Parce qu'elle s'est trop investie dans une affaire de disparition et a outrepassé les limites de ses compétences, la jeune inspectrice Sadie Sparrow est priée de s'éloigner quelque temps de Londres. Son grand-père vit en Cornouailles. C'est là que Sadie va se mettre au vert. Mais, chassez le naturel... Pendant son jogging matinal, Sadie découvre une propriété qui, semblable au château de la Belle au Bois dormant, paraît figée dans le temps, comme si, un beau jour, ses occupants l'avaient tout simplement abandonnée. Curieuse, Sadie entreprend quelques recherches qui lui font découvrir un terrible événement. Pendant la fête du solstice 1933, le petit Théo a disparu et on ne l'a jamais retrouvé. Que s'est-il donc passé ce jour-là à Loeanneth ?
Le roman de
Kate Morton couvre près d'un siècle. Sadie entreprend son enquête en 2003 et se plonge dans le passé de la famille Edevane, propriétaire de Loeanneth, la maison du lac. En 1911, Anthony et Eleanor se rencontrent, la Première Guerre mondiale arrive, Anthony est envoyé sur le front en France. Théo disparaît en 1933. Clemmie, la benjamine, passionnée d'aviation, s'engage comme pilote lors de la Seconde Guerre mondiale. Loeanneth tombe dans l'oubli pendant septante ans. En 2003, Sadie s'y intéresse et va exhumer le passé. Aussi, si le propos de
Kate Morton est de nous plonger dans les secrets d'une famille, sa toile de fond est bien plus épaisse.
Pendant la guerre 14-18, Anthony connaît l'horreur des gaz asphyxiants et, bien plus graves et moins visibles, les traumatismes psychologiques qui le tourmenteront toute sa vie. Comme à cette époque, la psychiatrie n'a pas encore fait les progrès que nous connaissons aujourd'hui, Eleanor est pratiquement seule pour gérer le domaine, ses enfants et les crises de démence d'Anthony, qu'il convient de cacher à tout le monde.
Beaucoup de personnages apparaissent, entourant la famille Edevane, dans les années 30, ou Sadie, en 2003. Mais trois femmes dominent nettement les autres protagonistes.
Eleanor a un caractère bien trempé. Depuis l'enfance, elle s'oppose à sa mère, la rigide Constance deShiel, qui, apparemment, n'éprouve pour elle ni tendresse, ni amour. Eleanor compense en vouant à Henri, son père, une véritable adoration. Elle a aussi un confident, Daffyd Llewellyn, qui a abandonné la médecine pour se consacrer aux arts. Ainsi, il a transformé la fillette en véritable héroïne, lui consacrant un ouvrage merveilleux, « Eleanor sur le seuil magique », qui devient un livre-culte.
A la mort d'Henri, Eleanor se voit contrainte de quitter le domaine enchanté, grevé par les dettes de sa mère.
A Londres, elle fait la connaissance d'Anthony, un étudiant en médecine, qui lui offre le plus beau des cadeaux : le retour à la terre natale. Quoi d'étonnant donc de voir Eleanor éprouver pour lui un amour sans limites. Quand la guerre est déclarée et qu'Anthony s'engage, Eleanor reste seule pour gérer Loeanneth. Elle le restera à jamais, puisque son époux a laissé une part de lui-même dans les tranchées. Anthony, dont les mains tremblent, doit renoncer à son rêve de devenir chirurgien. Il étudie les sciences dans son bureau, tout en haut de la maison du lac, et ses filles l'aident parfois à constituer son herbier ou une collection d'insectes, bien que les voir épinglés leur cause une certaine appréhension. Eleanor se transforme alors en « Mère », qui veille au bien-être des siens et assume seule les crises de violence, de démence, de son mari. Personne ne doit le savoir. Tout doit rester lisse en apparence.
Sa fille Alice a reçu, pour son anniversaire, un carnet qui, depuis, est son plus fidèle compagnon. Jamais il ne la quitte. Elle y note des phrases, des pensées et y caresse ses premiers rêves de romancière. On la voit aux prises avec les difficultés de la création, abandonnant une idée pour en trouver une meilleure, cherchant inlassablement les ressorts les plus aptes à capter l'attention du lecteur.
