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sur 33 notes
Publié en 1962, réédité en janvier 2023 par les éditions le Cherche Midi, Bomarzo a la réputation d'être un chef d'oeuvre de la littérature argentine. Lorsqu'on le referme, on se dit que cette réputation flatteuse n'est pas usurpée et qu'on vient de rencontrer un grand roman, un de ceux qu'on n'oubliera pas.

Bomarzo est un roman historique hors-norme, et pas uniquement parce qu'il se présente avec plus de neuf cents pages au garrot. Manuel Mujica Láinez a composé une fresque aussi flamboyante que captivante autour de la vie de Pier Francesco Orsini ( 1523-1583 ), duc de Bomarzo et condottiere, dont on ne sait pas grand chose si ce n'est que c'est le père du Parc des monstres, le jardin le plus extravagant de la Renaissance italienne avec ses sculptures monumentales taillées à même la roche à proximité de son château ducal.

La longueur du roman peut décourager mais dès les premières pages, le lecteur est ferré par l'extraordinaire ouverture qui présente l'horoscope commandé par son père à sa naissance, signalant d'importantes contradictions dans la cartographie de son existence à venir : promesse d'une réussite éclatante mais accompagnée de malheurs infinis, conjuguée à une mystérieuse absence de terme à sa vie ... comme s'il était voué à l'immortalité.

C'est le duc lui-même qui mène le récit, en surplomb, empli d'une sagesse qu'il n'est parvenu à acquérir durant sa vie mortelle. Inoubliable narrateur qui semble flotter au-dessus des âges, comme si l'immortalité promise était advenue et qu'il racontait depuis le XXème siècle, faisant régulièrement des références largement anachroniques ( par exemple à Nerval, « Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé, le Prince d'Aquitaine à la tour abolie ma seule étoile est morte, et mon luth constellé porte le soleil noir de la Mélancolie » , ces vers semblent avoir été écrits pour lui ).

« Quand on m'avait promis une vie éternelle, j'avais frémi d'arrogance folle, comme si on eût offert un incomparable instrument à mon désir de vaincre, d'imposer mon extravagance médiocre, tyrannique et absurde qui ne reculait pas devant le sang des autres, parce que mon pauvre corps s'alimentait de sang pour oublier sa pauvre forme et que mon âme, aussi mesquine que mon corps, avait été infectée par lui et s'était tordue comme lui. »

Le personnage du duc est fascinant. Figure maudite et complexe, il lutte toute sa vie pour surmonter sa difformité physique ( il est bossu et boiteux ), être aimé, célébré, reconnu sans jamais parvenir à maitriser un torrent d'émotions dévastatrices ( jalousie, envie, vengeance, désespoir ) le poussant au crime et à la dépravation morale, et l'amenant également à la magie noire et la recherche alchimique de la pierre philosophale.

Cette autobiographie monologuée ranime en technicolor toute la magnificence et la violence de la Renaissance italienne du XVIème siècle. Manuel Mujica Láinez parsème sa fresque panoramique de faits historiques marquants : le sac de Rome en 1527 par les troupes mutines de Charles Quint, le couronnement de ce dernier comme Empereur des Romains en 1530, la bataille de Lépante en 1571 voyant la victoire de la flotte de la Sainte-Ligue contre la flotte ottomane. le tout peuplé de très nombreux personnages des guerres d'Italie, les papes Jules II et Clément VII, le médecin Paracelse, Catherine de Médicis, l'orfèvre sculpteur Cellini, et toute la clique noble des Orsini, Colonna, Médicis ou Farnèse qui complotent, forniquent et assassinent à tour de bras. La prose baroque et fiévreuse de l'auteur finit d'emporter totalement le lecteur.

C'est d'une densité folle, d'une intensité rare, l'auteur trouvant un équilibre parfait entre fantaisie et érudition pour raconter dans les derniers chapitres la genèse détaillée ( et totalement fictive ) des sculptures réelles du Parc des Monstres : entre autres, un éléphant surmonté d'une tour crénelé, une sirène assise faisant un grand écart avec sa double queue, et surtout une tête monstrueuse à la bouche dantesquement béante dans laquelle on peut pénétrer ... autant d'énigmes, autant de secrets liés à la vie de Pier Francesco Orsini qu'a imaginé l'auteur avec un brio incandescent.

