Suite Française/
Irène Némirovsky /Prix Renaudot 2004
Irène Némirovsky est une romancière russe d'origine ukrainienne de langue française née en 1903 à Kiev. Émigrée en France à la révolution de 1917, elle est morte assassinée en 1942 à Auschwitz.
Elle est le seul écrivain à avoir obtenu en 2004 le prix Renaudot à titre posthume pour son roman «
Suite française ».
Suite Française est un témoignage vécu sur l'Exode en juin 1940 sur les routes de France, puis l'Occupation allemande, après la Débâcle face à l'invasion allemande.
La Suite se décompose en
deux mouvements : Tempête en juin et Dolce.
Plusieurs familles sont mises en scène.
Tout d'abord la famille Péricand, issue de la haute bourgeoisie parisienne, Charlotte et Adrien les parents et leur cinq enfants, Philippe l'aîné qui est prêtre, Hubert 18 ans, Jacqueline 9 ans, Bernard 8 ans et Emmanuel un bébé. Ajouter la femme de chambre Madeleine, le valet de chambre Auguste, la cuisinière Maria, le sénile père d'Adrien et le chat Albert. Tous vont devoir fuir la capitale en voiture, en vélo ou encore à pied…Une fuite épique !
L'écrivain Gabriel Corte et sa maîtresse Florence devront eux aussi fuir la capitale ainsi que la famille Michaud, le mari et la femme employés de banque avec le sieur Corbin lui aussi de la banque avec sa danseuse de maîtresse, la belle Arlette.
Charles Langelet est un collectionneur d'objets d'art, un esthète raffiné pour qui quitter son appartement, un véritable musée, est un crève-coeur.
Tous et tous les autres vont être des réfugiés aux figures lasses, livides, en sueur en ce mois de juin caniculaire, avec les enfants en pleurs, à la recherche en cours de route d'un lit et d'un morceau de pain :
« Cette multitude misérable n'avait plus rien d'humain ; elle ressemblait à un troupeau en déroute ; une singulière uniformité s'étendait sur eux. Leurs vêtements froissés, leurs visages ravagés, leurs voix enrouées, tout les rendait semblables. »
Maurice Michaud, dont le fils
Jean Marie a été envoyé au front, est le seul à comprendre que l'Histoire est un éternel recommencement :
« Envers ses compagnons de souffrance, Michaud éprouvait de la pitié, mais elle était lucide et froide. Après tout, ces grandes migrations humaines semblaient commandées par des lois naturelles songeait-il… Il se souvenait que les exodes avaient eu lieu de tout temps. »
Hubert Péricand que l'inaction ronge devant cette débâcle rejoint les soldats en déroute et ne peut s'empêcher de constater que ceux qui l'entourent, sa famille, ses amis, éveillent en lui un sentiment de honte et de fureur. Il voit sur les routes les fuyards, officiers, politiciens et fonctionnaires abandonnant leurs postes et songe :
« Et dire que personne ne le saura, qu'il y aura autour de ça une telle conspiration de mensonges que l'on en fera une page glorieuse de l'Histoire de France…Le réfugiés pillaient les maisons…Partout le désordre, la lâcheté, la vanité, l'ignorance ! »
Dans la seconde partie entrent en scène les dames Angellier, la mère et la belle fille Lucile dont le mari Gaston est retenu prisonnier en Allemagne. Cette partie du récit évoque les conditions de l'Occupation et les relations des soldats allemands avec la population dans le Morvan. Il est même arrivé qu'une certaine admiration se fasse jour dans l'esprit de Lucile qui visiblement est tombée amoureuse d'un gradé allemand :
« Elle avait trouvé comique autrefois cette courtoisie surannée, un peu affectée des soldats du Reich. Maintenant, elle pensait qu'elle regretterait ce tintement léger des éperons, ces baisemains, cette espèce d'admiration que lui témoignaient presque malgré eux ces soldats sans famille, sans femme… »
Jusqu'au jour où la Russie entre en guerre en juillet 1941 : les Allemands qui avaient alors pris leurs habitudes et parfois pactisé avec la population repartent vers d'autres horizons…plus à l'est.
le récit reste inachevé : en effet
Irène Némirovsky est arrêtée, déportée et exécutée à Auschwitz en 1942. Dans une annexe figure l'ébauche d'une troisième partie.
Ce livre nous montre une facette de la guerre, celle vécue par le peuple des villes et des campagnes lors du chaos de l'Exode de 1940, loin des combats. Dans un style percutant et sincère, sans aucune concession, l'auteure nous fait connaître ce que les livres d'histoire ne nous ont jamais dit.
Pour la petite histoire, il faut savoir que c'est la fille de l'auteure,
Denise Epstein, qui a caché durant 60 ans les
deux premiers tomes manuscrits que lui avait confiés sa mère avant d'être arrêtée et a décidé finalement de les faire publier.