Au début du XXème siècle, un masque mortuaire fut très en vogue chez les artistes parisiens bohèmes. Cette Joconde parisienne a inspiré bon nombre de romanciers, mais il n'est absolument pas assuré qu'elle fut repêchée dans le fleuve, un mystère entoure sa mort, allant jusqu'à remettre en cause la paternité du masque (qui aurait été moulé avant sa prétendue mort).
Guillaume Musso s'est emparé de cette quasi légende et l'a transposée à notre époque en brodant autour une enquête policière en bonne et due forme.
C'est justement là que l'on s'aperçoit des limites du genre. A trop vouloir jouer la surenchère, on ennuie le lecteur.
A moins de se focaliser sur les personnages, leur vécu, leurs sentiments, le pourquoi de leur comportement – comme du reste le font les auteurs récents, donnant ainsi un second souffle à un genre qui a déjà tout essayé.
Pourtant, ça part bien.
Roxane, une flic sur la touche est affectée à une brigade en marge de la police officielle. Une mise au placard, en somme. Et ce bureau des Affaires Non Conventionnelles (le BANC) flirte avec les regrettés x-files. Un immeuble tour caché au coeur de la rive gauche, une assistante aussi enjoué et motivée que l'héroïne peut être désenchantée : tous les ingrédients concourent à partir sur de jolies pistes non conventionnelles.
D'autant que se manifeste un premier cas : une jeune fille est repêchée dans la seine avant de s'enfuir du centre de secours. Les prélèvements révèlent que son Adn est celui d'une pianiste mondialement célèbre... morte dans un crash d'avion il y a un an.
On en est là au bout de la fameuse page 99**
Si on y ajoute le flic que remplace Roxane végète dans le coma depuis une semaine, que son propre fils était l'amant de la pianiste, on sent bien le noeud de vipère qu'il va nous falloir démêler.
Tout semble parti pour un Grand Livre. Les ingrédients sont tous parfaits, les possibilités inouïes. On rêve d'une histoire d'amour entre les deux enquêtrices – qui risque de mettre des bâtons dans les roues des investigations. le flic dans le coma ne développerait-il pas de nouvelles aptitudes, pouvant communiquer avec les esprits, avoir accès à des pans cachés de notre virtualité. Une machination qui nous dépasse tous, un complot mondial dont on aimerait voir le dénouement proche. A moins que tout cela ne soit qu'une vaste mise en scène où les protagonistes eux-mêmes joueraient un rôle.
Bref, on commence à cogiter du bulbe bien davantage que l'auteur devant sa page blanche lui-même.
A commencer par devoir résoudre cet épineux problème : comment expliquer qu'une femme dont le corps a été formellement et doublement identifié puisse se retrouver vivante un an plus tard, là encore sur la base de tests ADN refaits deux fois ?
Puisque nous sommes en plein x-files, mon cerveau carbure à plein tube. Une faille spatio-temporelle ? Un multivers enfin démontré ? Une hallucination collective ? Une duplication ? Non, pas la duplication, le Goncourt Hervé le Tellier (l'anomalie – Gallimard, 2020) a déjà traité le sujet, avec une belle maestria.
Et tandis que je pars dans d'interminables jeux de pistes, mettant en scène le comateux qui, j'en suis certain, est la clé du mystère, ayant développé des facultés inédites (capable d'influencer la danse des atomes, par exemple), voilà que Musso continue à faire courir sa plume, égrenant chapitre après chapitre en retombant bêtement dans une enquête classique et allant même jusqu'à flirter avec des serial-killer.
J'admets que ma déception est à la hauteur de mes attentes et que je sois le seul à blâmer dans cette déconvenue : une fois de plus, j'en attendais trop.
Car, finalement, les personnages existent bien – même s'il ne sont pas assez fouillés à mon humble avis. L'intrigue gagne en force en se rapprochant du dénouement, constante obligatoire pour ce genre de littérature. On découvre de nouveaux horizons, une réflexion sur les origines du théâtre. Finalement, c'est un bon Musso. Et si ça ne vous plaît pas, rien ne vous empêche d'écrire votre version rêvée.
** le principe de la Page 99 : quand vous êtes éditeur, vous devez lire des dizaines de manuscrits chaque jour. Pour ne pas faire QUE ça et préserver un semblant de vie de famille, les éditeurs ont un petit truc : lire la page 99.
Les romanciers construisent leurs romans comme un étal au marché ou un magasin : ils placent tout leur talent en devanture, dans la vitrine. Faites le test : la plupart du temps, les dix premières pages sont d'une haute volée. Pouvoir tenir jusqu'à la centième page sur ce rythme demande le vrai talent.