Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
Tous les Tourangeaux connaissent Victor Laloux. Si ce n'est pas son nom, ce sera par son oeuvre puisque celle-ci est indissociable de la ville de Tours qu'elle marque par sa monumentalité. Les trois oeuvres monumentales de Laloux à Tours : basilique Saint-Martin, hôtel de ville et gare, sont tout à la fois des repères importants dans la ville, des manifestes architecturaux de leur auteur et les symboles d'une période historique française, à savoir la fin du 19ème siècle et le début du 20ème.
Le livre d'
Hugo Massire, qui réunit des travaux de trois autres chercheurs (Amandine Olivereau, Caroline Soppelsa et Olivier Prisset) et d'un photographe (Léonard de Serres), propose de s'intéresser à ces trois monuments à travers l'histoire de leur construction, les influences artistiques qu'on y trouve et le décodage de leur architecture tant extérieure qu'intérieure, ainsi qu'à Victor Laloux, architecte dont l'influence se propagea à travers tout le 20ème siècle.
Il est vrai que Victor Laloux a relativement peu oeuvré en tant qu'architecte. A ses travaux tourangeaux il faut ajouter la gare d'Orléans, futur musée d'Orsay, sur les quais de la Seine à Paris, ainsi que l'hôtel de ville de Roubaix et quelques prouesses parisiennes. Cependant, on peut affirmer que ses rares réalisations sont marquantes, malgré l'oubli relatif que subit la mémoire de Laloux durant le 20ème siècle. Mais c'est surtout la figure de l'enseignant qu'il était qui permet de comprendre toute l'influence qu'eut cet architecte sur le siècle précédent puisque nombre de ses élèves eurent par la suite des carrières fort riches. La preuve réside peut-être dans le nombre de prix de Rome reçus par des élèves passés par ses ateliers. Plus encore, l'apport de Victor Laloux est salué jusque de l'autre côté de l'Atlantique.
Trois monuments, donc, jalonnent l'oeuvre tourangelle de Victor Laloux. le premier chronologiquement – même s'il est le projet qui se termine le plus tardivement, à la fin des années 1930 – est la basilique Saint-Martin, sur l'emplacement de l'ancienne abbaye qui fut détruite à la Révolution. Contraintes techniques (le terrain est limité et le quartier qui est né sur les ruines de l'abbaye ne peut être détruit) et bisbilles politico-cléricales rendent la formulation du projet difficile. Mais celui de Laloux est retenu et l'architecte peut faire de ce nouveau temple chrétien - lui qui est athée - un hommage aux églises d'Italie qu'il a pu visiter lorsqu'il était à la villa Médicis. le tombeau de saint Martin est mis en valeur alors même qu'il repose dans la crypte. Dans un siècle où le retour au christianisme est fort (il avait été fortement remis en cause lors de la Révolution avant de revenir, lentement, parmi les piliers de la société, notamment après la publication du
Génie du christianismeDe Chateaubriand), la basilique Saint-Martin est un repère important dans la capitale de la Touraine et contribue à une certaine continuité historique. En effet, de l'autre côté du quartier cathédral, la Martinopole est l'un des grands quartiers tourangeaux de l'époque médiévale.
L'hôtel de ville symbolise quant à lui le triomphe de la Troisième République et celui du jacobinisme en France. En effet, prenant pour modèle l'hôtel de ville de Paris, de nombreuses municipalités optent pour ce style architectural qui se distingue par sa monumentalité intérieure et extérieure et un goût classique pour la décoration des façades et des intérieures. Ce temple - laïc, cette fois - est érigé au sud du centre-ville actuel, se tournant vers les nouveaux quartiers intégrés par Tours après l'absorption de la commune de Saint-Etienne en 1845. Sa construction fut rapide mais le parti pris de Laloux pour un monument qui se donne à voir engendra quelques complications. Entre autres, le manque de place pour les services fonctionnels de la municipalité obligera Laloux à proposer, à plusieurs reprises mais sans succès, une extension de l'hôtel de ville (qui ne verra le jour qu'à partir de 1965).
Temple religieux, temple laïc : il manque à la ville un temple au génie industriel. Ce fut la gare, monument elle aussi qui rend hommage à un siècle industriel où la technique du chemin de fer permettait soudain une communication bien plus rapide entre les centres urbains. Si l'emplacement fut longtemps débattu, la proximité avec l'hôtel de ville et le palais de justice montrent bien que la gare fait sens dans le centre urbain de Tours. Point d'entrée dans la ville pour les voyageurs, elle doit donner le ton. Pour ce faire, Laloux unit la pierre au métal : la première offre l'élégance nécessaire à un tel lieu, le second détourne les contraintes techniques. La gare de Tours s'inscrit dans le temps long du triomphe du chemin de fer qui voit être érigées, en France, des gares aux allures de palais : Limoges-Bénédictin, Toulouse-Matabiau, Marseille-Saint-Charles, sans oublier les gares parisiennes célébrées par les impressionnistes (Saint-Lazare notamment).
Si la commande publique est essentielle dans le parcours de Victor Laloux, c'est bien vers sa ville natale de Tours que l'architecte se tourna. Ses réalisations témoignent de la France au tournant du 20ème siècle : République triomphante, progrès industriels et enracinement de la foi chrétienne.
L'étude proposée par ces jeunes chercheurs est à la fois complète, intéressante et bien illustrée. Les photographies de Léonard de Serres et les abondantes illustrations issues d'archives nourrissent le propos et donnent à voir - essentiel dans la rétrospective d'une oeuvre architecturale - le travail de Victor Laloux. Naturellement le livre est d'intérêt pour les Tourangeaux ou les admirateurs de la cité, mais aussi pour tous ceux qui pourront voir dans ce livre un petit morceau d'histoire de France.