«  L'amour, l'art, la guerre, les espoirs et les désespoirs ... tout sortirait de ces rochers dans lesquels mes ancêtres n'avaient vu, depuis des siècles, qu'un désordre de la nature. Ils m'entoureraient et je ne pourrais mourir, je ne mourrais pas. J'aurais écrit un livre de pierres et serais la matière ce livre sans rival. »

Un régal !
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On nous dit que ce roman ferait partie des chefs-d'oeuvre de la littérature sud-américaine ; restons donc sur ce conditionnel, au calme.

On aurait d'abord pu parler de ce lieu, Bomarzo, petite localité italienne du Latium, siège historique de la seigneurie Orsini — une de ces grandes lignées qui ont fait ( et surtout défait ) la nation italienne, au même titre que les Medicis, Guerrieri Gonzaga, et autres Farnese — où l'on visite aujourd'hui ce Jardin Sacré des Monstres, singulière et étonnante création de cette Renaissance tardive.

On aurait alors dit quelques mots sur le Maniérisme, mouvement artistique dont ce jardin de sculptures est une des plus célèbres expressions, se gardant bien de glisser quelques sarcasmes sur la quantité assommante de manières dont notre héros abuse, tout au long de ces pages dont on perd rapidement le compte ( ou bien au contraire, dont le décompte semble infini et stationnaire… ), bottin mondain de l'époque, litanie de titres et de noms, ribambelle d'anecdotes s'écroulant sur d'autres, pile au moment où elles devenaient intéressantes… bref on aurait pu se moquer, l'oeil égrillard…

On serait obligé d'en passer par toute une réflexion sur l'historique et le romancé… dans le roman historique, bien que dans ce cas, la vérité n'est recherchée ; le fantastique est même convoqué, même s'il ne sert qu'au final à tenir vaguement en haleine, à clore une boucle narrative justifiant son emploi, avec cette histoire d'immortalité du narrateur, introduite après quelques troublants anachronismes, nous racontant sa vie au XVIème siècle depuis les temps actuels, sans jamais vraiment se servir du procédé dans tout ce qu'il permettrait : juger réellement une époque à l'aune d'une autre, ce que nos contemporains adorent faire, n'oubliant surtout jamais où se trouve leur nombril…

On aurait dit en passant quelques mots sur les maisons d'éditons concernées : ici la Librairie Seguier, surtout connue pour son goût pour Jean Lorrain et la Littérature Décadente ( les moeurs de la noblesse de la Renaissance n'ayant rien à envier à ceux du XIXème, bien au contraire… mais cette appellation ne semble plus utilisable à présent… ) ; plus récemment au Cherche-Midi — éditeur n'ayant jamais vraiment trouvé le sien — donnant lieu à ce regain d'activité, à ces quelques critiques semi-professionnelles plutôt flatteuses, dont l'habitué des lieux aurait dû se méfier, ne voyant pas d'étoiles à celle de 5Arabella, valeur archi-sûre de notre site, dont il faut malheureusement parfois chercher les critiques en pages suivantes…

