Le roman se présente comme suivant les destinées de trois femmes de la noblesse parisienne ayant vécu de l'incendie du Bazar de la Charité en 1897 http://www.reseau-canope.fr/risquesetsavoirs/l-incendie-du-bazar-de-la-charite.html et sur ce qu'elles y ont perdu ("
la part des flammes") mais aussi retrouvé.
En réalité, une des supposées protagonistes va disparaitre assez tôt et on va aussi suivre d'autres personnages, dont la vie va être affectée par cet événement même s'ils n'étaient pas présents au Bazar, comme un galet dans l'eau créant des cercles concentriques de plus en plus grands.
- le style : j'ai trouvé la lecture facile de ce point de vue. le style est parfois un peu ampoulé et précieux mais c'est j'ai l'impression quasiment obligatoire pour un roman historique. Personnellement, j'ai parfois soupiré et levé les yeux au ciel sur des formulations un peu lourdes mais à choisir, je préfère ce travers à celui qui consiste à moderniser l'écriture d'une fiction historique. L'autrice se fait plaisir (je pense,) en plaçant dans certaines descriptions des extraits de poème de
Verlaine, de
Baudelaire qui n'apparaissent pas comme des citations mais comme faisant partie du roman. Ainsi, un personnage se promène à un moment sous un ciel "bas et lourd, pesant comme un couvercle", le moment où un petit noble quitte sa demeure familiale pour retrouver son club est décrit ironiquement comme étant "l'heure exquise".
- le rythme et l'intrigue: le roman utilise un schéma assez balzacien avec une longue exposition des personnages et des lieux qu'ils fréquentent, un enjeu qui apparait assez tard, à plus de la moitié du roman et un dénouement rapide. J'ai trouvé que la partie exposition était la plus réussie : quand l'enjeu arrive
la libération de Constance le dénouement devient assez évident, ce qui fait que j'ai lu des passages en diagonale une fois arrivée aux deux tiers du roman. (c'est aussi le moment où j'ai de plus en plus tiqué sur le style d'ailleurs). Cela donne l'impression que l'autrice (qui a d'ailleurs fait de nombreuses recherches https://www.lecteurs.com/article/le-bazar-de-la-charite-le-dernier-mot-reviendra-a-gaelle-nohant-interview-et-explications/2443727) a été subjuguée par la période mais n'a pas vraiment réussi à créer une intrigue autour de ses personnages principaux.
- Les personnages maintenant ! C'est la principale réussite du roman. J'ai lu des critiques disant que la construction des personnages était incohérente. Je ne partage pas cet avis: les chapitres sont écrits majoritairement d'un point de vue interne, donc les descriptions des personnages changent selon qui les regarde. Une jeune femme très pieuse ne voit pas l'abbesse d'un couvent de la même façon qu'une aristocrate rompue aux jeux de pouvoirs, une femme récemment veuve idolâtre son mari décédé, lequel est beaucoup moins regretté par son propre fils, auquel le défunt n'a prodigué aucune affection.
J'ai aussi apprécié le fait qu'on nous présente des coups de foudre amicaux entre deux femmes et que le livre se construise en partie autour de cela. Je comprends que cela soit ressenti comme des ficelles d'écriture pour amener les personnages où l'autrice le souhaite mais c'est assez rafraichissant de lire une trajectoire féminine centrée autour d'autre chose que l'émoi amoureux, tout en n'oubliant pas cependant de parler de désir féminin.
Enfin, j'ai craint le pire sur un personnage en particulier
Armand, j'ai eu peur que le roman ne tombe dans des clichés blessants, psychologisants et moralisants sur l'homosexualité mais lui aussi à droit à sa personnalité complexe, comme les autres.
L'autrice crée donc en majorité des personnages ambivalents et intéressants, auxquels j'aurais aimé qu'elle donne un peu plus à faire...En majorité, parce que malheureusement, ce sont les personnages issus des classe supérieures qui ont le droit à ce traitement. Les domestiques sont de simples adjuvants, sans personnalité propre. Comme c'est sur leurs actions que repose la dénouement final, cela contribue malheureusement à affaiblir celui-ci.
je ne comprends pas pourquoi la cuisinière de l'asile fait ce qu'elle fait ? Elle n'en retire aucun intérêt ? La seule explication donnée, qu'elle a toujours aimé un peu tromper son monde, apparait insuffisante, comme si les classes inférieures étaient nécessairement de la "graine de gibier de potence", à l'exception de Joseph, un Casanova purifié par le feu du bazar.
- Une ode à la liberté féminine ? A la fin du roman, les protagonistes ont indéniablement plus de liberté qu'au début. Cependant, cette liberté est tout individuelle et repose sur leurs privilèges de classe. Nohant a fait de nombreuses recherches, et pourtant, le mouvement féministe et socialiste, bien présent à Paris à l'époque décrite n'est absolument pas évoqué. Si l'accusation que les hommes ont forcé le passage sans aider les femmes du Bazar fait partie du roman, aucune mention de l'article de la journaliste féministe libertaire Séverine "Qu'on fait les hommes?" qui mettait en avant leur responsabilité. Difficile de croire que ni l'autrice, ni ses personnages (qui lisent compulsivement tout ce qui concerne l'incendie) ne l'ont consulté. Je ne comptais pas nécessairement que les aristocrates décrites deviennent des suffragettes anarchistes mais cette cécité m'a semblé totalement choisie.
En résumé, il s'agit d'une belle description (sage et biaisée) du Paris de la Belle Époque et j'ai apprécié la construction toute en nuances des personnages principaux. Il ne s'agit pas en revanche d'un roman féministe dans le sens où il n'y pas réellement d'émancipation. Les rapports de classes sont aussi passés sous silence alors qu'ils auraient pu rendre l'intrigue plus intéressante. J'ai globalement passé un bon moment de lecture jusqu'aux deux tiers et je pense que des personnes n'étant pas nécessairement aussi sensible que moi aux rapports de genre et de classe en passeraient un encore meilleur, d'où les trois étoiles.