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Vous souvenez vous de l'assassinat de George Floyd en 2020 par la police de Minneapolis?
C'est par ce drame analogue que commence le roman de Joyce Carol Oates « La nuit. le sommeil. La mort. Les étoiles. »
La victime John Earle McClaren ancien maire de Hammond est transporté aux urgences suite à un accident de la route causé probablement par un avc. C'est la version officielle. Mais avec son imagination fertile Joyce Carol Oates va nous emmener pendant 900 pages dans une famille « wasp « une famille modèle. La famille c'est comme une maison témoin, on gratte le vernis et quelques fois on a des surprises.
La romancière aurait pu dérouler ce drame mais cela aurait été trop simple, elle va prendre un autre chemin : celui du deuil, de ses conséquences et de ses souvenirs personnels.
Dans la famille McClaren il y a la mère Jessalyn une femme qui vivait dans l'ombre de son mari Whitey, aimée certes mais invisible. Et les cinq enfants, Thom, Beverly, Lorene, Sofia et Virgil.
Lire Joyce Carol Oates c'est comme partir en pays inconnu, je savais où je mettais les pieds. Après « la fille du fossoyeur « ou « Carthage » je savais que cette famille modèle allait souffrir.
« La nuit. le sommeil. La mort. Les étoiles « est un roman addictif, il fallait bien 900 pages pour décrire cette famille hors norme. Merci aux participants de cette lecture commune.

Minuit clair
Voici ton heure mon âme, ton envol libre dans le silence des mots,
Livres fermés, arts désertés, jour aboli, leçon apprise,
Ta force en plénitude émerge, tu te tais, tu admires,
Tu médites tes thèmes favoris,
La nuit, le sommeil, la mort, les étoiles.
Walt Whitman
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La nuit traverse ma vie. Elle illumine mes pages. Lorsque le sommeil n'a pas frappé à la porte de mon pub, je pense à la mort, je regarde les étoiles. Les pages de ma vie ne sont guère grandes et imagées, alors je me tourne vers d'autres pages, celles de Whitey, sexagénaire, blanc et respectable, deux mots qui vont bien ensemble. Père de 5 enfants, et surtout ancien maire de la petite bourgade de Hammond, État de New-York. Là-bas, il ne fait pas nuit, c'est bien au petit matin, au bord d'une petite route, que sa route s'arrête. Devant lui, deux policiers semblent admonester brutalement un jeune gars, noir ou basané, peu importe. Droit dans ses mocassins et son ancienne autorité, il décide de s'en mêler, impulsions électriques. Sa nuit commencera quelques jours plus tard. A l'hôpital. Au cimetière. Chez le notaire, un testament à lire.

Le sommeil fuit ma vie. Il s'échappe de la fenêtre de mon âme, et laisse ainsi divaguer de sombres pensées, la nuit, sur la mort, sur les étoiles. Alors, je plonge dans un roman de grande envergure. Comme un albatros déployant ces ailes, le roman déploient ses pages. Presque 1000 au compteur. Ça en fait une sacrée vie, celle de Whitey, de sa veuve et de sa succession. le roman de ma vie aurait du mal à contenir 10 pages. 923 pages, je mets un peu plus de précision dans mes dires, et peut-être qu'à compter les pages comme on compte les moutons, le sommeil va s'emparer un peu de ma vie. Plus de 900 pages donc passionnantes de bout en bout.

La mort obsède ma vie. Elle est là tapie dans la nuit, se faufile entre le sommeil et les étoiles, sous le bel oeil de la lune, bleue dans ma tête, brillante dans le ciel. La mort, et dire que je n'aurais pas lu toute la biographique de cette grande écrivaine qu'est Joyce Carol Oates. J'ai arrêté de compter, je fais genre mais je sais pertinemment qu'avec celui-là, j'en suis au dixième, comme autant de bières bues au cours de ce pavé littéraire. Mais quand on aime on ne compte pas. On pense simplement au silence de l'amour. Et un peu, beaucoup, passionnément, à la mort. JCO, je fais au plus court pour épeler son nom, avant que la mort ne l'emporte sur ma chronique, fait partie de mes grands auteurs de la littérature américaine. Rien ne sert à faire un classement de ces oeuvres majeures, mais ce dernier atteindrait certainement les cieux de ses écrits.