Ce qui est sûr, c'est qu'on s'est mangé un gros pavé bien indigeste, rempli de promesses non-tenues, étalant sans pudeur ni explicité les tribulations complaisantes d'un noble au final d'une grande médiocrité, rabâchant ses tristes obsessions, nous rappelant avec force que la différence portée comme seule valeur n'accouche généralement que de lieux communs, tout au long de l'Histoire, triste et déprimante Humanité…
Apre conclusion, toujours la même, mais dont le chemin littéraire peut tout aussi bien être agréable…
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Bomarzo est une véritable parenthèse à la monotonie du quotidien, il vous transporte dans d'autres époques d'autres moeurs, loin des autofictions molles et vaporeuses.
La Renaissance du XVIe y resplendit d'hérésies baroques et de cruauté raffinée, Manuel Mujica Lainez nous promène entre la splendeur florentine, la volupté vénitienne et la solennité des ors romains avec une écriture classique d'une incroyable densité immersive. La galerie de personnages rencontrés ne manque pas d'offrir des tableaux de moeurs qui font mouche, on peut se sentir étourdi par la vanité, la férocité et l'opulence de ce monde.
Mais ces pages tiennent lieu avant tout d'autobiographie fictive.
Par un habile dispositif narratif, l'aristocrate Pier Francesco Orsini parcourt le labyrinthe de sa vie éclairé de sensibilité exacerbée collée à sa difformité physique et d'orgueil dynastique, d'ombres fantasques surgies de sa lignée prestigieuse et des fondations étrusques sur lesquelles repose le château de Bomarzo. Traversé par l'électricité d'une vie intérieure constamment attisée, il incarne à la perfection cet être meurtri et humilié pendant l'enfance qui n'a jamais su trouvé d'autres défenses que la prétention et une méfiance dévorante.
Toujours à flanc d'émotion, c'est un roman où l'égocentrisme et la frustration ne cessent de se heurter mais en goûtant à l'amer fruit de l'introspection rigoureuse, le narrateur lui donne une lucidité implacable.

Reste que cela ne dit rien de la fascination que suscite la construction imaginée par l'auteur. Dans cette fiction ample, précieuse, érudite, notre Orsini mal-aimé tient fermement les fils de la narration entre ses mains tout en s'amusant avec une temporalité singulière. En se prêtant à l'exercice autobiographique, la question métaphysique de la mort s'impose, comme à tout être humain, mais l'écrivain argentin a inventé une ruse pour domestiquer le sentiment du temps qui nous traverse, auréolant le texte d'une touche de mystère...

