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Critique de Antyryia



Je marche tous les jours. Je fais la même promenade, le même circuit. Je passe devant la même pharmacie, la même boulangerie, la même église. le parcours est rituel, strictement identique.
Et ce jour-là, mon regard a été attiré par une porte qui n'existait pas la veille. Sur une plaque à droite je peux distinguer les mots M.U.S.E.E.
Aucune poignée, aucun horaire, aucune indication...
Même chose le lendemain et le surlendemain.
Et puis, un jour, deux sonnettes sont apparues. L'une au nom de Marie-Chatale Gariépy et l'autre indique simplement "Le retraité".
Et la porte est légèrement entrebâillée.
J'entre.

Au fond du hall, j'aperçois un petit groupe. La visite des lieux vient à peine de commencer. Je presse le pas pour les rejoindre quand une voix m'interrompt.
- Monsieur, votre ticket !
La guichetière, qui se prénomme Violette d'après son badge, me tend un coupon.
- Je vous dois combien ?
- 18,50 €
- Vous pouvez me dire où je suis exactement ?
- Bien sûr ! Vous êtes au musée des crimes.
- Je vois ! Un peu comme le musée de la police qui se situe dans le cinquième arrondissement de Paris et qui est annexé au commissariat ? Et dans lequel on retrouve des mannequins de policiers revêtus de leurs anciens uniformes, des armes du crime, des photos des plus grands criminels de France ?
- Ah non, pas exactement. J'ai entendu parler de cet endroit en lisant le rapport de Danielle Thiéry sur "L'ombre d'Alphonse". Vous saviez d'ailleurs qu'un crime y avait été commis récemment ? Mais allez-y monsieur, vous pouvez rejoindre le reste du groupe. Vous aurez la surprise.

* * *

- A votre droite, vous pouvez distinguer la déesse de la compassion Kannon.
Je tourne la tête et aperçois une peau écorchée et tatoué de haut en bas. A la fois macabre et fascinant. le tatouage peut parfois être un art.
- Cette peau taxidermisée a été sobrement intitulé "Le chef d'oeuvre" et a été réalisée par Dominique Sylvain.
- Et à gauche, toujours inspiré par la culture asiatique, vous pouvez distinguer l'aquarelle de Claire Cooke, "Un thé pour le Gaijin." La toile représente le rituel du thé, effectué par une aspirante geisha. Quatre hommes y assistent : Trois japonais et un caucasien. Saviez-vous que certains Nippons superstitieux souffraient de tétraphobie, la peur du chiffre 4, associé à la mort ?

Notre guide de cet étrange musée des horreurs se nomme Richard Migneault. Ce Canadien n'en n'est pas à son coup d'essai. Il avait déjà inauguré une exposition intitulée "Crimes à la librairie" en 2014 et une autre en 2015 : "Crimes à la bibliothèque". Je n'ai pas assisté à la seconde mais la première m'avait attiré de par la présence de Patrick Senécal, un de mes artistes préférés.
Ces deux premières expositions avaient été sponsorisées par les éditions Druide et avaient pour originalité de n'avoir fait appel qu'à des créateurs québécois. Mais cette troisième galerie a trois spécificités. Elle dispose cette fois d'un partenaire supplémentaire français ( les éditions Belfond ), ses artistes sont uniquement des femmes ... et cette fois les oeuvres proviennent des deux côtés de l'Atlantique : Les québécois sont toujours à l'honneur mais ils sont accompagnés cette fois d'artistes européens ( France, Belgique ).

- Ici vous avez la reproduction d'une toile de Véronèse, signée par Catherine Lafrance et intitulée "Le christ couronné d'épines". 
Et la croix gammée au mur juste à côté ? Les tâches de sang au sol ? Un crime antisémite a été commis ici il y a peu, c'est une évidence. Mais non, aucune allusion, notre accompagnateur est déjà passé à autre chose. 
- Autre reproduction, celle du cri de Munch. le tableau de Martine Latulippe a été renommé "La vieille". En hommage à une dame âgée qui a perdu son fils dans d'horribles circonstances. Il avait fait le choix de devenir policier et a un soir été abattu par un mari violent. Voulant intervenir dans le cadre d'une querelle domestique, il a été accueilli par un coup de fusil qui l'a fauché net. de son vivant, son garçon était fasciné par cette toile, d'où cet hommage.

