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EAN : 9782917081235
Aspect (15/05/2014)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
poésie
- Plein champ de Robert Nédélec - Editions Aspect, 2014. Prix Angèle Vannier 2015 décerné par l’Association des Ecrivains Bretons.
Par ailleurs Robert Nédélec a reçu le Prix Louis Guillaume en 2007 pour son recueil Contre-Jour paru aux Éditions l’Arrière-Pays, ainsi que le Grand Prix de Poésie 2014 de la Société des Gens de Lettres, pour l’ensemble de son œuvre.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Plein champ est une oeuvre envoûtante qui nous prend dans ses filets, nous entraîne dans ses jeux de significations, ses glissements de sens mais ne se laisse pas facilement attraper, tant elle joue entre rêve et réalité, précision et onirisme. On est emporté d'une rive à l'autre par on ne sait quel gué, quelle passerelle, comme dans une sorte de fondu-enchaîné où tout semble aller de soi dans une grande liberté d'images. Étrangeté, sacré et mystère voisinent avec le quotidien, la trivialité d'une vie que l'on devine proche de la terre au contact des réalités les plus concrètes. L'oeuvre, qui s'inscrit dans la veine connue du poète, fascine par son étrangeté et nécessite retour, approfondissement. À quoi tient sa magie, son charme si particulier, au sens celtique du mot ?

Une vision photographique

Plein champ, c'est d'abord un cadrage photographique, un oeil qui regarde à 360°, qui s'imprègne la rétine de « quelque vieille image » remontée du passé, porteuse d'un flot de sensations. le poème joue continuellement de ses focales : du plein champ panoramique, le village revisité, la maison d'enfance, le jardin, la lumière, la neige qui recouvre tout jusqu'au plan plus rapproché d'une façade, d'une porte, en passant par les gros plans sur des miettes, des ronces, une étincelle, une poignée de sable, un « flocon d'ouate » accroché à une pierre, un « papier gras »... Il suffit de se référer aux 56 titres des poèmes en prose qui forment cette suite pour suivre le mouvement du regard, sorte de caméra subjective à l'épaule, comme au cinéma (on notera le lexique de la photographie et du 7e art : « premier clap, pellicule, cinéma, cadrée »). le poète, en revenant sur ses terres, celles de l'enfance peut-être, cherche à retrouver quelque chose d'une vérité perdue à travers ce qui reste, des débris éparpillés, un simple « éclat de verre », sans que l'on sache clairement ce qui de sa vie, de sa foi, s'est brisé en mille morceaux. Quelle perte irrémédiable s'est jouée là pour que ne restent que quelques tessons, si dérisoires au regard de la flamboyance d'un vitrail ?
Malgré ces arrêts sur images (mortes), tout bouge dans les poèmes : la vision, le temps, les sensations, les souvenirs… le film se déroule lentement avec ses retours en arrière, ses pauses, ses surimpressions. Tout paraît mouvant, fugace, changeant, soumis aux sensations nées de la vision.
Le champ lexical de la vue abonde : « voir, percevoir, miroir, fenêtre, vitres, yeux, regard, spectacle, oeil nu… » Plein champ est avant tout un poème visuel où le poète essaie d'accommoder son regard entre les murs aveugles, la « salle noire » et la « pleine lumière » d'un grand rideau qu'il reste encore à ouvrir. le poème dans sa composante descriptive est cette tentative d'accommodation du regard à travers les objets qui piègent les images, ces verres à illusions brisées qui ne chantent plus les couleurs qui soulevaient l'âme.

Une présence impossible

Plein champ, c'est aussi plus littéralement, la pleine terre version champêtre, le poème s'apparentant au cahier d'un retour en terre natale, en terre d'enfance ( ?), la Bretagne, si on s'en tient aux fleurs d'ajoncs (page 63), en terre d'élection, la Provence si on pense aux cigales (page 47). Les lieux, très présents puisque tout tourne autour d'eux, ne sont pas directement nommés. Il s'agit de paysages bien réels cependant mais ce sont tout autant les lieux d'une terre mentale, d'un pays rêvé que l'on porte en soi et qui renaît dans la présence de tout ce qui est perçu, ressenti... À travers l'évocation des lieux familiers, le poème pose cette interrogation lancinante : comment revivre le feu disparu, « le vierge et le vif » qui nous habitait ? Qu'a-t-on perdu entre les claps de début et de fin ? La parole poétique prend ici la forme d'un rêve éveillé qui révèlerait cette présence perdue dans chaque chose. A lost paradise en quelque sorte.