J'ai dévoré ce roman avec frénésie, la même qui accompagne les personnages de cette chimère, une fantaisie drapée dans un réalisme saisissant. En alchimiste averti, Manuel Mujica Lainez mêle toutes les matières réactives qui ont animé les riches familles séculaires comme les milieux d'affaire de l'époque, permettant à cette biographie de se déployer en-dehors d'elle-même et de projeter le narcissisme du rejeton Orsini dans un roman d'aventures palpitant.
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Adepte d'une littérature historique très documentée, Manuel Mujica Lainez brosse un portrait envoûtant de l'extravagant aristocrate italien Pier Francesco Orsini. Ce livre, paru en 1962, habité pat de nombreux personnages historiques, riche de références et de citations érudites rompt avec les récits essentiellement centrés sur l'Amérique Latine. Avec Bomarzo, l'auteur entame une trilogie européenne, s'ouvrant à un humanisme plus universel. le narrateur semble être Orsini lui –même et joue avec l'unité temporelle donnant à L Histoire une conception moderne : elle contient des versions multiples, voire contradictoires. Un roman passionnant à l'esthétique sophistiquée, comme le siècle des sculptures du Bois sacré de Bomarzo.
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BOMARZO de MANUEL MUJICA LÀINEZ
Pier Francesco Orsini naît le 6 mars 1512, Jules 2 est pape, un pape guerrier qui vivait parmi les soldats, le Sultan Selim accède au trône, Michel Ange dévoile les plafonds de la Chapelle Sixtine et c'est la paix entre les Orsini et les Colonna!! L'horoscope de Pier Francesco est limpide, il aura une vie longue et austère, il a une particularité, il est bossu et traîne une de ses jambes, son père Gian Corrado le dédaignera dès le premier jour. En 1528, les Orsini, après le sac de Rome par les espagnols, s'installent à BOMARZO. le garçon a une grande proximité avec sa grand-mère Diane qui lui raconte l'histoire de la famille, des condottieri qui se vendent aux plus offrants et où l'inceste est fréquent. le blason des Orsini, c'est l'ours dont il sent l'odeur dans les couloirs du château. Diane lui offre une armure étrusque trouvée par un paysan en labourant les champs, par la suite on lui offrira régulièrement des objets de même origine bagues, casques, bijoux, statues etc…Il va rencontrer Benvenuto Cellini qui lui offrira une bague précieuse. Son père va l'expédier 3 ans à Florence chez les Médicis pour « apprendre la vie » il se liera d'amitié avec Alexandre et Hypollite qui n'auront de cesse de lui faire perdre sa virginité. C'est finalement Nuncia, l'improbable femme mûre qui veillait sur celle qu'il aimait, Adriana, qui s'en chargera après qu'il eut refusé les offres de Penthésilée, la somptueuse courtisane. Il a deux frères, Girolema qui reviendra de guerre couvert d'honneurs, prétentieux et odieux, qui mourra d'une chute de cheval pendant une promenade avec Pier Francisco qui aurait pu le sauver mais le laissera mourir sans lui porter secours et sans remords. Aussi, à la mort de son père c'est lui qui deviendra Duc de BOMARZO, son frère cadet Maerbele étant trop jeune( en fait il détruira un document de son père qui le déshéritait). Dès lors il sera le représentant officiel des Orsini auprès des papes et des rois ou de l'empereur Charles Quint. Il tombera amoureux de Giulia Farnèse à Bologne et demandera sa main à son père, elle a 15 ans, curieusement, il ne pourra pas l'honorer. Les années vont passer, Pier Franco va s'initier à la magie, blanche et noire, éliminer ses concurrents et se lancer avec passion dans la construction et l'aménagement d'un jardin plein de sculptures monumentales et effrayantes.
C'est un roman terriblement baroque qui fait la biographie romancée de cet homme difforme tourmenté par une sensualité à fleur de peau qui n'hésitera pas à tuer ou à faire tuer ceux qui le gênent dans ses projets. Maltraité dans son enfance, vivant au milieu d'hommes et de femmes pour lesquels la vie a peu de valeur et conscients de leur puissance, il va se tracer un chemin étonnant et solitaire.
900 pages d'une richesse qui éblouit, qui évoque avec force tout l'art de l'époque, tableaux et sculptures, joyaux et mobilier, 900 pages d'allégories qui font penser à Cortazar ou Borgès, pour rester avec les argentins mais aussi et peut-être encore plus à Umberto Éco dans Baudolino où le Pendule de Foucault.
Somptueuse reconstitution romancée de cette période où les papes se battaient et troussaient les filles comme les condottieri. Lisez ce roman vous ne pourrez l'oublier.
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Lu dans le cadre de Masse Critique
Ce consistant roman historique (900p.) plonge le lecteur dans l'Italie du Quattrocento ,éparpillée « façon puzzle » entre les rivalités familiales (Orsini, Colonna, Farnèse , Médicis..) et citadines (Rome,Florence, Venise…) où s'affrontent pouvoirs civils et religieux, et puissances européennes . L'auteur en déploie avec érudition et un remarquable talent descriptif, les fastes artistiques (on croise Michel-Ange,Cellini ,L'Arétin et même Cervantes) , les intrigues politiques , sans oublier le côté obscur ( Violence débridée, exploitation ,fanatisme et superstition) . Au centre de l'histoire, son narrateur dont la vie sert de trame au roman :Pier Francesco Orsini ,Duc de Bomarzo où il créa le célèbre jardin des Monstres. Peu sympathique cet homme : né bossu et boiteux dans une famille de condottieres flamboyants et de prélats éminents , il est hanté par son handicap , rejeté de son père et de ses frères ,malheureux dans ses amours changeantes ; il pourrait exciter la pitié mais il est aussi imbu de son rang , écartant impitoyablement les obstacles à son ambition , incapable d'aimer , retors et tourmenté de désirs refoulés, obsédé par l'éternité que lui promet son horoscope . L'auteur argentin apporte à cette symphonie italienne le baroque et le fantastique propre à la littérature sud-américaine. Grand livre.
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En préambule, je remercie Babelio et les Éditions du Cherche Midi pour cette magnifique découverte reçue lors de la dernière Masse Critique.

