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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Le 18 octobre 2010, John Earle « Whitey » McClaren (soixante-sept ans) ancien maire de Hammond (New-York) – et donateur des bonnes oeuvres de la police – est victime d'une violence aveugle (notamment à l'aide d'un taser …) de la part de deux policiers. Pris pour cible, après avoir voulu défendre le Docteur Azim Murthy (d'origine indienne) médecin à l'hôpital pour enfants de Saint-Vincent, lui-même agressé tout à fait gratuitement. Un homme coupable d'avoir une peau un peu trop « foncée », au goût de policiers racistes … John Earle McClaren décèdera le 29 octobre (onze jours plus tard) alors qu'on le croyait pourtant sorti d'affaire …

Ses cinq enfants (Thom, Beverley, Sophia, Virgil et Lorene) vont spontanément se rendre dans la maison familiale (au 99 Old Farm Road) auprès de leur mère (Jessalyn) une femme âgée de soixante ans, totalement effondrée …

La version officielle des forces de l'ordre : « un AVC au volant de sa voiture. Heureusement, les deux policiers se trouvaient (comme par miracle !) présents sur la bande d'urgence où Whitey s'est arrêté … Ils ont ainsi pu alerter les secours, lui sauvant (momentanément) la vie … » Justice sera-t-elle rendue à ce brave père de famille, mort prématurément suite à un tabassage en bonne et due forme ? …

Lors de la succession, la division en parts égales entre chaque enfant de la fortune de John McClaren va provoquer jalousie et rancoeur chez les trois ainés, persuadés d'avoir plus de droit (?!…) que leur deux cadets. Une fratrie désunie, dont chaque membre a ses démons (et ses faiblesses cachées …) L'auteure nous livre une étude – et une analyse – des habituels « non-dit » patriarcaux fort pertinentes. de la régulière difficulté à faire accepter son droit à la différence par ses proches, à la relation (trop souvent destructrice) au sein d'une cellule familiale quasi dévorante … de la souffrance des blessures (non refermées) de l'enfance, à la légitimité du droit au bonheur – ou à un nouvel amour – après un deuil douloureux … du respect (justifié) de tous les jardins secrets … En un mot comme en cent : de l'inextricable complexité des rapports entre des individus issus d'une même « couvée » …

Une sublime « comédie humaine » intimiste et contemporaine, brillamment orchestrée par la non moins fabuleuse Joyce Carol Oates ! Un roman foisonnant (901 pages) et une écriture d'une justesse éblouissante !
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Comme toujours c'est avec bonheur que je me suis plongée dans ce livre de JC Oates.
Rares sont les auteurs qui vous embarquent dans leur histoire dès la première page. A peine entamée la lecture Oates vous donne l'envie de savoir ce qui anime les personnages, ce qui les lie, les oppose...
Elle parvient à merveille à les faire évoluer psychologiquement d'où un récit particulièrement vivant.
Elle excelle dans la description des regards, des expressions du visage, de simples gestes qui permettent au lecteur d'entrer dans l'intimité profonde de chacun et ainsi de mieux interpréter leurs propos, leur comportement.
E
Bref, encore un grand roman de Joyce Carol Oates !
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Comme dans Nous étions les Mulvaney, J.C. Oates nous raconte les effets d'une tragédie qui frappe une famille. Ici, c'est le père, Whitey MacLaren, dans la soixantaine, un honorable citoyen américain, entrepreneur prospère et qui fut même maire de sa petite ville, mari heureux et père aimant de cinq enfants, qui est gravement blessé puis meurt, suite à un «incident» de violence policière, alors qu'il tente de secourir un citoyen «de couleur» aux prises avec la police.
J.C. Oates s'attarde à nous décrire le choc, le déni, le vide vécus par Jessalyn, «la veuve», seule dans sa grande maison, (faisant écho à sa propre expérience de la perte de son conjoint qu'elle raconte dans «Et j'ai survécu»). Sur les cinq enfants, la perte du patriarche entraîne des effets divers, perte de repères, fuite en avant, désir de vengeance, névrose même, mais aussi, paradoxalement, une libération, car ils expérimentent tour à tour des tournants dans leur vie qui n'auraient pas semblé possibles si «Whitey» avait été encore de ce monde. Et il en va ainsi également pour «la veuve», qui malgré son accablement «veut vivre», et entame un nouveau chapitre de sa vie, des plus inattendus...
Encore une fois, j'ai été charmée par l'écriture de J.C. Oates, qui nous plonge dans la psyché de ses personnages, ... quelle plume ! j'ai seulement regretté qu'elle nous laisse quelque peu en plan sur la destinée des enfants, j'aurais aimé savoir la suite pour eux, le fils assoiffé de vengeance, la fille aînée qui divorce, l'autre fille qui accepte une mutation, les deux plus jeunes dont l'un vit enfin l'amour, l'autre la rupture, mais non, le livre est terminé, à moi d'imaginer la suite.
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En 2011, John Earle Mc Claren , surnommé Whitey est un homme de 67 ans, blanc, respectable ancien maire de Hammond , dans l'état de New-York.
Il s'interpose lors d'une interpellation d'un homme d'origine indienne par deux policiers qui le tabassent à son tour et font usage de leurs tasers.
Whitey mourra des suites de ses blessures à l'hôpital, alors que cet acte violent sera masqué sous forme d'accident de voiture par la police .

