MONUMENTAL
Voilà le mot qui me vient à l'esprit une fois ce livre refermé.
Et pour 2 raisons, la première pour la qualité éditoriale de cet ouvrage. Plus de 1300 pages, pas moins de 13 contributeurs, des découvertes par dizaines, des heures de lecture, 1 nouvelle traduction. du haut de ce volume 3 siècles de littérature nous contemplent,
"Une occasion unique d'embrasser la beauté de cette oeuvre fondatrice et d'en mesurer toute sa modernité."
Oublions ce que nous savons sur
Homère pour mieux s'en souvenir, comme le dit
Hélène Monsacré dans son introduction :
"Nous pensons être familiers de toutes ces légendes d'un autre temps (on situe le moment de la composition des deux poèmes autour du VIIIe siècle avant notre ère), mais, en fait, nous connaissons bien peu des richesses que contient cette poésie. Il faut y entrer, la parcourir, la fréquenter pour goûter l'incomparable beauté qu'elle recèle.
Comme Pénélope, il faut ruser pour échapper au sentiment de familiarité, et se laisser porter par le souffle de cet imaginaire ancien qui ne se présente pas à nous de manière linéaire : emprunter les détours, souvent désordonnés et contradictoires, qui offrent un début et une fin à l'Iliade. Car sous l'étiquette commode de poésie d'
Homère réside en réalité un vaste ensemble de textes, de légendes, de morceaux épars qui, écrits avec le vers épique, l'hexamètre dactylique, évoquent un monde de héros, un monde révolu, celui des temps de l'effondrement de la civilisation mycénienne, autour de 1200 avant notre ère, celui de la guerre de Troie.
Les causes de cette guerre entre Grecs et Troyens, la description de la mort d'Achille, le héros central du poème, nous les apprenons d'autres récits épiques, plus ou moins contemporains d'
Homère : ceux du Cycle troyen, dont seuls quelques morceaux nous sont parvenus. Ces légendes de la geste troyenne, qui racontaient certains épisodes absents d'
Homère étaient connues dès la plus haute Antiquité et participaient de la même tradition : le combat d'Achille avec Penthésilée, la reine des Amazones, alliée des Troyens, l'exécution brutale de Priam, le vieux roi de Troie, par Néoptolème, le fils d'Achille, le retour des Grecs dans leur patrie, etc. Rassemblée pour la première fois en un seul volume, à côté du texte d'
Homère, cette collection de légendes offre à l'amateur de littérature ancienne, mais aussi, et surtout, à un public plus large que celui des spécialistes un ensemble qu'il n'a jamais approché dans son entier."
Alors dans cet ouvrage on y retrouvera bien les 2 oeuvres maîtresses de l'aède : l'Iliade dans une nouvelle traduction de
Pierre Judet de la Combe ;
l'Odyssée dans sa traduction "canonique" de
Victor Bérard ;
Mais également
les Hymnes homériques qui forment un corpus bigarré de trente-trois textes, de longueur inégale (de 3 vers pour l'Hymne II à Déméter à 580 pour l'Hymne I à Hermès) et de contenu divers, et qui ne sont ni plus ni moins que des offrandes poétiques au(x) Dieu(x). Des oeuvres "À mi-chemin entre la poésie théogonique et la poésie héroïque" ;
Les Scholies qui méritent une petite explication : "Le texte homérique nous est parvenu sur des fragments de papyrus et surtout sur des manuscrits, dont la plupart présentent, outre le texte lui-même, des notes, explications, commentaires discontinus, qui constituent les scholies ; le nom grec [skholion,-ou], neutre, est un dérivé de [skholè,-ès], féminin, « loisir » d'où « occupation de loisir, étude », et signifie « commentaire, notice ». ". Ces Scholies donnent un bon aperçu de la manière dont l'Iliade était lue et interprétée à l'époque de leurs rédacteurs ;
Le commentaire à l'Iliade d'Eustathe : évêque métropolite de Thessalonique, qui vécut au XIIe siècle. Son commentaire à l'Iliade et son commentaire à l'Odyssée s'attachent à la forme des mots plutôt qu'au style. Il s'intéresse à l'étymologie, à la vie des mots et à leur histoire depuis les anciens jusqu'à son temps, tel un archéologue des mots ;
Les Divertissements homériques, pour lesquels il ne reste que des fragments. Les 2 plus complets sont la Batrachomyomachie. Un poème de près de trois cents vers, qui relate une guerre d'un genre peu commun, celle qui survient entre des grenouilles et des rats ;
Les Vies d'
Homère : au nombre de 10 d'
Hérodote à Jean Tzetzès (grammairien et poète byzantin du XIIe) ;
Un lexique des principaux personnages qui n'est pas de trop et tellement bien écrit ;
Une postface d'
Heinz Wismann : philosophe franco-allemand, helléniste et philologue ;
Les fragments du Cycle troyen : car surprise, le cycle troyen en ne se résume pas aux 2 poèmes que nous connaissons bien. Les poèmes sur la guerre de Troie, regroupait huit oeuvres : les Cypria ou les Chants Cypriens, l'Iliade d'
Homère, l'Éthiopide d'Arctinos de Milet, la Petite Iliade de Leschès de Mytilène, le Sac de Troie d'Arctinos de Milet, les Retours d'Hagias de Trézène, l'Odyssée d'
Homère et la Télégonie d'Eugammon de Cyrène. Et bien ici sont regroupés les fragments de ces oeuvres telles les pièces d'un puzzle qui malheureusement restera à jamais incomplet, mais qui grâce à cet ouvrage retrouve quelques-unes de des pièces. Cette partie est absolument jubilatoire car on a l'impression de redécouvrir ces textes ou plutôt de on en sait plus sur le Cheval de Troie, le sac de Troie car le récit de la chute de Troie ne figure pas dans l'Iliade et l'Odyssée.
