A l'occasion de la sortie de son nouveau roman "Là où se cachent les âmes soeurs", Nathalie Hug se prête au jeu du "ceci ou cela".
J'ai crié ma solitude, ma douleur d'être oublié, j'ai crié mon désespoir d'entendre le bébé hurler, juste parce qu'il avait faim alors que moi j'en étais malade de chagrin.
Ma mère était un fantôme, mon père un inconnu et ce truc inutile aspirait tout l'amour de cette maison.
Autour d'elle, les sentiments étaient maigres, les gens se régalaient de merles en rêvant de grives. Eddie était certaine que la plupart d'entre eux ne rêvaient pas l'amour, ils rêvaient leur vie par manque de temps, excès de stress ou absence d'envie.
Soit ma mère avait eu un amoureux secret, soit elle avait décidé de me fabriquer avec des oeufs congélés, soit elle avait été violée, soit mon père était mort et elle l'ignorait, soit c'était un bandit et elle voulait m'épargner la honte, soit elle était la Sainte Vierge et moi le petit Jésus.
Oma Chouchou racontait tout le temps que les suicidés grillent en enfer pour toujours. Moi, je ne crois ni au paradis ni à l'enfer, c'est une invention des curés pour forcer les gens à obéir.
Bientôt les canons cesseraient de labourer les cadavres, les bois et les prés, et un autre combat débuterait. Il faudrait soigner les blessés, soutenir les vivants, guérir le corps et le cœur des femmes, enterrer les morts et retrouver les disparus.
Tout serait à reconstruire, les murs et les gens.
- J'ai entendu dire que vous aviez pratiqué un avortement dans un village voisin, et que vous proposiez à vos patientes des méthodes de contraception. Vous savez que l’Église condamne ce genre de pratiques.
- Nous n'avons avorté personne, m'irritai-je, mais sauvé de la mort une femme dont l'enfant était condamné. Nous devions la laisser agoniser, c'est ça ? Au nom de quoi ?
- Mais l'enfant à naître est une créature de Dieu, vous n'avez pas le droit de...
- Bien sûr, m'esclaffai-je, j'ai le droit de regarder mourir une patiente les bras croisés !
- Louise, vous ne me comprenez pas bien . Donner la mort ou empêcher la vie ne sont pas des prérogatives humaines.
- Allez dire à cette femme qu'elle devait mourir au nom de Dieu ! Et aux filles violées par leur père, ou par des déments, qu'elles doivent se réjouir d'être enceintes ! Et tant que vous y êtes, allez expliquer aux putains qu'elles ne doivent pas se prémunir d'une grossesse ! Ou mieux, pauvre curé que vous êtes, ajoutai-je folle de rage, demandez donc à votre Dieu qu'il s'incarne pour le leur dire lui-même ! Et quand il l'aura fait, alors seulement j'irai me confesser !
Allez dire à cette femme qu'elle devait mourir au nom de Dieu ! Et aux filles violées par leur père, ou par des déments, qu'elles doivent se réjouir d'être enceintes! Et tant que vous y êtes, allez expliquer aux putains qu'elles ne doivent pas se prémunir d'une grossesse ! Ou mieux, pauvre curé que vous êtes, ajoutai-je folle de rage, demandez donc à votre Dieu qu'il s'incarne pour le leur dire lui-même ! Et quand il l'aura fait, alors seulement, j'irai me confesser.
Déchirée entre ce qu'elle pourrait être et ce qu'elle avait été. L'âme d'une femme incendiée par la vie, perdue entre deux rives.
Dès le début de la guerre, [ma mère] m'a appris à gérer les stocks et à quitter la table avec la faim au ventre. Ce qui compte, disait-elle d'un air sévère, ce n'est pas d'être rassasié, c'est d'avoir assez de force pour courir vite. (p. 95)
J'avais grandi dans le vide de ma mère, dans le manque de tout, dans la douleur des travaux de forçats auxquels on me soumettait, dans l'euphorie de l'alcool qu'on me faisait ingurgiter pour étouffer mes pleurs quand après avoir labouré des heures, je devais passer la nuit à ensemencer les champs, courbée au-dessus des sillons.
J'avais grandi dans l'idée que la vie n'était que souffrance, et qu'il me fallait accepter ce sort, puisque tel était celui que Dieu m'avait choisi. Ce Dieu que je devais chanter le dimanche, tellement fourbue par ma semaine que je ne parvenais plus à me lever pendant la messe, quand le curé me l'ordonnait. Ce même Dieu qui m'avait enlevé mes parents d'abord, puis Hortense, la frappant de la vérole, et qui nous avait livrées à des soudards, la Vieille et moi.