Difficile d'écrire une critique qui soit le reflet réel de ce que l'on ressent une fois la dernière page de ce livre tournée
Ce sentiment de refermer, de mettre non pas un point final sur une vie romancée mais des points de suspension....
Parce que la vie de Vicino Orsini continue de perdurer aujourd'hui avec cette part de mystère, que personne ne semble pouvoir élucider. Mais y a t-il un intérêt à vouloir impérativement comprendre au risque de perdre ce qui fait la magie d'un personnage, la magie d'un lieu, la magie d'un lieu et d'un personnage qui finissent par fusionner et ne faire qu'un...

Car c'est bien de cela qu'il s'agit un homme : Vicino Orsini et un lieu : Bomarzo

Ce que l'on retient de Bomarzo c'est ce fameux "Bois Sacré" : l'oeuvre d'une vie, l'oeuvre de Sa vie dans les deux acceptions. Alors comme ce lieu résiste à toutes les tentatives d'explications. L'auteur argentin Manuel Mujica Láinez, s'est lancé dans ce roman publié en 1962, le défi de lui construire une vie. Et qu'elle vie...
On traverse le 16 ème siècle italien. Et on y croise tout ce qui fait la richesse de cette époque, les artistes, les membres des grandes familles, les références à l'alchimie, l'occultisme, la médecine, la philosophie, les Lettres.
Ceux que Jean-François Saladin appelle dans don ouvrages éponyme Les aventuriers de la Mémoire Perdue.
Et tout cela dans les plus grandes foyers culturels de l'époque Rome, Florence Venise,...

Son roman ressort en ce début d'année dans une nouvelle collection baptisée Cobra dont le leitmotiv est le suivant :
Roman : "Récit contant des aventures merveilleuses. N'est-ce pas que cette définition vous semble, tout d'un coup, étrangère aux romans de notre époque ? La collection Cobra, elle, tiendra la promesse romanesque. Et tant pis si elle est inactuelle. Parce qu'au banal nous préférons le merveilleux, à la modestie la démesure. Nous prônons le fantasmé, l'irréel, l'allégorique. Autrement dit, nous prônons le retour au métier. Cobra, la piqûre de rappel"

Et bien c'est mission accomplie
Ce roman est absolument fantastique et baroque, foisonnant et érudit, complexe mais envoûtant, documenté mais jamais ennuyeux et pour ce qui est de l'allégorie on en est au paroxysme.

Le plus grand mystère entoure l'histoire de ce parc.
Vicino Orsini, selon une épigraphe découverte dans la pierre, disait l'avoir aménagé « seulement pour épancher son coeur ». Un coeur bien étrange, qu'on ne recommanderait guère pour modèle aux « enfants ». Ce prince fit sculpter, vers 1550, de gigantesques et monstrueuses statues. Taillées à même dans les blocs de rocher qui se trouvaient sur place, elles surgissent au milieu d'une végétation luxuriante, dans une nature très vallonnée.

L'ensemble devait présenter une signification symbolique qui nous échappe. Un parcours initiatique, dont le secret est perdu, ouvrait aux arcanes du parc. Faute de documents, mieux vaut se laisser guider par le hasard de la promenade, errer dans cette forêt parsemée d'apparitions à la fois merveilleuses et terribles. Merveilleuses au sens fort. E del poeta il fin la meraviglia, affirmait le Napolitain Giambattista Marino, et ce vers, écrit plus de cinquante ans après la création des monstres, pourrait leur servir de devise. « Le but du poète est la meraviglia. » Merveille : à la fois ce qui surprend, renverse par la nouveauté, l'insolite, et ce qui enchante par un pouvoir de séduction irrésistible.
Effectivement dans la végétation émergent :
l'emblème du site, appelé l'ogre et figurant la tête pétrifié d'un homme en train de crier. Sur sa lèvre supérieure, il est gravé la citation « OGNI PENSIERO VOLA » (chaque pensée s'envole), issue de « l'enfer », première partie de la « Divine comédie » de Dante Alighieri et dont le nom de « porte de l'enfer » également donné à la sculpture fait clairement référence.
Viennent ensuite pêle-mêle un cerbère à trois têtes, deux sirènes, trois ours héraldiques (jeu de mots sur Orsini), une Nymphe, un ogre dont la bouche est la porte et les yeux les fenêtres d'une cellule meublée d'une table et d'un banc de pierre, un dragon assailli par des chiens, un éléphant portant sur son dos une tour crénelée, un cheval ailé, deux sphinx accroupis, une géante assise, une maison construite exprès de travers, si inclinée et en équilibre si précaire qu'on se demande comment elle tient debout, une fontaine de guingois, surmontée d'un Pégase, une tortue au museau carré, surmontée d'une boule et d'une Victoire ailée, un Hercule de stature surhumaine, en train d'écarteler Cacus.