C'est dans l'Énéide de
Virgile qu'on va en trouver le récit le plus complet. Idem sur le destin des troyens rescapés.
Prenons l'exemple du cheval de Troie Il y est évoqué à deux reprises dans l'Odyssée (aux chants IV et XI)
"Dans le cheval de bois, je nous revois assis, nous tous, les chefs d'Argos qui portions aux Troyens le meurtre et le trépas." (Odyssée - Chant IV - traduction
Victor Bérard)
"Et quand on s'embarqua dans le cheval de bois qu'avait fait Épeios ! Tous les chefs étaient là ; c'est moi qui commandais pour ouvrir ou fermer la porte de la trappe. Parmi ces conseillers et doges danaens, ah ! j'en ai vu plus d'un qui, s'essuyant les yeux, tremblait de tous ses membres ! Mais lui, pas un instant, je ne pus voir pâlir son beau teint ni couler sur ses joues une larme. Priant et suppliant qu'on sortît du cheval, tourmentant la poignée de son glaive, agitant sa lourde lance en bronze, il ne pensait, ton fils, qu'au malheur des Troyens. Quand nous eûmes, enfin, saccagé sur sa butte la ville de Priam et qu'avec son butin et sa prime d'honneur, il se remit en mer, il était sans blessure : coups des armes à pointe ou plaies du corps à corps, il avait échappé aux aveugles surprises que la fureur d'Arès sème dans le combat."
(Odyssée - Chant XI - traduction
Victor Bérard).
On devrait pouvoir, à de rares exceptions, donner 6 étoiles pour des livres qui vont au delà de nos espérances, au delà de ce que nous pouvons ressentir, au delà de nos connaissances .
Car dans le cas présent, et pour tout amateur de textes antiques, ouvrir les pages de ce livre c'est comme ouvrir un coffre au trésor....
Un coffre laissé trop longtemps fermé, ou
Un coffre qui aurait un double fond dans lequel on ne cesserait de découvrir des trésors trop longtemps cachés à nos yeux, encore et encore... .
En tout cas une chose est certaine une fois la lecture terminée et le livre refermé, on se rend compte qu'
Homère est un auteur que nous connaissons sans vraiment le connaître, tant il est pluriel. Comme le dit
Heinz Wismann : "la multiplicité des éléments réunis dans le volume peut faire penser que,
Homère, c'est une espèce de diversité ouverte sur un ensemble de variations et qu'il est impossible d'y trouver un principe d'unité."
"Lire
Homère nous incite à nous interroger sur le rapport qui existe entre mythe, mythologie et philosophie.
Homère n'est pas un état primitif antérieur à
Hésiode, son oeuvre n'est pas un assemblage disparate de mythes, c'est une entreprise volontariste qui consiste à préserver la liberté de toutes les tensions, les contradictions qui peuvent exister dans une tradition transmise.
Homère multiplie les possibilités de faire signifier les mythes. Dans l'univers du mythe, il y a une variété de chaînes causales, parce que tel événement est plus particulièrement rapporté à telle divinité qui loge plutôt ici que là.
Les deux poèmes sont faits pour que celui qui y pénètre perde pied. Entrer dans
Homère, c'est faire l'expérience d'une forme de volupté poétique, de ne pas se laisser conduire à une signification unique.
Il potentialise le mythe, il est un absolu littéraire, c'est la littérature absolue…"
Et c'est bien de cela qu'il s'agit un coffre aux trésors, trésors absolus venu(s) de l'Antiquité,
on en ressort plus riches, reste à chacun d'y trouver sa richesse, richesse absolue .....