S'il avait été possible d'éprouver un peu de compassion à l'égard de Joseph Joanovici, elle fond ici comme neige au soleil.
Il est peu courant en littérature qu'un personnage aussi peu sympathique fasse office de personnage principal, ici c'est pourtant le cas mais je n'irai pas jusqu'à dire qu'il provoque une réaction épidermique.
Son passé permet d'expliquer partiellement pourquoi il est ainsi, mais n'excuse pas sa conduite envers sa famille : il délaisse sa femme et ses filles et vit ouvertement avec sa secrétaire Lucie, la bien-nommée Lucie-Fer, il charge son frère de veiller sur sa famille pendant qu'il négocie des affaires avec les allemands et s'enrichit, énormément, toujours plus sûr de lui et plus revanchard sur la vie : "Je nous ai construit une vie dans ce pays. J'ai fait fortune dans ce pays. Et maintenant tu veux me voir fuir comme les autres ? Non, pas question ... pas moi.".
Il n'empêche que l'occupant sait bien lui rappeler son statut de juif : "Vois-tu, Joseph pour moi tu n'es qu'un sale youpin !", ce qui ne démonte pas pour autant l'assurance de Joseph Joanivici : "Combien ça coûte de ne plus l'être ?", et la scène finale où il obtient son certificat d'aryanisation est violente d'un point de vue psychologique.
C'est là que réside toute la complexité du personnage : il gère ses affaires mais il protège aussi sa famille en la mettant à l'abri du besoin et des rafles qui deviennent plus nombreuses tout en se montrant généreux avec d'autres personnes : "Je le connais comme honnête homme, serviable et grand travailleur. L'argent qu'il gagne, il le donne en partie à ceux qui sont plus malheureux que lui et je ne crois pas que ce soit dans les habitudes d'un juif.".
Difficile de cerner ce personnage, mais malgré le peu d'attrait qu'il exerce sur moi je prends plaisir à lire son histoire racontée par
Fabien Nury et mise en image par Sylvain Vallée.
Encore une fois, je reconnais un gros travail de recherches pour bâtir le scénario, l'ambiance de l'époque est bien reconstituée et les dessins de Sylvain Vallée servent bien l'histoire.
Je trouve que les personnages sont expressifs et que cela reflète leurs caractères.
Ainsi, Eva, la femme de Joseph, a le visage taillé à coup de serpe, une bouche dure et des traits crispés, il faut dire qu'elle est agacée par l'attitude de son mari et que je ne peux que lui donner raison ; Lucie est d'une certaine beauté mais ses yeux reflètent qu'il vaut mieux se méfier d'elle ; Joseph sous son aspect rond n'en est pas pour autant jovial ; quant aux allemands ils sont peu sympathiques sans que cela tombe toutefois dans le cliché.
Nettement moins brouillon que le précédent opus, "Le Vol Noir des Corbeaux" dresse une France sombre dans l'époque tourmentée de la Seconde Guerre Mondiale à travers le personnage tout aussi sombre et complexe qu'était Joseph Joanovici.
Une belle saga littéraire a vu le jour.
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