Un chant du désenchantement

Ce regard plein champ est aussi celui des sensations et de leur écho au fur et à mesure de la vision, cette quête de la présence en toute chose qui s'avère impossible. En témoigne le nombreux vocabulaire associé à la mort, à la destruction, aux ravages du temps, à la ruine, au désastre : « lambeaux, salpêtre, neige, gravats, tessons, débris, décharge, râle, mort, cadavres, fosse, fumée, cendre, terre souillée », etc.
À travers ces visions d'enfer, de meurtre, de « crime », est-ce le triomphe de la poussière, de la pourriture sur ce qui autrefois « agrandissait les yeux » ? Est-ce un « mauvais fard » tout à coup, un « simulacre », une illusion de plus ? Tout est-il vain ? le poème n'est-il qu'une vaine célébration de ce qui n'est plus ? Que reste-t-il de ce qui fut intensément vécu ? Juste « un rêve de pierre à creuser et à fendre » ? Comment « quitter cette table où nul ne partage plus ni sa faim ni sa voix » ? le poème ici s'apparente à un chant du désenchantement, porté haut certes, dans une langue magnifique, laconique souvent, très maîtrisée, à la fois précise et ample, avec ses ruptures, ses coupes qui déroutent le lecteur et l'obligent à accommoder son souffle, à partager le même constat douloureux.
Récit d'une perte irrémédiable, d'une blessure inguérissable, d'une tache indélébile, Plein champ, dans sa lucidité grand angle, nous appelle cependant à un autre regard sur la condition humaine, à une autre exigence intérieure :
« Les galets déposés autour des parterres, il t'apparaît que l'on a devoir de chanter également, ou de déclarer admirable, cela qui n'aura jamais de racines,
Et cela surtout qui, ne dévorant que matière putréfaite, ne suscite que dégoût — cela qui ne vit, même si le mot n'est pas opportun,
Mais l'on admet bien que l'on peut parler clairement parfois la bouche remplie de glaires, qu'en parasite fabuleux ou partenaire dérisoire. (Plein champ, in « Les mousses »)

Qu'on s'en souvienne : « la beauté n'est que ce peu que chacun laisse au bord des choses en s'en allant. » On remarquera la négation restrictive qui conforte le vocabulaire du doute, du mensonge : « verroterie de vérité crue, trucage »… Quelle confiance accorder au filtre du regard, au temps qui a passé sur les choses et sur soi ? de regard en regard, de ressenti en ressenti, quelle est la vérité de cette présence qui remonte soudain à la conscience ? Quel crédit lui donner, quel crédit se donner ? On peut s'objectiver, se dédoubler mais peut-on se faire confiance quand on a tout détruit, quand tout nous a détruits ?
C'est que la donne a changé depuis les terres de l'enfance, et notamment le temps climatique. On avance désormais dans le froid, la neige, la blancheur qui ne dit rien, qui est perte des signes. On revient sur « les lieux du crime », on a perdu ce que l'on cherche, c'est la mort qui mène la danse. Toujours.
Le lecteur, connaisseur de l'oeuvre de Robert Nédélec, aura retrouvé ses thèmes favoris, sa manière d'écrire très reconnaissable dans un sillage surréaliste très personnel, et notamment les notations christiques qui parcourent les poèmes : « sainte, foi, rue en croix, dieu, un enfant crucifié, nu accroché au mur, bouts de bois assemblés en croix, un rêve de croix, un dieu ressuscité d'entre les livres »… Douleur, peurs, plaies et blessures, pertes de la foi font partie du chemin qui accompagne la quête de lumière.
Plein champ ou plain-chant, le poème joue par homonymie sur la dualité trivial / sacré, la scansion des strophes, le phrasé s'apparentant à une liturgie. Liturgie laïque pour le coup puisque Dieu ne parle plus, le poète l'ayant tué à l'intérieur de lui. Avant/après… Plein champ, c'est aussi le titre du 44e poème du recueil, page 48, qui rassemble à lui seul tous les thèmes du recueil : souvenir, présence, mort, poussière, terre, tombe, douleur… comme « une ligne de partage » qui donne à « vivre ou condamne ».

