Enfin, je viens de lire le roman post-apocalyptique de
Cormac McCarthy. Depuis le temps que ce livre était dans mes étagères à prendre la poussière. Heureusement les critiques de Caro29 et Bartzella m'ont donné envie de lui donner sa chance, car ayant déjà vu le film, cet univers particulièrement sombre ne m'attirait pas vraiment.
*
Dans une Amérique ravagée par un immense feu, un homme et son enfant, tentent de survivre en marchant vers la côte, empruntant une route déserte, recouverte de cendre. Dans l'histoire, ils n'ont pas de nom, on les appelle simplement "l'homme" et "le petit".
Ils ne possèdent pratiquement rien. Leurs maigres possessions sont conservées dans un chariot.
Il n'y a pas vraiment d'intrigue, leur combat paraît vain dans un monde déjà mort, devenu un enfer pour une raison que l'on ignore. Un sentiment d'impuissance et d'absurdité m'a étreinte tout au long de ma lecture.
Peut-il y avoir un dénouement heureux dans un univers aussi morose et déprimant ?
« le froid et le silence. Les cendres du monde défunt emportées çà et là dans le vide sur les vents froids et profanes. Emportées au loin et dispersées et emportées encore plus loin. Toute chose coupée de son fondement. Sans support dans l'air chargé de cendre. Soutenue par un souffle, tremblante et brève. Si seulement mon coeur était de pierre. »
*
Cette longue route vers le sud est particulièrement angoissante.
Le monde est figé, immobile, brûlé, grisâtre, recouvert d'un dépôt cendreux que le vent emporte.
La race humaine a pratiquement disparu.
Le ciel est vide, la mer est vide, les forêts sont vides.
Tout est mort, l'herbe, les arbres, les champs, l'eau.
Tout est monochrome, exempte de couleurs.
La neige qui tombe est grise, le ciel est gris, l'océan est gris acier.
« le noir dans lequel il se réveillait ces nuits-là était aveugle et impénétrable. Un noir à se crever le tympan à force d'écouter. Il était souvent obligé de se lever. Pas d'autre bruit que le vent dans les arbres dépouillés et noircis. Il se levait et titubait dans cette froide obscurité autiste, les bras tendus devant lui pour trouver son équilibre tandis que les mécanismes vestibulaires faisaient leurs calculs dans son crâne. »
*
Cette route est d'une tristesse infinie.
Le désespoir et la solitude sont très présents, disséminés entre les lignes, mais les deux personnages avancent sans se retourner.
Affronter le froid, la pluie, l'épuisement, la faim, l'incertitude, le découragement, la peur.
Faire l'économie des mots, aller à l'essentiel.
Rester en vie et continuer à vivre coûte que coûte.
S'accrocher à la vie avec l'énergie du désespoir.
« Là où tout était brûlé et réduit en cendres devant eux il n'était pas question de faire du feu et les nuits étaient longues et sombres et froides plus que tout ce qu'ils avaient connu jusqu'à présent. Froides à faire éclater les pierres. A vous ôter la vie. Il serrait contre lui le petit qui grelottait et il comptait dans le noir chacune de ses fragiles respirations. »
*
Cette route est terrifiante, oppressante et même glauque.
Les dangers sont omniprésents. En la parcourant, ils sont à la merci de hordes qui n'hésitent pas à tuer
et à consommer de la chair humaine.
« Il l'avait entraîné à rester tapi dans les bois comme un faon. »
*
Vous l'aurez compris, cette route est particulièrement terne, sinistre, étouffante, piégeuse. Pour eux qui rêvent d'un futur plus clément, cette route est symbole d'espoir.
Ce que je retiens également, c'est cette lumière que j'ai décelée au milieu de toute cette noirceur.
Cette lumière, c'est celle de cette magnifique relation père fils. Chacun soutient l'autre par la force de son amour.
L'amour de ce père pour son enfant n'a pas besoin de mots. Il a beaucoup de gestes tendres envers son fils. Loin d'être dépourvu de sensibilité, il est, malgré tout, prêt à recourir à la violence et à tuer pour protéger son enfant.
L'enfant m'a touchée aussi. Frêle et apeuré, il n'apparaît pas armé pour faire face à la violence de ce monde qui a perdu toute humanité. Il n'a connu que ce monde de désolation, et pourtant, il fait preuve de sensibilité, de générosité et de compassion.
« Tu voulais savoir à quoi ressemblent les méchants. Maintenant tu le sais. Ça pourrait se reproduire. Mon rôle c'est de prendre soin de toi. J'en ai été chargé par Dieu. Celui qui te touche je le tue. Tu comprends ?
Oui.
Il était assis, encapuchonné dans la couverture. Au bout d'un moment il leva la tête. On est encore les gentils ? dit-il.
Oui. On est encore les gentils.
Et on le sera toujours.
Oui. Toujours.
D'accord. »
*
Cormac McCarthy a une prose particulièrement originale.
J'ai aimé son écriture simple, très directe, épurée, économique en ponctuation. J'y ai même trouvé de la poésie.
Souvent intégrés dans la narration, les dialogues sont concis, vont à l'essentiel. Les propositions coordonnées sont comme des fragments de leur vie quotidienne, une juxtaposition de gestes mécaniques, répétitifs, d'une profonde monotonie, mais essentiels, vitaux.
Ce style d'écriture aurait pu amener une certaine lourdeur au texte, mais je l'ai perçu différemment. Il contribue, au contraire, à renforcer cette atmosphère lourde et oppressante. On ressent ce froid permanent, ce monde dépouillé et effrayant, et ces cendres qui se déposent partout.
Il marque aussi le courage, la persévérance et la ténacité des deux personnages.
« Les nuits étaient mortellement froides et d'un noir de cercueil et la lente venue du matin se chargeait d'un terrible silence. Comme une aube avant une bataille. La peau du petit était de la couleur d'une bougie et presque transparente. Avec ses grands yeux au regard fixe il avait l'air d'un extraterrestre. »
*
«
La Route » est une histoire déprimante, certes, émotionnellement éprouvante, oui, j'en conviens. Mais elle est aussi profondément humaine, émouvante et poignante. J'en ressors particulièrement émue.
En créant un univers post-apocalyptique impressionnant,
Cormac McCarthy a écrit une oeuvre très forte, certains diront un chef d'oeuvre. Je ne sais pas, mais ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut pas hésiter à emprunter cette route et à vous faire votre propre avis.