Pour sa femme Jessalyn et ses 5 enfants, c'est un choc qui les laisse anéantis.

Ce roman déroule sur un peu plus d'une année le profond traumatisme sur chaque membre de la famille.

Pour les enfants, Whitey était la référence, le modèle , celui dont chacun voulait gagner l'attention , la fierté et l'affection. Seul, le plus jeune ,Virgil , s'était apparemment émancipé de cette emprise paternelle.

Et telle une poutre maitresse d'une maison, foudroyée , on assiste à l'effondrement prévisible du bâtiment , en se demandant si les fondations vont résister et si , à partir des gravats, une nouvelle construction va pouvoir resurgir.

Jessalyn devient La Veuve, avec son statut social à part, ouvrant ainsi l'entrée dans le club particulier des veuves avec ses codes, donnant de fait l'espoir à l'ami veuf lui aussi d'une union consolatrice et aux yeux de tous, bénéfique.
Cependant Jessalyn se replie dans sa maison et dans le souvenir de Whitey, un mari prévenant et aimant mais considérant sa femme comme un être fragile et sans personnalité propre. Whitey avait même prévu dans son testament une sorte de tutelle concernant l'argent dont sa femme ne peut disposer librement.
Une opinion également partagée par les 3 ainés des enfants dont le rôle qu'ils s'imposent est de protéger leur mère à leur tour.

Leur réaction vis à vis de l'émancipation de Jessalyn sera remplie d'incompréhension et d'offuscation . L'argent représentant d'ailleurs le premier moteur de leur motivation .

L'agression raciste à laquelle a voulu s'opposer Whitey , reste en fait au second plan, les poursuites contre les policiers engagées par le fils piétinent et la question des violences racistes de la police est très peu évoquée dans ce roman dont ce n'est pas le sujet principal.

J'ai trouvé , par moments , ce roman un peu long .
Il faut dire qu'il affiche 923 pages au compteur tout de même ... Sa construction est assez remarquable , les personnalités des enfants sont très différentes et JCO fait pénétrer chaque lecteur dans leur cheminement vis à vis du deuil , dans le bouleversement de leur vie .
Je suppose que chacun s'attache plus à un des personnages .
Pour moi cela aura été celui de Jessalyn , la perte d'un époux faisant rentrer dans un monde à part fait de conventions et d'idées reçues, parfois également d'une certaine tenue à distance comme si le veuvage pouvait être contagieux ou apporter "le mauvais oeil " et je sais quel courage et quels efforts il faut faire pour sortir de cette gangue sans nier le chagrin et la blessure qui ne guérit jamais de la perte.
"Si on peut dire une chose sur la vie d'une veuve, c'est qu'elle est une vie de veuve, une vie posthume ; une vie-résidu, en quelque sorte. Mais le dire , mettre en mots une vérité aussi mélancolique, c'était l'exalter, lui donner de la profondeur, alors qu'en réalité l'état d'une veuve est une diminution, comme un petit pois rabougri ou une serviette chiffonnée, méprisable , sans valeur ."

