Le Jardin des Secrets

La dernière fois qu'elle avait mangé, c'était la veille au soir, le brouet maigre de la Swindell... Elle fut tellement affamée, tout d'un coup, qu'elle eut la bouche sèche.
Le fumet s'accentua à mesure qu'ils approchaient de leur but : une immense cuisine pleine de vapeur. Quelques servantes et une cuisinière bien en chair cessèrent de bavarder pour regarder qui venait. Dès qu'ils se furent éloignés, elles échangèrent toutes en mêmes temps des murmures excités. Songeant qu'elle était passée tout près de la nourriture, Eliza eut des larmes aux yeux et saliva comme si elle avait avalé une poignée de sel.
Au bout du couloir, une femme très maigre, à la taille indiscernable et aux traits figés par la rigueur, sortit d'une pièce adjacente.
- Est-ce la fameuse nièce, monsieur Thomas ?
- Oui, Madame Hopkins.
- Et vous êtes sur qu'il n'y a pas eu erreur sur la personne ?
- Oui, Madame, malheureusement j'en suis sure.
- En tout cas, on voit qu'elle vient de Londres.
Eliza crut comprendre que ce n'était pas un compliment.
- Ça oui ! J'avais dans l'idée de lui faire prendre un bain avant de la présenter à Madame.
La femme pinça les lèvres, puis poussa un bref soupir résolu.
- J'ai beau être d'accord avec vous, je crains que nous n'en n'ayons pas le temps. Madame nous a déjà fait savoir son mécontentement d'avoir eu à attendre si longtemps.
Encore "Madame"...Eliza se demanda qui cela pouvait bien être.

"La chaumière ne comportait pourtant rien de très menaçant au premier abord. La nature avait envahi le jardin et la nuit tombante se déversait dans tous les coins en s’installant dans des poches d’ombre fraîche. Un étroit sentier partait en direction de la maison pour bifurquer furtivement devant la porte d’entrée et sinuer à travers le jardin. Au fond se dressait une statue solitaire, maculée de lichen verdâtre. Elle représentait un chérubin nu au milieu d’un parterre; ses grands yeux étaient de toute éternité tournés vers la chaumière. Non, pas un parterre ; un bassin ornemental. Nell rectifia mentalement à une telle vitesse et avec une telle certitude qu’elle vacilla et dut se retenir à la grille. Comment pouvait-elle savoir ça ?

Alors le jardin se mit à changer sous ses yeux. Et les mauvais herbes qui s’y accumulaient depuis des décennies régressèrent, les feuilles mortes se soulevèrent pour révéler des sentiers, des plates-bandes fleuries, un banc… Le soleil fut à nouveau autorisé à y pénétrer; il fit aussitôt miroiter la surface du bassin. Et Nell se retrouva à deux endroits à la fois : elle était en même temps une dame de soixante-cinq ans au genou meurtri, agrippée à un portail rouillé, et une petite fille aux longs cheveux tressés qui, assisse sur l’herbe fraîche et moelleuse, remuait ses doigts de pied dans l’eau… »

Depuis qu'elle avait découvert ce recueil de contes de fées, et qu'elle s'était immergée dans ses pages fanées, elle savait que les histoires avaient le pouvoir magique de combler les manques et de soigner les plaies

« Elle avait passé trop de temps à s’égarer dans les regrets. Il était temps de répondre aux questions, de savoir qui elle était. »

L'air n'était pas le même, ici. Le ciel non plus. Il lui paraissait plus haut et plus lumineux. Rien à voir avec l'éternel plafond bas de Londres, qui menaçait constamment de s'abattre sur la ville. Ici, le ciel était comme chassé dans les hauteurs par la brise marine tel un grand drap blanc un jour de lessive ; par-dessous, l'ai le faisait gonfler, de plus en plus haut...

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Rose aimait les fleurs, mais surtout, Eliza les choisirait de manière à représenter le lien qui les unissait. Il y aurait des géraniums à feuille de chêne, qui symbolisaient l'amitié, des roses roses pour le bonheur, et du myosotis pour le souvenir...

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J'éprouve une immense gratitude à l'égard de ceux qui,par leurs oeuvres, ont enflammé mon imagination enfantine et m'ont donné un amour des livres et de la lecture qui ne m'a jamais quitté une seconde.

Mais tu vas t'en sortir, tu verras. C'est toujours triste de perdre quelqu'un qu'on aime, mais quand c'est une personne âgée c'est moins grave. C'est dans l'ordre des choses. C'est bien pire quand ça arrive à quelqu'un de plus jeune, parce que... p.33

...
- J'ai l'impression que plus on approche de la vérité, plus la pelote est emmêlée, soupira- t-elle.
- Et si elle avait bel et bien accompagné Nell ? Il lui est peut être arrivé quelque chose pendant la traversée. Elle a pu tomber malade. Clara parait sûre qu-elle est partie.
- Oui, mais Nell s'est rappelé qu'Eliza l'avait fait monter sur le bateau en lui disant de l'attendre et n'est jamais revenue. C'est une des rares choses dont Nell ait eu la certitude. Zut, que c'est contrariant ! s'exclama t-elle en rongeant l'ongle de son pouce. Et moi qui croyais qu'aujourd'hui on obtiendrait des réponses ! Voilà qu'on se retrouve avec un tas de questions supplémentaires.
- Une chose est sûre : L'Oeuf d'or ne parle pas de Mary ; c'est sa propre histoire qu'Eliza a racontée. C'était elle la jeune fille du cottage dans la forêt.

Elle dit que les portraits ne sont pas ce qu'il a fait qu'il a fait de mieux, qu'il manquent un peu de vie...
- Il y a longtemps que je ne m'intéresse plus à ces choses-là...
- Elle préfère ses dessins. Cela dit, c'est bien son genre d'aller à contre-courant de l'opinion générale.
- Quel genre de dessins ?
- Des illustrations pour magazines.
Tout à coup, la lumière se fit jour dans l'esprit de Cassandra.
- Le renard et le labyrinthe !
Ben eut l'air perplexe.
- Vous ne connaissez pas ? C'étaient - ce sont - des dessins splendides, incroyablement détaillés !
Il y avait longtemps qu'elle ne se préoccupait plus d’histoire de l'art, et son propre enthousiasme la surprit.
- On a parlé de Nathaniel Walker un jour, dans un cours sur Aubrey Beardsley et ses contemporains, reprit-elle. Si je me souviens bien, il était assez controversé, mais je ne sais plus pourquoi.
- C'est aussi ce que m'a dit Ruby. Vous allez bien vous entendre. Elle était tout excitée quand j'ai parlé de lui. Quelques-unes de ses illustrations figurent dans la nouvelle exposition organisée par son musée ; j'ai cru comprendre qu’elles étaient assez rares.
- Il n'en a pas laissé beaucoup, en effet, se rappela Cassandra. Sans doute trop occupé par ses portraits ; les illustrations devaient être un passe-temps.