Bien qu'elle ait l'air lointaine ou absente, il ne faut pas s'y tromper. Son regard acéré intercepte les moindres secrets. Elle est à l'affût de chaque situation intéressante susceptible d'un jour figurer dans son oeuvre. A quinze ans, elle s'entiche d'un aide-jardinier. Toute son attention se focalise sur lui, si bien que, pour la première fois, ses capacités d'observation seront prises en défaut, justement lorsque disparaît son petit frère. Ce qu'elle ne se pardonne pas.
Et la voici maintenant en 2003, âgée de quatre-vingt-six ans. Elle hérité de Loeanneth, mais n'a plus voulu y remettre les pieds. Devenue un auteur policier à succès, elle a créé le célèbre personnage du détective Diggory Brent. Elle règne dans son bureau, telle une impératrice du crime et, comme les techniques modernes ne l'intéressent pas, elle a besoin d'un assistant qui répondra au courrier des lecteurs et créera un site internet. Cette perle doit être cultivée, littéraire, rompue aux arcanes de l'informatique et avoir tact, patience et sang-froid pour supporter les exigences de sa majesté. Seul Peter Obel rassemble toutes ces qualités. Il ne se contente pas de dompter le web, d'accueillir les demandes des admirateurs et de tenir tête aux exigences de la maison d'édition, il lui prépare du thé, lui laisse un repas dans le micro-ondes, lui apporte un châle quand le temps se couvre.
Enfin, Sadie Sparrow, la jeune inspectrice, ne vit que pour son travail. Il lui tient tellement à coeur qu'elle commet une erreur dans l'affaire Bailey. Alors que ses supérieurs accordent foi à la version du mari qui présente sa femme comme une écervelée irresponsable, partie sur un coup de tête en abandonnant leur fillette, Sadie est émue par la grand-mère, certaine que Maggie est incapable d'un tel acte. Si elle a laissé Caithlyn, c'est qu'il lui est arrivé malheur. Frustrée de devoir classer l'affaire, Sadie se réfugie en Cornouailles. L'inactivité lui pèse. Lorsqu'elle découvre, par hasard, cette vieille énigme non résolue, elle s'y investit corps et âme.
Bien qu'impatiente de connaître le fin mot de l'histoire, je ralentissais ma lecture, désolée d'approcher le moment fatal où il me faudrait abandonner des personnages et des lieux auxquels je m'étais attachée.
Passionnée de littérature, j'aimais beaucoup voir Alice affronter les difficultés de la création : « Diggory Brent sortit de la morgue et repartit vers son bureau. Et... ? Les doigts d'Alice flottèrent un instant en l'air. Que dire ? Chemin faisant, il se disait... Oui, que se disait-il ? Aucune idée ne lui vint. »
Tourmentée par un « tic-tac sinistre qui l'empêchait de dormir depuis le vendredi soir », Alice fait appel à la société de destruction de nuisibles de David Obel. « A peine David avait-il posé sa sacoche au pied du mur et plaqué un verre contre l'enduit pour entendre la bestiole, qu'Alice déclara : « Ce doit être l'horloge de la mort, la grosse vrillette, Xestobium... - ...rufovillosum » avait murmuré Peter à l'unisson. Avant d'ajouter (…) « comme dans le Coeur révélateur. » Si je ne connaissais pas le nom savant de l'insecte, j'avais, moi aussi, reconnu le conte d'
Edgar Poe.
Aussi, j'ai vraiment adoré cette lecture qui rassemblait tous les ingrédients pour me plaire : histoire de famille avec des secrets bien gardés, domaine d'enfance un peu magique (Loeanneth me renvoyait à la nostalgie de notre propriété de Néthen), de la littérature, des liens d'affection très forts entre père et fille, de beaux personnages féminins, et enfin, une intrigue bien menée, bien construite, qui rassemble, petit à petit, tous les indices semés au fil des pages, et qui m'a totalement séduite. J'avais déjà adoré «
La scène des souvenirs ». J'ai acheté tous les autres romans de
Kate Morton.
Je remercie de tout coeur l'Opération Masse Critique et les
Presses de la Cité, qui m'ont offert, à travers ces pages, des heures de pur bonheur littéraire.