Après «
Un léger bruit dans le moteur », deuxième essai et deuxième coup de maître pour
Jonathan Munoz qui signe avec «
Les dormants » un ouvrage aussi habile et malin, que charmant et poétique.
En soi, le récit est simple : l'histoire d'un amnésique qui a commis un méfait, et cherche à raviver sa mémoire. le cinéma nous a gratifié les années 2000 de nombreux films sur cette thématique.
Ne rebroussez pas chemin pour autant. Nulle redite ici ! le plaisir est ailleurs, dans la forme, dans la narration, dans le plaisir de faire durer l'annonce, dans le mélange de genre avec le conte, dans le monde graphique développé, et plus généralement, dans l'art de noyer le poisson. Car le sieur Munoz est un styliste qui manie l'humour avec joie et développe un univers visuel bien à lui.
Tout d'abord, j'adore le dessin de ce gars ! Les personnages sont toujours cradingues, loin des codes habituels, les dents hyper espacées, les cheveux en bataille, les pifs grassouilles, etc. Même une princesse chez Munoz cultive une laideur de crapaud, je raffole de ce trait.
Au-delà des personnages, le décorum n'est pas en reste, la nature prend un tour inquiétant chez cet esthète-là, les maisons semblent toujours avoir subi la seconde guerre mondiale, une planche de bois n'est jamais plate, etc.
Généreux dans les détails, prendre le temps d'observer chaque dessin avec minutie débouche sur une foultitude de petits éléments cachés, savoureux au possible, en connivence avec le lecteur fouineur.
Côté écriture, j'ai trouvé une justesse de ton idéale. Si les balourds de villageois sont caricaturaux et lourdingues dans leurs vannes, l'humour de la gamine est finement joué (deuxième personnage principal), son bagout irrésistible, sa logorrhée intarissable ont vraiment fait mouche sur moi. J'ai senti le personnage, sa vérité, son existence, je trouve que Munoz a su lui donner corps comme rarement, à la fois touchante, espiègle et insupportable, c'est une vraie réussite à mes yeux. Elle tient vraiment l'histoire et nous régale. le contraste avec l'amnésique fonctionne à merveille, un beau duo bavard/taiseux comme on rencontre chez
Kokor.
Le reste ne se raconte pas, il se vit dans ces pages. L'intrigue, la révélation, les rebondissements, le pied de nez final, le mélange des genres, tout m'a plu. Je recommande vivement cet opus, d'autant plus que j'étais fort critique sur les dernières productions du dessinateur. Un Munoz de cette trempe, c'est du bon, du très bon. Cet auteur a des choses à dire, et du style à revendre, qu'il n'en doute pas !