Est-ce un hasard si
Girl, dernier ouvrage de la romancière irlandaise multi-primée Edna O'Brien, s'ouvre et se referme sur une page entièrement noire ?
Dédié à toutes les mères et les filles du Nord-Est du Nigéria,
Girl nous fait suivre Maryam, jeune lycéenne enlevée avec tant d'autres de ces amis par les hommes de Boko Haram, secte islamiste tristement célèbre pour ses enlèvements et attentats.
Pour arriver à se mettre dans la tête de Maryam, Edna O'Brien a voyagé au Nigeria pour rencontré les survivantes et leur entourage. Trois années plus tard, voilà son oeuvre, un court roman de 245 pages qui commence brutalement dans l'horreur : « J'étais une fille autrefois, c'est fini. Je pue. Couverte de croûtes de sang, mon pagne en lambeaux. Mes entrailles, un bourbier. »
Et si c'est une femme
Dans son village, la tension monte de jour en jour. Maryam sait que les terroristes fanatiques de Boko Haram enlèvent à tour de bras et tuent sans distinction les mécréants. Pour elle, jeune lycéenne sans histoire, le pire commence avec l'enlèvement puis l'arrivée dans un camp où l'humanité n'a plus le droit de citer.
Edna O'Brien ne tergiverse pas longtemps, et il ne faut que quelques pages pour assister à des viols collectifs et autres crimes perpétrés par des bêtes à visage humain prenant Allah pour prétexte. Dur et sans concession, l'histoire de Maryam se vit de l'intérieur, avec la crainte de la Maison Bleue où l'on offre les filles en réconfort aux soldats de Dieu, avec la terreur des langues coupées pour celles qui parlent trop, avec l'angoisse d'une lapidation ou d'un passage à tabac pour n'importe quelle raison ou pas de raison du tout. Elles sont des chiennes, impropres pour Allah et les combattants de Boko Haram qui abusent d'elles du soir au matin.
L'enfer sur terre, la noirceur sans levée de soleil.
Peu à peu, Maryam rencontre d'autres prisonnières comme elle : Buki, Teresa, Fatima, Regina…la liste est longue, tellement longue. On découvre l'histoire de ces autres qui souffrent avec Maryam, jusqu'à celle de John-John, gamin de onze ans enlevé lui aussi mais pour devenir un soldat de Dieu.
Puis un jour, un chemin vers plus de lumière lorsque Maryam, femme-trophée, devient l'épouse d'un de ses tortionnaires, Mahmoud. Qui n'est pas un fanatique pur jus comme les autres mais qui avait besoin d'argent dans un pays où la misère est omniprésente. de cette union forcée arrive Babby, un enfant qui s'impose comme un fardeau pour Maryam avant de devenir une bouée de secours.
On pense aux horreurs du régime nazi ou stalinien, enrobée d'une surcouche religieuse pour finir le tout. Notre héroïne pourtant ne baisse pas les bras et continue d'espérer malgré tout. À elle à qui l'on impose l'insupportable.
Jusqu'au jour où elle parvient à s'échapper…
Une femme du bush
Le lecteur découvre alors avec Maryam que le retour au pays n'a rien de la libération attendue. À la capitale, on la célèbre comme une héroïne parfaite dans un luxe indécent alors qu'autour, le pays crève de faim et que l'armée n'arrive à rien avec les rebelles.
Edna O'Brien constate l'impossible retour à la normale pour Maryam désormais étiquetée « femme du bush », victime de Boko Haram et mauvais présage. Tous les villageois savent que la Secte pourrait revenir se venger…surtout que la survivante a un enfant…qui deviendra forcément comme eux, ces terroristes sanguinaires qui l'ont engendré.
Dès lors, la libération de Maryam devient un nouvel enfer où l'on redécouvre un pays où la femme de toute façon n'est pas grand chose, où on la cloître dans une pièce plongée dans le noir pour le seul motif de son chagrin. Où la Mère explique à la Fille que l'Oncle peut la battre, qu'il serait dans son droit.
Où l'on débat sur ce que l'on doit faire d'un gamin qui ressemble davantage à une malédiction pour le village tant que les terroristes sévissent dans le pays.
L'enfer n'aurait-il plus de limite ?
Pire encore, les groupes rebelles se multiplient et les Jas Boys sèment deux fois plus de terreur que Boko Haram par le passé.
Femme-objet, femme maudite, femme-fantôme, femme encombrante. Maryam doit fuir encore et toujours, pris au piège dans une boucle infernale faites de culpabilité et de reproches.
Comme si Edna O'Brien avait peur de son propre sujet, son écriture se fait un peu plus mécanique et distante, pour éviter les effusions sentimentales de la première partie qui nous avait pourtant saisi au coeur. La distance qui s'installe nuit un tantinet à l'immersion mais permet aussi de respirer un peu mieux, d'être moins asphyxié par le récit.
Comme un pied de nez aux fanatiques religieux qui l'ont réduite à l'état d'esclave, Maryam trouve enfin une porte de sortie grâce à d'autres religieux, plus bienveillant et qui semblent enfin donner une nouvelle chance à celle qui restera, malheureusement, toute sa vie…une femme du bush.
Roman noir et essentiel,
Girl n'épargne rien du chemin de croix de Maryam, jeune fille jetée dans l'enfer de Boko Haram et qui ne sera dès lors plus jamais pareille. Chronique d'un pays en lambeaux et d'un peuple asphyxié, le dernier roman d'Edna O'Brien témoigne pour celles qui ne le peuvent pas et ne le pourront certainement jamais.
Lien :
https://justaword.fr/girl-li..