Lu en Novembre 2023
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On ne spoile pas quand on dit qu'il y a une mort, puisque le mot est dans le titre.
Cette mort est le noeud du livre, il y a un avant et un après.
Contrairement à ce qui est dit dans la 4° de couverture, la mort du père n'est pas le déclencheur du cataclysme dans la vie de ses enfants et de sa femme, c'est un révélateur. le père était le grand inhibiteur (je parodie Dali). Sa femme était sous son boisseau, petite poupée fragile aux mains liées. Les enfants, de peur de déplaire à papa sont passés complètement à côté de leur vrai moi. Et voilà. Maintenant, ils peuvent vivre, évidemment, au début ça fait mal de vivre, mais finalement, ils ne s'en sortent pas si mal.
Et quels beaux portraits : celui de l'épouse, qui grâce à un homme pas du tout de son milieu, latino qui plus est, artiste, découvre l'amour libérateur. de femme en fourrure et en tailleur, elle devient hippie à la tresse indienne. Virgil, le fils marginal et solitaire, s'épanouit dans la rencontre de l'autre, Beverly concocte perfidement son dossier de divorce, Lorene, la mauvaise devient un peu plus bonne (enfin, on espère) et Thom, le fils ainé héritier du père, pour qui le mariage a perdu son sens, jette l'éponge.
Mais comme à l'habitude Joyce-Carol dresse un portrait révélateur de l'état des lieux de l'Amérique. On a tout (et beaucoup d'autres choses) : La ségrégation (avec les plaisanteries sur les nègres) le comportement de la police envers les personnes de couleur, les erreurs judiciaires, la corruption, la place de la femme au foyer, mais aussi la recherche médicale et les essais sur les animaux jusqu'à la connaissance pointue des maladies nosocomiales.
J'ai été gênée dans la première partie par l'abondance des parenthèses, c'est un effet de style intéressant, mais il y en a trop je trouve. Et J'ai de beaucoup préféré la deuxième partie, après le deuil, quant tout le monde s'est repris en main et a bifurqué sur une autre route beaucoup plus intéressante. Et finalement, ces mille pages ont passé très vite.
« La nuit, le sommeil, la mort, les étoiles » … Je pourrai compléter Whalt Whitman par le chemin…
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Octobre 2010, l'ancien maire de Hammond, John Earle McClaren, surnommé Whitey, soixante sept ans, propriétaire d'une société prospère, tente de ramener à la raison 2 policiers brutalisant un homme à la peau foncé sur le bord de la route. Il est sauvagement agressé à son tour à coups de Taser. Après un AVC et un long coma suivi d'un rétablissement douloureux, une infection foudroyante va le tuer. Cette mort va provoquer un séisme dans cette famille qui semblait très soudée autour de ce père, véritable patriarche, et faire apparaître les ressentiments de chacun.
L'auteure nous fait pénétrer dans l'intimité de ses personnages et nous brosse un portrait psychologique poussé et subtil. Leurs réactions et leurs attitudes à proximité de la mort : «  tout adulte n'est qu'un enfant quand l'un de ses parents meurt ».
Jessalyn, veuve de Whitey, épouse et mère exemplaire, a toujours vécue au second plan, dévouée à son mari. Elle s'abandonne à son chagrin et semble ne pas trouver la force nécessaire pour vivre. « Pauvre femme, elle doit avoir plus de soixante ans et sa vie est finie. »
Thom, le fils ainé, beau garçon, solide successeur de son père à la tête de l'entreprise, perd ses repères et s'éloigne de sa femme et de ses enfants.
Beverly, l'ainée des filles, mère de famille, femme au foyer, fidèle épouse d'un mari qui l'est moins, se console dans la boisson.
Loren, célibataire, proviseure d'un lycée coté, entièrement consacrée à ses responsabilités, fait preuve d'abus de pouvoir vis à vis des professeurs et des élèves et sombre dans la dépression.
Virgil, le vilain petit canard de la famille, artiste, poète, à la relation tendue avec son père, rejette le modèle américain de ses parents, vit dans une communauté et cherche un sens à son existence.
Sophia, l'intellectuelle qui veut réussir, jeune femme ambitieuse désireuse de faire carrière, finit par lâcher prise et abandonne un poste prometteur dans un laboratoire.
Puis, contre toute attente, celle qui vivait comme une somnambule dans le souvenir exclusif de son mari, fait une rencontre qui va bouleverser sa vie et devenir une véritable histoire d'amour avec un homme « cubain, communiste », poète et photographe de talent, complètement opposé et different de son mari. A-t-elle droit à un nouveau bonheur ? Peut-on encore aimer quand on est vieux ?
Les réactions des enfants face à cette nouvelle situation seront pour certains violentes, considérant cette relation comme une trahison à la mémoire du père. Leur mère ne réagit pas comme une veuve le devrait. Sa vie leur appartient : « si notre mère devient quelqu'un d'autre , nous ne saurons plus qui nous sommes ».
Dans ce roman, Joyce Carol Oates nous montre avec réalisme l'épreuve douloureuse du deuil, du chagrin provoqué par la disparition de l'être aimé, l'expérience du veuvage et les difficultés de retrouver goût à la vie. Elle explore la dislocation d'une famille, les jalousies, les rivalités et les ressentiments entre frères et soeurs. Elle fait un portrait sans concession et sans démagogie d'une certaine Amérique, d'une société bourgeoise suffisante, dénonce les violences policières, le racisme et l'homophobie. « La nuit. le sommeil. La mort. Les étoiles » est un grand et beau roman (924 pages, et quelques longueurs) que l'on quitte à regret.
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Ca commence par un poème où le poète s'adresse à son âme. Il parle de silence, de méditation, de force, de mort, et d'espérance.
Et donc pour moi, c'est déjà le nirvana ! Comme en plus j'adore cette auteure, j'aborde ce pavé de 924 pages avec un bonheur total.