Continuant notre progression, je suis soudain assailli par une odeur pestilentielle. Comme un animal mort qui se décomposerait en plein soleil.
- Ne vous inquiétez pas pour l'odeur, elle vient de la création de Marie Vindy. "Charogne" a été déplacé dans les combles du musée. Ce sont deux corps d'amants en pleins ébats, encore emboîtés, tués d'une seule balle qui leur a transpercé le coeur à tous les deux. Une oeuvre magnifique mais un peu trop odorante avec cette chaleur. Nous l'avons éloigné un peu pour vous gêner le moins possible.

- Ici, vous pouvez contempler une couverture ornée de dentelle et de perles d'ambre et de turquoise. Si vous vous approchez suffisamment vous verrez que le prénom "Simon" y est brodé. C'est Elena Piacentini qui l'a réalisée. Elle a intitulé cette couture "Dentelles et dragons". Cette couverture est celle dans laquelle on a retrouvé le petit Simon Varaigne, un enfant adopté. Il ne tenait pas à retrouver ses origines mais l'infirmière soignant sa mère biologique, diabétique en phase terminale, les lui a apprises. Une bien drôle d'histoire !
- Barbara Abel a quant à elle mis sous formol, dans le bocal sur votre gauche, un cordon ombilical. Une composition au bon goût discutable qu'elle a appelée "L'art du crime.". Et en parlant de bébé, saviez-vous que s'il y avait des grossesses nerveuses, il existait également des cas de dénis de grossesse, que de futures mères pouvaient ignorer qu'elles étaient enceintes jusqu'à leur huitième mois ?

A côté de chacune de ces surprenantes productions, une petite affiche nous donne quelques éléments biographiques. Sont par exemple mentionnés les projets des différents artistes pour l'avenir, leurs principales réalisations, et leurs goûts respectifs quasiment systématique pour Oui-oui, fantômette et la comtesse de Ségur durant leurs plus jeunes années.

La pièce suivante est consacrée à deux vidéoprojections de courts-métrages. 
- Il ne faut pas oublier le septième art. le petit film qui se déroule sous vos yeux s'intitule "Mobsters' Memories" et c'est Andrée A. Michaud qui l'a réalisé. Inspiré de l'oeuvre de Chandler, vous y verrez un homme qui s'est attiré le courroux d'un chef mafieux, Jim Latimer, parce qu'il a approché sa femme de trop près. Les plus attentifs verront Al Capone ou encore un clin d'oeil au film Quai des brumes.
- le reportage qui suit est beaucoup plus engagé. Il a été tourné par Geneviève Lefebvre. Son film s'appelle "L'homme à la machette" et parle notamment du retour d'une inspectrice montréalaise au Rwanda, dont elle est originaire. Elle va notamment y chercher l'homme qui a tué son père en 1994, durant le génocide des Tutsis. Je préfère vous avertir que certains passages sont intolérables.

Le guide attire ensuite notre attention sur une photographie, au fond de la salle.
- Ici, vous avez une magnifique photo de l'Anatolie centrale, en Turquie. La photographie étant le huitième art. La photo a été prise par Florence Meney, qui a intitulé son cliché "La mort à ciel ouvert".
En arrière plan de ce magnifique décor escarpé, je distingue deux silhouettes. L'une fait une chute probablement mortelle dans un profond ravin tandis que l'autre a encore les bras tendus en avant. L'artiste aurait elle capturé un meurtre en direct en prenant cet instantané ?

Le premier art, c'est l'architecture. le second, la sculpture. Viennent ensuite la peinture, la musique, la poésie, la danse...
Est-ce que ça signifie que les nouvelles ou les romans ne sont pas considérés comme tels, à l'inverse des bandes dessinées ( neuvième art ) ou des jeux vidéos ( dixième art ) ?

- Avant de poursuivre, nous allons faire un petit détour par la cave. Nous ne pouvions pas placer ailleurs le travail particulier d'Ariane Gélinas.
Quelques mètres plus bas, neuf tombes ont été creusées, chacune étant attribuée à une muse.
- Ariane cherche toujours l'inspiration, mais ses rencontres avec Calliope, Clio, Erato, Uranie, Melpomène, Thalia et les autres n'ont pas été couronné d'un franc succès. Alors en attendant que ses sacrifices portent leurs fruits, voici "Les météores saignent", le fruit de ses obsessions.
J'ai la sensation d'étouffer. Je bouscule quelques personnes du groupe pour retrouver la surface.