Comment expliquer une telle frénésie d'aucuns pensent àla presence toute proche du site archéologique de Tarquinia, certains évoquent que ce parc aurait été imaginé par son propriétaire suite à la mort de son épouse, une référence à l'ouvrage " le songe de Poliphile", à la « Jérusalem délivrée », du poème épique sur la première croisade écrit en 1581 par le poète Le Tasse. de nombreuses sculptures font également référence à des oeuvres des poètes italiens Arioste et Annibal Caro.
Ou alors comme l'évoque l'auteur de cette biographie romancée des épisodes marquants de la vie de ce fameux duc, depuis sa plus dure enfance et au fil de sa vie dans cette période riche de la Renaissance Italienne.

A la limite, peu importe, car lui qui serait né sous un horoscope qui lui prédisait l'immortalité, et bien au final elle lui est acquise, de la plus belle des manières.
La meilleure n'est pas celle donnée par Vicino Orsini, lui-même, sous la plume Manuel Mujica Láinez :
"J'étais saisi par une euphorie extraordinaire qui laissait loin derrière elle les essais esthétiques tentés jusqu'alors, le poème creux et rhétorique et les peintures destinées à répéter la geste redondante des Orsini. Cela m'appartiendrait à moi seul, serait unique ! Ce serait ma justification, mon explication, la prouesse exceptionnelle, le trait de génie inspiré qui placerait pour toujours Vicino Orsini dans le long cortège des siens, dont la fastueuse violence l'humiliait et qu'il avait tant de mal à suivre avec sa bosse et sa jambe traînante. Un livre de pierres. le bien et le mal dans un livre de pierres. La misère et l'opulence dans un livre de pierres. Ce qui m'avait laissé frémissant de douleur et de désir, la poésie et l'aberration, l'amour et le crime, le grotesque et l'exquis. Et à Bomarzo, dans mon Bomarzo."

Ce Bomarzo qui se visite encore et laisse un sentiment étrange et est destiné à rester un lieu empreint de charme et de mystère propre a générer des histoires et à solliciter l'imagination de chacun.
Un lieu qui mérite bien mieux que ce qu'on peut en lire dans les guides de voyages, ou de la place anecdotique qui lui est donnée, d'ailleurs Dominique Fernandez dit de Bomarzo : "Quelle pitié de lire les fadaises imprimées, quarante ans après, dans un guide de voyage français (« Voir », Hachette). « Le parc des monstres à Bomarzo, créé au XVIe siècle par un duc un peu fou, abrite des géants de pierre que les enfants aiment escalader. » La notice figure à la rubrique « la Rome des enfants ». À quels crétins confie-t-on la rédaction (ou la révision, celui-ci étant adapté de l'anglais) des manuels à l'usage des touristes ?"