Deux âges de la vie

Plein champ visuel, spatial, temporel mais également plein champ de la conscience car il s'agit de mettre en présence, comme par dédoublement, deux âges de la vie, celui de l'enfance et celui de la fin de vie, dans un dialogue où le poète semble parler à l'enfant qu'il était, lui dire « tu », le poème jouant constamment sur la dualité des éléments, leur aspect antonymique : « ange/monstre », « bal/saccage », « vivre/condamne », « ombre/soleil », « souvenirs d'école/de guerre », etc.
La juxtaposition des deux âges (on remarquera le jeu des temps entre présent et imparfait) aboutit à un dédoublement comme par surimpression photographique, en témoigne ce surprenant oxymore : « vieil enfant blond », page 48. Plein champ du souvenir revécu, de la conscience qui s'interroge douloureusement sur le chemin parcouru, sur le sens à lui donner, s'il y a un sens.
Comment « se décrotter l'âme », sortir de la fange, se débourber en somme ? On serait tenté ici de penser à « l'homme qui marche » de Giacometti qui s'extrait de la matière dans une dynamique solitaire, volontaire. le poète, l'homme, se confond avec cette figure de solitude qui « tient tête » et garde la force d'aller où vont ses jambes, malgré tout, contre tout, sur un chemin qu'il sait irrémédiablement tragique. À travers sa vie dont il déroule le film, c'est la condition humaine tout entière que le poète interroge, d'où cette imprécision sur les référents géographiques, temporels ou personnels. Ce qui est décrit ici dépasse le lieu, le cadre, la personne. de l'un au plus large que soi, du singulier à l'universel, là encore, on avance plein champ.

Au final, ce Plein champ du regard et de la conscience fait une boucle sur lui-même, le poète se retrouvant avec le même caillou dans la main qu'au commencement, le même viatique. La vie a fait un tour, a joué ses tours aussi. Faudra-t-il « tarauder encore et forer plus bas, même sans espoir d'écho à la surface, ni de remuement» ?
Existe-t-il une rédemption possible ? le dernier poème « Les tessons » ne le dit pas, le recueil se clôt page 65 sur l'inquiétude devant les « effets futurs d'un feu depuis très longtemps disparu ».
Le champ reste semé de cailloux pour l'homme, ce « mélange compliqué de chair et de sang » qui joue à être lui-même.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Plein champ

La nuit macère de nouveau autour des vernis et des lampes, et cela rampe de nouveau, que l’on ne saurait nommer mieux, sous les pierres et les tapis.

Comme si la neige n’occupait jamais longtemps la place, et que l’on avait aux lèvres enfin ce peu de poussière qui autorise à vibre, ou condamne…

Soudain audible sous le vent, un fracas d’ailes. Visible au ciel, ou sur la ligne de partage, une fontaine d’oiseaux blancs, goélands sans doute,

Sauf égarement des gens ou trucage, échappés à quelque décharge... Une forme pâle s’accoude entre ombre et soleil, un poignet se casse, et l’on ne modèle

Qu’un rêve de pierre à creuser ou fendre. Il n’y a peut-être, de l’autre côté de la haie barbare, un cheval couché qui ne bouge plus, et des mouches noires

Recouvrant un dôme en forme de corps ; il y a aussi, quand l’œil et l’objet qui piège l’image reniflent la mort, un reste de femme entre deux sillons,

Des bouts de charrue jetés au hasard, au vent et au sable, et un vieil enfant blond qui singe, en riant plus loin que ses larmes, l’ivresse et l’extase.

Robert Nédéléc, Plein champ, page 48, éditions Aspect 2014.
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