussis à immortaliser la scène.
- Alors, qu’en pense le professionnel ?
Il coinça une cigarette au coin de ses lèvres, récupéra son bien et se pencha dessus. Il leva les yeux vers moi quand il découvrit qu’il était le sujet de la photo.[…]
Je n’entendais plus ce qu’il me disait, je le fixais et le redécouvrais, ses cheveux en bataille, sa barbe de trois jours, la couleur de ses yeux. Je sentis son parfum pour la première fois, un mélange de savon et de tabac froid. L’émotion fut telle que je dus fermer les paupières.
"Je te résume la situation très simplement, il m'a fait beaucoup de bien, je lui ai fait beaucoup de mal, et je l'ai certainement perdu définitivement, ça s'arrête là."
"J'étais bien, je ne me sentais plus oppressée. La vie reprenait ses droits, et je ne voulais plus lutter contre."
"Mon cœur battait obstinément. Et me maintenait en vie. Pour mon plus grand malheur."
"Tant qu'il était dans mes bras, il ne pouvait pas me quitter."
"Tu n'avais pas le droit de partir, tu n'avais pas le droit de la prendre. Je t'en veux tellement de m'avoir laissée toute seule, je suis perdue."
- Je vais tomber.
- Je ne te lâcherai pas.
Je degageai lentement mon visage. Le vent me fouetta, et mes cheveux voltigèrent dans tous les sens. J'ouvris doucement mes paupières et j'eus le sentiment d'être aspirée dans un gouffre en découvrant les vagues se fracasser contre la paroi. La prise d'Edward se raffermit. Je clignai des yeux, je me laissai aller, je ne pouvais rien contrôler, tout l'on corps se relâcha. Je finis par tourner la tête vers Edward. Il me regardait.
- Quoi? lui demandai-je.
- Profite du spectacle.
- Je pars dans trois jours pour les îles d'Aran, déclara-t-il.
- Tu veux que je garde Postman Pat?
- Non, viens avec moi.
- Hein?
- Accompagne-moi là-bas. Tu ne seras pas déçue.
Sur ce, il s'en alla.