Citations sur Les combustibles (78)
Au fond de la pièce, une immense bibliothèque chargée de livres couvre tout le mur. Le reste de la salle frappe par son dénuement: ni tables, ni bureau, ni fauteuil, seulement quelques chaises en bois et, à droite, un énorme poêle en fonte. Un homme d'une cinquantaine d'années est assis sur une chaise et écrit sur une liasse de papiers qu'il tient sur ses genoux. Il porte un pull à col roulé.
Entre un homme d'une trentaine d'années, vêtu d'un gros manteau qu'il n'enlève pas.
DANIEL : (…) Nous ne sommes pas en train de parler de la réalité. Que notre vie n’ait pas de valeur artistique, c’est très possible. Raison de plus pour que la littérature en ait une.
LE PROFESSEUR : Ça vous arrange bien, n’est-ce pas ? Votre vie peut être médiocre, puisque la littérature compensera.
(…)
Daniel : On lit pour découvrir une vision du monde.
LE PROFESSEUR . Vous n'avez vraiment pas d'humour, vous.
DANIEL. Parce que vous trouvez qu'il y a de quoi rire ?
LE PROFESSEUR. Mais oui, il y a de quoi rire. Vous avez le privilège de découvrir ce que n'avouerait jamais aucun professeur de littérature : ce qu'il lit - ce qu'il lit vraiment - pendant son temps libre.
DANIEL. Temps libre... La guerre est-elle un temps libre ?
LE PROFESSEUR. Pour moi, elle est un temps libre obligatoire. Avant, je donnais quatorze heures de cours par semaine. Maintenant, je donne cours quand on ne bombarde pas l'Université. Nous sommes vendredi : cette semaine, j'ai évangélisé mes étudiants pendant quarante minutes. J'ai donc beaucoup plus de temps pour mes mauvaises lectures.
DANIEL. Moi, je suis à l'Université presque aussi souvent qu'avant.
LE PROFESSEUR. Vous êtes jeune et héroïque. Laissez-moi le privilège de l'âge et de la lâcheté.
DANIEL. Ce n'est pas tant par héroïsme. Je vous assure qu'il fait beaucoup moins froid à l'Université.
DANIEL. Je trouverais idiot de vous voir lire les livres donc vous nous chantiez les louanges en cours.
LE PROFESSEUR. Et de me voir lire ceux que je tournais en dérision devant mes étudiants, vous trouvez ça intelligent ?
DANIEL. Je me dit que vous devez avoir vos raisons.
LE PROFESSEUR. Mais non, Daniel ! Que cette guerre vous ait au moins appris l'intolérance ! Sinon, elle n'aura servi à rien.
DANIEL. Elle ne servira à rien, Professeur : à supposer qu'elle nous apprenne quelque chose, elle nous tuera de toute façon.
LE PROFESSEUR. Vous n'avez vraiment pas d'humour, vous.
Votre vie peut être médiocre, puisque la littérature compensera.
Éduquer un lecteur ! Comme si on éduquait un lecteur ! Vous n’êtes plus assez jeune pour proférer de pareilles bêtises. Les gens sont les mêmes dans la lecture que dans la vie : égoïstes, avides de plaisir et inéducables. Il n’appartient pas à l’écrivain de se lamenter sur la médiocrité de ses lecteurs mais de les prendre tels qu’ils sont. S’il s’imagine qu’il va pouvoir les changer – s’il peut encore, malgré la guerre, s’imaginer une chose pareille –, eh bien, c’est lui qui est un romantique imbécile, et non celui qui aime lire Blatek.
Vous réagissez comme les pauvres, vous placez votre honneur de manière à en être la victime.
je lis chaque phrase avec lenteur et circonspection et à chaque phrase je me demande:" y a- t- il dans ce sujet,ce verbe, ce complément, cet adverbe, y - a -t-il quoi que ce soit qui vaille une belle flambée au coeur d'un poêle? Le sens profond ( ou supposé tel) de cette phrase est-il plus nécessaire à ma vie qu'un degré de plus dans cette pièce?
Que notre vie n'ait pas de valeur artistique, c'est très possible. Raison de plus pour que la littérature en ait une.
Un livre c'est un Détonateur qui sert à faire réagir les gens