Et je ne suis pas déçue : JCO, comme d'habitude, se rend au plus profond des êtres et y farfouille avec âcreté non dénuée de douceur.
JCO, comme d'habitude, se rend au plus profond de l'Amérique et y gratte les scories honteuses, comme le racisme (tout ce qui est « brun », afro-américain, hispanique, indien est considéré comme de la basse classe) et comme la violence policière.
JCO, comme d'habitude, cible avec justesse les classes sociales pour les mettre à nu et en faire remonter les habitudes dégradantes.

Avec quelques longueurs et sans intrigue particulière (la seule chose que je reproche), JCO aborde la déglingue d'une famille à partir de l'accident dû à des policiers violents, survenu au patriarche, LE chef, le patron, le père, le mari protecteur.
Qu'est-ce que la chère femme va devenir, cette bourgeoise délicate habituée à être protégée ? Et les cinq enfants, tous adultes, mais pas tous heureux, loin de là ?
Chacun est obligé d'accepter, de faire son chemin ou de se creuser une tanière, de rompre les ponts ou de se raccrocher à quelque chose de fixe, d'opter pour le cynisme ou la bienveillance. La folie guette, la mort également.

Chaque être se retrouve face à sa solitude. Nous aussi. Mais en leur compagnie, nous pouvons réciter ce poème de Walt Whitman :
« Voici ton heure mon âme, ton envol libre dans le silence des mots,
Livres fermés, arts désertés, jour aboli, leçon apprise,
Ta force en plénitude émerge, tu te tais, tu admires, tu médites tes thèmes favoris,
La nuit, le sommeil, la mort, les étoiles ».
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Le livre part en trombe au premier chapitre, puis les évènements se calment, le temps de faire connaissance avec toute la famille. Personne n'est vraiment présenté sous son meilleur jour, à part la mère, sorte de sainte, symbole de la parfaite mère américaine d'une certaine classe aisée. La première partie peut parfois paraître longue, mais n'abandonnez surtout pas. C'est que dans la deuxième partie, tous les pions sont en place pour que chacun vive enfin son deuil. Une mention spéciale à la révélation progressive de la mère, qui trouvera enfin son destin de femme. C'est magnifique !
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Dernière publication de Joyce Carol Oates, La nuit le sommeil la mort et les étoiles - très beau titre emprunté à un poème de Whalt Withman, évoque le décès d'un père de famille et la lente dislocation de celle-ci, puis leur renaissance. Les différentes parties du roman épousent donc le rythme du poème, comme autant d'étapes dans le deuil. le roman outre le portrait sensible des différents membres d'une famille - portée en son centre par la mère Jessalyn, très beau personnage féminin qui se verra révélée suite à la mort de son époux - le récit propose aussi une radiographie des États Unis dans tout ce qu'il y a de plus actuel : racisme, xénophobie, violences policières etc. La plume de Oates se fait à la fois acérée et poétique et explore avec sensibilité le sentiment de perte et le besoin de renouveau qui s'ensuit chez les différents membres de la famille. Un beau roman, un de plus pour cette grande auteure.
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En apnée. C'est ainsi que j'ai lu La nuit. le sommeil. La mort. Les étoiles. Un long voyage submergée, quasi sans interruption tandis que les heures ordinaires défilaient et que, bienheureuse, je n'étais là pour personne. L'histoire ne cède pourtant pas au genre du page turner puisqu'il s'agit des mois suivant le décès accidentel d'un patriarche. John Earle McClaren, dit « Whitey » était un blanc, un notable, un ancien homme politique local républicain modéré.
Tandis qu'il rentre en voiture d'un repas réunissant le conseil d'administration des bibliothèques municipales de la ville, il voit soudain un inconnu se faire molester par deux policiers sur le bas-côté de la route. Sur une impulsion, il s'arrête pour porter secours à l'inconnu à qui il sauve ainsi la vie. Son geste altruiste lui coûtera en revanche la sienne puisqu'il mourra quelques semaines après des suites de son hospitalisation. C'est l'histoire de la veuve qu'il laisse et de ses cinq enfants désormais adultes que nous conte le roman. Et à travers lui, c'est une certaine histoire de l'Amérique contemporaine bien entendu.