Les étoiles brillent de leurs milles éclats, de leurs milles vies. A illuminer ma nuit, mon sommeil, ma mort. Là-haut, je m'y vois déjà, tutoyer la lune bleue, la caresser au plus près de mon regard silencieux. Mais avant, redescendre, des cendres éparpillées, aux pieds d'un sequoia ou d'un rosier, racines emmêlées de la société nord-américaine. Joyce Carol Oates distille par ci par là, entre moments de grâce et de torpeurs, quelques bribes de racisme, de bourgeoisie et de néo-hippie. Au sein d'une famille presque ordinaire qu'un instant presque ordinaire a bousculé, bouleversé, c'est tout le traumatisme d'une Amérique qui se dévoile au cours de ces 1 kg 075 de littérature, lourde, riche et enivrante.
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Waouh ! Quel coup de coeur ! Un régal, ce livre du début à la fin....
J'ai déjà lu plusieurs livres de cette auteure sans être une fan. J'ai adoré "Le livre des martyrs américains" alors que je n'ai pas apprécié "nous étions les Mulvaney". Avec cette auteure, pour moi, c'est très variable. Mais là, wah, quel roman !
J'ai savouré chacune des pages. J'ai aimé l'histoire (chronique de la destruction d'une famille qui implose suite à la mort du pater familias), j'ai aimé le style, j'ai aimé le découpage du roman en chapitre autour d'un membre de la famille.... et cette question autour de laquelle tourne le roman : a-t-on le droit au bonheur après un deuil ?.....
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Un père de famille, riche. Une famille composée de 5 enfants désormais adultes (pour deux d'entre eux, eux-mêmes parents). Une mère un peu "desperate housewife", mais heureuse.
Un drame, la mort du père qui essaie d'empêcher des violences racistes.
Chaque membre de la famille se retrouve devant son histoire, son vécu au sein de cette famille.
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Un livre sur le veuvage certes mais pas que ça. Pour le coup on ressent le vécu avec le personnage central de la mère, désormais veuve.
Sa description est passionnante. Elle est une merveille de personnage.
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Ce livre est vraiment une réussite. Je vous le conseille vivement. N"hésitez pas à affronter ses 900 et quelques pages, il vaut le détour.
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Le mois prochain paraîtront chez Philippe Rey un recueil de nouvelles, Un (autre) toi, et un roman, Respire… de Joyce Carole Oates, une de mes autrices préférée, et c'est ce qui m'a décidé à enfin me lancer dans son précédent pavé : La nuit. le sommeil. La mort. Les étoiles. le titre de ce beau roman est tiré d'un poème de Walt Whitman dont un extrait est placé en exergue. le roman commence par un prologue violent : John Earle McClaren, surnommé Whitey, descend de sa voiture et intervient quand il constate que deux policiers blancs sont en train de tabasser violemment un jeune homme à la peau noire. Ils continuent à lui infliger des tirs de Taser alors que le pauvre ne proteste même plus. Les deux brutes se retournent contre Whitey et lui font subir un sort semblable. le jeune homme survivra, mais Whitey subit un AVC et sombre dans le coma. La première des cinq parties commence la veille de cette agression, en octobre 2010. L'histoire se terminera en janvier 2012. le séjour du père à l'hôpital est le prétexte pour présenter toute la famille.
***
Jessalyn, l'épouse de Whitey, fait courageusement face bien qu'elle soit dévastée par les événements. Thom, l'aîné des enfants, presque 40 ans, directeur de l'entreprise fondée par son père, tente de prendre les choses en main. Beverly, l'aînée des filles, fébrile et fréquemment malveillante, se pose en victime. Loren, proviseure dans un lycée, joue les femmes fortes. Virgil, l'artiste, le rebelle, culpabilise et continue à chercher sa place. Sophia, la plus jeune, 28 ans, en adoration devant son père, commence par subir la situation. Tous mettaient Whitey sur un piédestal. Aucun, pas même Virgil, ne contestait son autorité de patriarche dont les qualités étaient reconnues et admirées tant dans sa famille que dans la communauté. La mort de Whitey va bouleverser l'ordre familial, révéler rancoeurs et jalousies, mettre au jour des aspects moins glorieux de la vie du père, faire sombrer certains des enfants et en libérer d'autres, pas ceux auxquels on s'attendait. Quant à Jessalyn... Elle est le personnage le plus fouillé, le plus attachant aussi, à mon avis. Dans la troisième partie, « Sans titre : veuve », on la voit recueillir un matou agressif et borgne, le contraire d'un animal domestique, geste qui marque un tournant dans la perception que Jessalyn a de son veuvage et d'elle-même.
***
L'aspect autobiographique du roman est annoncé explicitement dans la dédicace : « À la mémoire de Charlie Gross, mon premier lecteur et mon mari bien-aimé. » le deuil, le chagrin et la dévastation qui l'accompagnent, la manière dont les proches sont affectés même par une mort prévisible constituent, je crois, le socle du roman. Cependant d'autres thèmes parcourent ce beau livre : le racisme de la société américaine, latent ou déclaré, les violences policières, les compromissions qui permettent d'étouffer le scandale, l'hypocrisie, la condescendance d'une classe sociale privilégiée, les relents d'homophobie, etc., autant de critiques plus ou moins ouvertement formulées. Même si le roman soufre de quelques longueurs, je l'ai lu avec passion et sans jamais m'ennuyer. Et je lirai le suivant, c'est sûr, je l'attends déjà !
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Ca commence par un poème où le poète s'adresse à son âme. Il parle de silence, de méditation, de force, de mort, et d'espérance.
Et donc pour moi, c'est déjà le nirvana ! Comme en plus j'adore cette auteure, j'aborde ce pavé de 924 pages avec un bonheur total.

