AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur L'homme pressé (79)

Le soleil patine le faux Louis XVI de la chambre, entre en séton dans l'atmosphère tiède ; les bûches mouillées moussent dans le poêle, mêlant l'humidité à la chaleur, faisant régner dans cet appartement de Saint-Germain une saison de pluies caraïbe.
Commenter  J’apprécie          00
Cette grosse nabote alitée avait mis au monde ces trois filles dont la moins grande comptait un mètre soixante-dix. Quand elles se groupaient, on aurait dit les sibylles de la Sixtine : tout y était, les proportions, les attaches, le port de la tête. Elles ne pouvaient manier un balai ou une poêle sans avoir l'air de tenir des cornes d'abondance ou des mains de justice. Ce n'est pas un chapeau qu'elles eussent dû avoir sur la tête mais un chapiteau. La mode ne mordait pas sur elles car elles étaient à l'échelle de tous les temps. Sur elles les vêtements glissaient. Pour de telles femmes, il n'existe pas d'hommes en notre époque, ni surtout en notre pays. Les filles Boisrosé n'avaient aucun succès parce que chez nous le succès chausse du trente-six, gante du six, parce que le succès se joue sur des pointes d'épingle comme la foudre domestiquée. L'échec les guettait ; elles avaient la taille du guignon car ce qui est très grand se casse ou se perd : le Nil dans les sables ou Mermoz dans l'Océan. Les Boisrosé étaient comme ces immenses tapis d'Aubusson, ces coffres géants du XVIIe siècle qui aux enchères se vendent à vil prix parce que personne n'a de camionneur pour les soulever ni d'appartement pour les loger. Ces êtres humains à taille d'allégories étaient simples et indécis, différant en cela des allégories qui n'ont ni simplicité, ni mystère et livrent leur nom inscrit au bas de leur robe. Aux sibylles elles empruntaient un côté vague et sombre ; elles étaient les ornements voyants d'un temple invisible au non-initiés, le temple de la Mère. C'étaient des Templiers femelles, les filles Porte-Glaive de l'ordre utérin.
Commenter  J’apprécie          00
Bonne de Boisrosé n'était ni bonne ni aimante ni intelligente ; elle n'avait ni gentillesse ni vitalité, au contraire, et pourtant les trois filles, si différentes l'une de l'autre, eussent accepté avec joie de ne jamais se marier, de mourir dans les tourments pour donner à leur pauvre mère confort et bonheur. Elle leur avait inculqué, sous l'étiquette commode d'amour filial, tout un ensemble de tabous et d'impulsions aussi impérieuses que les lois de la chute des corps. On n'avait jamais constaté chez Bonne cet effacement heureux de la plupart des mères à mesure que leurs enfants croissent en force et en beauté. Plus ses filles grandissaient et plus les exigences mamichesques, sa personnalité despotique, rayonnante et nulle s'affermissaient. Car il existe une vigueur infirme de l'âge, un génie entêté de l'inefficacité, un chantage domestique de la faiblesse avec lesquels les romanciers et les historiens, ces frères siamois de notre époque, doivent compter.
Commenter  J’apprécie          00
Cléopâtre mit une perle dans du vinaigre, le vinaigre dans un vase et but. Dans cette courte légende tiennent les Boisrosé : Fromentine, la plus jeune et la plus belle, c'est Cléopâtre ; Hedwige, la plus brillante et la plus fine, c'est la perle ; Angélique, la plus mordante, la plus fermentante, c'est le vinaigre. Et que fait là-dedans Bonne de Boisrosé sinon le vase ?
Commenter  J’apprécie          00
Jeunes et superbes, ces trois filles travaillaient et n'avaient pas trop de vingt-quatre heures pour bénir leur mère de les avoir élevées sans soins, sans religion, sans dot et presque sans y penser.
Commenter  J’apprécie          00
N'osant appeler leur mère maman, elles lui ont donné le surnom de Mamicha. Ainsi, les religions primitives évitent de nommer le dieu par respect suprême. C'est bien une idolâtrie élémentaire que celle dont Bonne de Boisrosé fait l'objet. Pour ses filles elle est la déesse-eau, la déesse-vache, la déesse-arbre. Et comme un arbre à l'automne domine la terre jonchée de ses fruits, Bonne assise sur une pile d'oreillers voit tout le jour ses filles étendues sur son lit à ses pieds, l'adorer ; et la servir suivant un certain nombre de rites applicables au hasard et à l'ordinaire de la vie dont parfois elles osent sourire en tremblant et qu'elles désignent d'un mot : le Règlement.
Commenter  J’apprécie          00
Pendant qu'Angélique mettait le couvert et que Fromentine graissait la poêle, Mme de Boisrosé s'ouvrit l'appétit en vidant une boîte de chocolats. C'était une femme de quarante-huit ans qui, les jours où elle faisait toilette et se peinturait en blanc, arrivait à n'en paraître que soixante, car chez les créoles la nature met les bouchées doubles. Sur ses trois filles Mme de Boisrosé régnait à la manière du Roi-Soleil. Les trois demoiselles Boisrosé seraient célèbres pour leur beauté si elles voyaient du monde, mais elles ne connaissent personne. Elles vivent à Saint-Germain, ville pourtant reliée à Paris par quatre-vingt-dix trains quotidiens, comme dans un champ de cannes à sucre. Aucune nouvelle n'y pénètre, le monde extérieur ni le présent ne leur font signe ; elles s'épanouissent dans un bonheur collectif hermétique et pneumatique.
Commenter  J’apprécie          00
La famille Boisrosé, installée là depuis le jugement en séparation qui avait refoulé M. de Boisrosé vers sa retraite du Mas Vieux laissant les trois filles à leur mère, tient en plein jour une veillée funèbre en l'honneur du défunt. Les quatre femmes, qui n'avaient pas revu le vieil ermite depuis neuf ans, se sont découvert pour lui, en apprenant sa mort, un immense amour. L'éloignement, la jalousie, les querelles, le ressentiment n'empêchent pas l'amour, affection reptilienne qui se mord la queue et se nourrit volontiers de son contraire. Ce qu'appréciaient avant tout les dames de Boisrosé dans ce deuil, c'était le choc nerveux, la stimulation lacrymale provoquée par l'événement imprévu, l'idée de la douleur éveillant bientôt la douleur elle-même, enfin une exaltation magique analogue aux transports des funérailles nègres, le tout aboutissant à une apothéose française de l'esprit de famille. En sa chienne de vie, M. de Boisrosé avait poussé de nombreux soupirs ; seul le dernier fut entendu.
Commenter  J’apprécie          00
Rien n'est plus épuisant que de ne pas réussir son sommeil ; il y a une lassitude horizontale que ne connaîtront jamais les gens actifs.
Commenter  J’apprécie          00
Si j'étais seul au monde, je me porterais à merveille ; mais il y a les autres.
Commenter  J’apprécie          00






    Lecteurs (488) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

    Françoise Sagan : "Le miroir ***"

    brisé
    fendu
    égaré
    perdu

    20 questions
    3677 lecteurs ont répondu
    Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

    {* *}