Je conclue cette critique avec les mots de Vicino Orsini
" Ce dédale de gestes calmes et violents s'entrelaçait et se mêlait aux inscriptions que je rédigeai moi-même pour troubler le visiteur du labyrinthe, comme celles-ci :
Voi che pel mondo gite errando vaghi
Di veder maraviglie alte et stupende
Venite qua, dove son faccie horrende
Elefanti leoni orsi orchi et draghi 

Cedan et Memphi e ogni altra maraviglia
Ch'ebbe già il mondo in pregio al Sacro Boscho
Che sol se stesso et null'altro somiglia

(Vous qui par le monde vagabondez / Pour aller voir les merveilles les plus considérables / Venez ici, où se trouvent des visages horribles / Éléphants, lions, ours, monstres et dragons
Et Memphis et toute autre merveille / Que le monde honore déjà / Cèdent face au Bois Sacré / Qui ne ressemble qu'à lui-même et à rien d'autre)

Ou bien :
Chi con ciglia inarcate
Et labbra strette
Non va per questo loco
Manco ammira
Le famose del mondo
Moli sette
(Qui, au sourcil arqué / Et aux lèvres pincées / Ne va pas dans ce lieu / Ni même n'admire / Les fameuses du monde / Les Sept Merveilles)

Ou encore :
Tu ch'entri qua pon mente
Parte a parte
Et dimmi poi se tanteMaraviglie
Sien fatte per inganno
O pur per arte
(Toi qui entres ici l'esprit / Entièrement ouvert / Dis-moi alors si tant de / Merveilles / Sont faites pour la tromperie / Ou bien pour l'art)

Ou celle-ci, que je mise à côté du duel mortel des deux frères :
Se Rodi altier già fu del suo colosso
Pur di quest il mio Bosco anco si gloria
E per più non poter fo quiant'io pesso
(Si Rhodes fut jadis orgueilleuse de son colosse / Aussi de celui-ci mon Bois se glorifie / Et pour ne plus pouvoir je fais ce que je peux) "

