C'est parce que ce livre m'a énormément touchée que je ne conseille pas sa lecture auprès de n'importe qui. Comprenez bien : c'est une lecture nécessaire, un texte à la narration originale et à la plume juste, dont la poésie parfois glaçante sert toujours le propos. Mais la force de ce livre est telle que, à l'instar d'une consultation psychiatrique, il vaut mieux veiller d'abord à ce que les personnes fragilisées qui se trouveraient dans l'engrenage décrit par
Eloy Moreno aient l'occasion de lécher leurs plaies avant de se confronter à cette fiction parfois trop vraie. Comme l'auteur le rappelle avec finesse, les victimes – les survivants, pour reprendre le terme très intelligent qui survient dès les premiers chapitres – recouvrent leur vécu présent d'un voile qui leur donne une illusion de contrôle mêlé d'idées noire. C'est à celles-ci que je pense, et qu'il faut impérativement veiller à ne pas nourrir.
Je me suis reconnue. C'était une lecture à fleur de peau voire écorchée, tantôt dévorée, tantôt difficile. Chaque personnage est construit avec beaucoup d'intelligence, jamais mauvais, toujours piégé. Aucun autre n'aurait pu les remplacer aux rôles qu'ils occupent dans un système patiemment disséqué par l'auteur, compréhensif quand il doit l'être, et sentencieux quand il le faut.
La montée – ou plutôt la descente vers le climax est écrasante, d'autant plus inéluctable que le roman ouvre sur les conséquences, montre les causes et culmine avec l'acte. Une construction qui pourra sembler cynique à certains, puisqu'elle invite le lecteur à relire, créer une boucle à laquelle lui seul peut mettre un terme : en agissant. C'est un peu pour les mêmes raisons que ce lecteur pourra se retrouver déçu face à une fin à ce point ouverte qu'elle laisse un goût d'inachevé.
C'est un livre qui contient autant d'amour que de sévérité, de tendresse que de rage. Un coup de coeur qui mérite sa traduction française, dans l'espoir qu'un dragon ou deux le fera étudier à sa classe.