J'avais été très déçue par le portrait d'un autre patriarche blanc et conservateur qu'avait fait Philippe Roth dans La tâche. A certains égards pourtant, Coleman Silk (la Tâche) et McClaren se ressemblent et le traitement que leur réservent leurs auteurs permet dans les deux cas d'appréhender chez eux une profondeur et une complexité qui les sauvent d'une condamnation hâtive à incarner seulement le type du réactionnaire vieillissant. Mais la grande différence entre les deux romans réside dans l'arrière-plan. Là où Roth se vautre dans une forme de nostalgie légèrement acariâtre, Joyce Carol Oates autorise ses personnages à dépasser leurs petitesses, peint la révolte et les faiblesses à l'oeuvre partout, y compris parmi les élites dominantes. Surtout, l'arrière-plan historico social n'est pas le prétexte à excuser une folie mégalomaniaque, c'est le détonateur et le ressort motivant l'évolution de chacun. Ce qui est nettement plus intéressant.
Autour de la mort de Whitey, de cette absence sidérante, va peu à peu être exhumé un fonctionnement, une organisation familiale assignant chacun à une place que peu de ses membres auront d'ailleurs remis en cause. L'épouse modèle était heureuse de l'être, profondément. L'aîné a repris de tout coeur le flambeau familial. Trois filles et trois destins assumés : une mère au foyer, une carriériste et une éternelle étudiante. Seule cette dernière et son plus jeune frère sont peut-être délicatement en retrait d'une famille triomphalement conservatrice. Mais de manière tellement feutrée que cette rébellion intègre davantage ceux qui la mènent qu'elle ne les exclut véritablement du cercle familial. La mort du père vient faire vaciller tout cela, évidemment. Mais sans que cela tourne au concours de pyrotechnique. C'est l'autre force de ce roman : pas de cadavre dans le placard, pas d'intrigue ficelée autour d'une coming-out quelconque, pas de révélation qui viendrait rendre illégitime le temps qui appartient désormais au passé. Juste, si l'on peut dire, l'emprise d'un père et d'une conception traditionaliste de la famille. Juste un homme bon, dominant, croyant garantir par sa morale et ses moeurs la durabilité d'un mode de vie exemplaire.
Et on aura compris que le sinistre fait divers qui viendra faucher John Earle McClaren jouera comme un révélateur de tout ce que ce mode de vie avait déjà de fissuré. Sur le plan personnel et sociétal. Comment être quelqu'un de bien dans un monde où les forces de police molestent les plus faibles ? Comment défendre une société qui repose sur de telles bases ? Avec le recul, le lecteur découvrira les peurs et compromissions qui auront cimenté le statu quo, les petites faiblesses qu'abritait le grand homme, les fragiles équilibres sur lesquels se reposaient son épouse et ses enfants. Les semaines et les mois s'enchainant après le deuil, chacun des autres personnages vivra le chagrin et recomposera autrement.
Assez ouvertement inspiré d'éléments autobiographiques, le personnage de Jessalyn, la veuve de Whitey, est le plus complexe. Il porte en lui tout le cheminement de la perte mais ne se réduit pas à cela. Femme au foyer parfaite, Jessalyn l'a été entièrement, avec coeur et Joyce Carol Oates ne commet jamais l'erreur de dénigrer cette identité ou de la supposer fausse. Elle propose juste, par l'expérience du deuil et de l'émancipation que ce dernier impose, une exploration d'une autre manière d'être, une recomposition dont la famille nucléaire originelle ne peut plus être le centre.
C'est très juste, très habile et porteur d'un optimisme, certes subtile, mais solidement ancré dans le devenir de chacun des personnages. Un roman qui dépasse donc largement l'étude de moeurs dont il nourrit son propos. Un roman qui m'a beaucoup plu.
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