Déniché sur les rayons rebondis de la bibliothèque d'un couple d'amis lecteurs compulsifs, ce livre constitue une expérience littéraire rare.
Une promesse, d'abord… Celle de découvrir une intrigue qui se déroule à quelques encablures de la maison familiale. Des noms que l'on ne s'attend pas à trouver dans un Folio et que je m'empresse de partager avec vous : Les Salces, Saint-Privat, Saint-Maurice Navacelles, la Prunarède… Ces lieux où j'ai travaillé, randonné, bringué… Ces lieux étranges, étranger moi-même, qui sont devenus miens par les liens que l'on dit sacrés avec une fille de cette terre âpre et envoûtante et, par transmission, mes enfants, donc, irrigués par ce puissant héritage tellurique.
Cette promesse a été tenue au-delà de l'envisageable pour la résonance particulière de certaines passages : la validation par la plume brillante d'un « estranger », que, sur ce plateau peu peuplé bruissent les échos des beautés et des laideurs de l'humanité toute entière, sans avoir besoin de mentionner les paysages géologiques et les richesses biologiques. Des phrases qui donnent sens à ce qui n'étaient jusque là que des ressentis quelque part entre malaise et colère. Ces « chiens noirs », je les connais, je les redoute…
J'ai aussi trouvé des mots qui permettent malgré tout d'envisager, que, même s'il n'y a personne là-haut, l'espoir est encore de mise… Résidant au Pouget, le village où fut tourné « Chien de la casse » (quelle coïncidence),
Ian McEwan connaît aussi, par les sens, l'essence de ces terres secrètes… A travers le destin de ses beaux-parents, de ce couple où l'amour et le désamour sont inextricables, le narrateur, calme orphelin, nous plonge tout autant dans le tumulte de ce XX° siècle entre espérances et désillusions que dans l'interrogation introspective sur les tensions entre déterminisme et libre-arbitre.
Le Larzac, dont l'influence déborde largement sur ses terrasses, reflète les luttes ou les alliances entre les aspirations humanistes, les tentations mystiques, les utopies progressistes et les contingences du quotidien. Ici se côtoient les camps militaires et le pacifisme, le véganisme et le pastoralisme, les associations solidaires et les lobbys. Ici où l'on peut faire des pieds de nez aux néo-ruraux, comme inventer des nouvelles formules d'altermondialisme, où l'accent occitan se marie aux sonorités saxonnes. Dolmens, cromlechs, églises, murs de pierres sèches, glacières, hôpitaux, bagnes pour enfants, lavognes témoignent de l'inscription de ces phénomènes dans le temps long.
Les chiens noirs se déroulent aussi à Berlin où ce ne sont pas d' échos dont on parle mais du bruit et la fureur, des projecteurs aveuglants de la notoriété, pointés sur la vie des hommes et des femmes, misérables brindilles emportées dans le vent de l'histoire.
Un livre « Cinq étoiles » même si j'ai mis un temps fou à me plier aux exigences de ce récit qui m'a semblé, au début, obscur comme si je venais de plonger dans un climat digne des docks londoniens ou des novembres larzaciens…
Une expérience plus proche du stoïcisme que de l'épicurisme… Enfin, ce de ce que j'ai cru en comprendre… Un vertige davantage qu'une ivresse… Ça je maîtrise mieux !
Un voyage labyrinthique que je me garderai bien de vous inciter à accomplir sans la recommandation suivante « la direction décline toute responsabilité en cas d'égarement ».