Comme la vérité semblait enfermée dans le feuilletage rectangulaire des livres, je décidai d'apprendre à lire. J'annonçai cette résolution ; on me rit au nez.
Puisqu'on ne me prenait pas au sérieux, je m'y mettrais seule. […]
Il me parut rationnel de commencer par un Tintin, parce qu'il y avait des images. J'en choisis un au hasard, je m'assis par terre et je tournai les pages. Il me serait impossible d'expliquer ce qui se passa, mais au moment où la vache ressortit de l'usine par un robinet qui construisait des saucisses, je m'aperçus que je savais lire.
Seuls les grammairiens sont assez naïfs pour penser que l'exception confirme la règle.
Quelle est la différence entre les yeux qui ont un regard et les yeux qui n'en ont pas ? Cette différence a un nom : c'est la vie. La vie commence là où commence le regard.
A l'âge de deux ans, j'étais sortie de ma torpeur, pour découvrir que la vie est une vallée de larmes où l'on mangeait des carottes bouillies avec du jambon. A quoi bon se tuer à naître si ce n'est pour connaître le plaisir ? Les adultes ont accès à mille sortes de voluptés, mais pour les enfançons, il n'y a que la gourmandise qui puisse ouvrir les portes de la délectation.
"Parler est un acte aussi créateur que destructeur."
Kashima-san me refusait. Elle me niait. De même qu'il y a l'Antéchrist, elle était l'Antémoi. Je me pris pour elle d'une pitié profonde. Comme ce devait être sinistre de ne pas m'adorer.
Certains grands livres ont des premières phrases si peu tapageuses qu'on les oublie aussitôt et qu'on a l'impression d'être installé dans cette lecture depuis l'aube des temps.
Et en quoi la masculinité était-elle si formidable qu'on lui consacrait un drapeau et un mois - a fortiori un mois de douceur et d'azalées ? Alors qu'à la féminité, on ne dédiait même pas un fanion, pas même un jour !
Je pris donc un air béat et solennel et, pour la première fois, je voisai les sons que j'avais en tête :
- Maman !
Extase de la mère.
Et comme il ne fallait vexer personne, je me hâtai d'ajouter :
- Papa !
Attendrissement du père. Les parents se jetèrent sur moi et me couvrirent de baisers. Je pensai qu'ils n'étaient pas difficiles.
Être centenaire pour une carpe, c'était se vautrer dans une durée adipeuse, c'était laisser moisir sa chair vaseuse de poisson d'eau stagnante. Il y a encore plus dégoûtant que la jeune graisse: c'est la vieille graisse.