- Face à vous, ces pages parcheminées ont été retrouvées par Stéphanie de Mecquenem. Elle est également parvenue à traduire son titre : "La mystérieuse affaire du codex maya" et à retranscrire une partie de son contenu. Il s'agit d'une vieille prédiction amérindienne. A la lecture on se croirait dans une vieille nouvelle d'Agatha Christie. Un homme meurt mystérieusement lors d'une visite du palais des Doges à Venise. La veille au soir il participait à un cocktail mondain où tous les hommes portaient un masque vénitien. L'un des prestigieux invités a probablement versé quelques gouttes de cyanure dans son verre. La seconde page est en revanche trop abîmée et je ne saurais vous en dire davantage sur l'identité du meurtrier présumé de Ferdinand de Brassac. 
- La sculpture "Renaissance" que voici n'est pas de Nathalie Hug, par contre c'est elle qui l'a entièrement restaurée ! Et qui y ajouté cette petite faucheuse sur l'épaule du garçon.
En effet, la statue montre une mère qui poignarde un homme en plein coeur tandis qu'en arrière plan, un jeune garon assiste à la scène. Sur son épaule, son amie la mort, rassasiée, semble le féliciter pour le travail accompli.
- Enfin vous pourrez admirer le tableau vivant de Claudia Larochelle. "Il faut savoir se salir les mains" a été librement inspiré des oeuvres anticonformistes de Bénédicte Lemire, qui a été acclamée en son temps mais aussi critiquée. L'exubérance dérange, inquiète.
En m'approchant je constate que l'oisillon qui s'apprêtait à s'envoler du nid et qui de loin me paraîssait bouger réellement ... est un véritable oiseau taxidermisé et collé à la peinture pour incorporer la toile.
Ou comment créer la vie à partir de la mort.

* * *

Croix gammée, cadavres, art douteux ... Je ne sais pas ce qui me prend mais de plus en plus mal à l'aise je m'écrie :
- J'exige de parler au directeur !
- Eh bien allons-y ! le bureau de monsieur François Charmant est au bout du couloir.
Mais la porte est fermée à clef. J'entends alors au travers une voix masculine.
- Virginie, vous avez des enfants à élever et aucune ressources, vous avez besoin de ce travail. Alors si vous ne voulez pas être renvoyée sur le champ, vous allez rester rester avec moi et faire quelques heures supplémentaires.
J'entends alors des bruits de vêtements qui se déchirent, des soupirs rauques qui ne parviennent pas à dissimuler les reniflements d'une Virginie en larmes. Je pense aussitôt au tableau de Degas intitulé "L'intérieur" mais plus communément appelé "Le viol" et qui aurait été revisité par une auteure telle que Karine Giébel. Au moment où je m'apprête à foncer vers la porte, je sens un objet se fracasser sur le haut de mon crâne et je tombe par terre, inconscient.

A mon réveil, je suis enfermé dans une pièce avec d'autres visiteurs. Je reconnais une vieille dame qui jouait également les touristes. Il y a également un homme en costume qui dégage un certain charisme, une jeune femme hyper sexy qui se prétend archéologue. La dernière personne, je la reconnais, je l'ai déjà vu quelque part ... Et puis ça me revient !
- Eh, vous là-bas, vous ne seriez pas Ingrid Desjours ?
- Si, c'est bien moi. Je me demande ce qu'on fait ici.
- Quelqu'un va venir nous chercher. Ils n'ont pas pu nous oublier !
- L'oubli, c'est "le second linceul" des morts. Vous connaissiez cette citation De Lamartine ?
- Pourquoi, vous pensez qu'on est morts ?
Notre étrange troupe se relève. Nous ne sommes pas enfermés mais nous sommes dans un véritable dédale souterrain.

- Alors vous avez pensé quoi de l'exposition ? me demande Ingrid
- Comme souvent dans ce genre de galeries qui présente différents artistes très différents les uns des autres, certains m'ont convaincu alors que d'autres pas du tout. C'est peut-être culturel mais j'ai globalement eu une préférence pour les oeuvres françaises.
- Et vous avez découvert des talents que vous ne connaissiez pas ?
- Assez peu au final, ce sont principalement ceux que j'appréciais déjà qui m'ont le plus ébloui. D'autres m'ont plu mais j'ai trouvé une petite moitié des oeuvres exposées assez laborieuses ou peu inspirées.
- Un dernier mot ?
- Juste deux réflexions. La première, c'est qu'il existe des expositions dont l'entrée et bien moins onéreuse et dont le contenu est davantage enthousiasmant, sans compter qu'une partie des profits va à des associations telles que les restaus du coeur. La seconde, c'est que j'espère que Richard Migneault ne prépare pas une quatrième rétrospective qui s'intitulerait Crimes dans les sous-sol du musée.
Sinon on est vraiment mal barrés.

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