PS : Quelques recherches sur Internet permettront à tout à chacun decouvrir ce statuaire étrange, ce bestiaire ésotérique et mythologique, ces références mystiques et ésotériques
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Ceux et celles d'entre vous qui ont eu la chance de visiter l'Italie, ont peut-être eu l'occasion de parcourir ce parc fantasque, fantastique et très original, au nord de Rome dans la région de Viterbe. Ce parc, justement appelé « Parc des monstres », en raison des sculptures extravagantes qui le peuplent, a été bâti à la Renaissance, vers 1550, sur l'impulsion d'un « condottiere » local (aventurier mercenaire), Pier Francesco Orsini, (les historiens ne sont pas d'accord sur ses dates de naissance et de mort). Des dizaines de sculptures de toutes tailles, parfois monumentales, qui se signalent toutes par leur bizarrerie, et des inscriptions énigmatiques, parsèment le domaine, où l'on peut voir également nombre de bâtiments et de fontaines qui présentent le même aspect fantastique et quasi fabuleux.
« Bomarzo », le roman de Manuel Mujica Lainez, se présente comme une évocation de la vie de Pier Francesco Orsini, le condottiere à l'origine de ce jardin. A travers lui c'est toute l'histoire de la Renaissance italienne que nous vivons, avec ces deux pôles qui la caractérisent : la violence et la beauté. La violence, parce que nous sommes dans le pays de Machiavel où tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins, aussi bien dans les affaires privées que publiques : Orsini est un aventurier, quoique d'un haut lignage, qui ne lésine pas sur le meurtre, le vol, la captation d'héritage, et j'en passe, pour devenir le maître du domaine, le duc de Bomarzo. Et la beauté parce que nous sommes au coeur de l'Italie de la Renaissance, entre Rome et Florence, à l'âge des plus grands génies. Ajoutez à cela la science et l'attrait pour l'occultisme, et vous aurez le portrait craché d'un grand prince de la Renaissance (comme les Borgia, les Médicis et autres Sforza ou Visconti).
Manuel Mujica Lainez (1910-1984) est un romancier argentin. Il est l'auteur d'une oeuvre éclectique (romancier, poète, essayiste et critique d'art) dont peu de livres sont arrivés jusqu'à nous (« Bomarzo », son principal ouvrage, écrit en 1962, ne fut traduit en français qu'en 1987).
Manuel Mijica Lainez est un écrivain sud-américain. Son style retranscrit la luxuriance qu'on retrouve souvent dans cette littérature, et de fait, elle s'accorde parfaitement avec le sujet du roman : le terme qui convient le mieux pour décrire cet ouvrage pourrait être « foisonnement » (attention, « foisonnement », pas « fouillis »). Multiplicité des intrigues et des personnages, multiplicité aussi des sentiments, souvent contradictoires, parfois même contradictoires ET simultanés (on pense à Lorenzaccio, qui se situe à la même époque). Tout cela ne va pas, forcément, sans des descriptions qui peuvent être lassantes pour ceux et celles que n'intéressent que l'action et l'intrigue. Mais il y a à boire et à manger pour tout le monde. Et chaque lecteur y trouve son compte, même ceux qui, comme Pier Francesco Orsini ont autant soif d'absolu (voire d'immortalité) que de jouissances terrestres.
Un très beau roman, donc, historique (mais pas seulement), qui donne un éclairage particulier sur une époque-phare de l'humanité. Passionnant et agréable à lire.
En parallèle, cherchez sur Internet les images des « Jardins de Bomarzo », ou « Sacro Bosco » ou « Parc des monstres », vous aurez une idée précise de l'esprit à la fois clair et tourmenté de ce héros pas comme les autres.
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Une vaste fresque historique, dans l'Italie du XVIe siècle. Pier Francesco Orsini naît en 1512 dans une prestigieuse famille italienne, qui compte dans ses rangs, des saints, des papes, des grands capitaines, des ducs…Et justement le père de Pier Francesco est duc de Bomarzo, où se trouve le château familial, et il est aussi un fameux condottiere, renflouant grâce aux rapines les finances familiales, changeant de maîtres au gré de ses intérêts. Pier Francesco est le deuxième fils, mais il a un sacré handicap : il est bossu et boiteux, ce qui lui vaut antipathie et moqueries dans sa famille, à l'exception de sa grand-mère, Diane, grande dame qui le prend sous son aile. La mort de son frère aîné, à laquelle il a quelque peu aidé, lui permet de devenir duc de Bomarzo. Mais malgré son noble lignage, quelques amis, une femme très belle, il n'arrive pas à trouver le bonheur, sauf peut être en s'intéressant à la littérature, aux savoirs occultes, à l'art, en collectionnant les objets, puis en créant dans le parc de son domaine, le bois sacré (appelé plus communément le jardin des monstres), censé représenter les épisodes les plus marquants de sa vie. Et puis en poursuivant le rêve de l'immortalité, qui lui a été promise dans un horoscope. Tout cela avec comme toile de fond, l'histoire agitée de l'Italie et de l'Europe. Elections de papes, couronnement de Charles Quint, guerres, assassinats….

Cela semble très séduisant, nous croisons des personnages célèbres et fascinants, vivons la grande et la petite histoire, voyageons dans de beaux lieux, dont certains n'existent plus et d'autres qui ont bien changés. Mais j'avoue m'être par moments ennuyée dans ce long, très long roman. Il y avait matière à quelque chose de palpitant, et j'ai trouvé au final le livre un peu poussif. L'auteur prend son temps, rentre dans des détails, puis accélère sur les moments qui auraient dû être des moments clés. J'ai trouvé également les personnages un peu sommaires, le seul que nous entrevoyons, est Vicino, et il n'est guère attachant. La fin devient prévisible bien avant que le personnage principal ne la saisisse. J'ai été moyennent séduite par l'écriture.

Cela dit, ce n'est certainement pas un mauvais livre, et si on s'intéresse à l'époque, on y trouve de l'intérêt. Mais il avait de quoi produire du vraiment flamboyant, alors que là c'est un peu terne à mon goût. L'auteur n'apporte pas vraiment de plus value par rapport à la matière de départ, riche et baroque à souhait, et qui donne quand même par moments une bonne lecture.
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Un grande fresque qui se passe en Italie dans un siècle sanglant et passionnant. Vous êtes dans les familes qui ont fait la grandeur de l'Italie, partagez leurs diners, mais veillez à ne rien boire, ni manger.
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la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3205 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

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