Et je ne suis pas déçue : JCO, comme d'habitude, se rend au plus profond des êtres et y farfouille avec âcreté non dénuée de douceur.
JCO, comme d'habitude, se rend au plus profond de l'Amérique et y gratte les scories honteuses, comme le racisme (tout ce qui est « brun », afro-américain, hispanique, indien est considéré comme de la basse classe) et comme la violence policière.
JCO, comme d'habitude, cible avec justesse les classes sociales pour les mettre à nu et en faire remonter les habitudes dégradantes.

Avec quelques longueurs et sans intrigue particulière (la seule chose que je reproche), JCO aborde la déglingue d'une famille à partir de l'accident dû à des policiers violents, survenu au patriarche, LE chef, le patron, le père, le mari protecteur.
Qu'est-ce que la chère femme va devenir, cette bourgeoise délicate habituée à être protégée ? Et les cinq enfants, tous adultes, mais pas tous heureux, loin de là ?
Chacun est obligé d'accepter, de faire son chemin ou de se creuser une tanière, de rompre les ponts ou de se raccrocher à quelque chose de fixe, d'opter pour le cynisme ou la bienveillance. La folie guette, la mort également.

Chaque être se retrouve face à sa solitude. Nous aussi. Mais en leur compagnie, nous pouvons réciter ce poème de Walt Whitman :
« Voici ton heure mon âme, ton envol libre dans le silence des mots,
Livres fermés, arts désertés, jour aboli, leçon apprise,
Ta force en plénitude émerge, tu te tais, tu admires, tu médites tes thèmes favoris,
La nuit, le sommeil, la mort, les étoiles ».
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Un pavé de plus de 900 pages! Une histoire de famille américaine.

Avant même de commencer la lecture, je suis impressionnée par l'audace et l'exceptionnelle production de cette romancière octogénaire qui année après année arrive à produire une telle quantité (et qualité) de pages (moi qui ai parfois du mal à écrire quelques paragraphes de critiques…)

Et qu'est-ce que c'est que ce titre ? Une énumération avec des points ? Pas très conventionnel! Il faudra attendre les trois-quarts du livre pour apprendre qu'il s'agit d'un extrait d'un poème de Whitman.

Le roman raconte une famille américaine aisée. le père sexagénaire sur l'autoroute voit des policiers qui malmènent un homme de couleur. Il s'arrête pour leur dire de se calmer, mais c'est à lui que les policiers s'en prennent. On appellera une ambulance en disant que l'homme a fait un AVC et que ses blessures sont dues au déploiement du coussin gonflable (airbag).

Qu'arrive-t-il à sa femme et ses cinq enfants sans cet homme aimant, mais inflexible qui était la référence ultime? « Qu'est-ce que Papa en penserait ? » est la base de leur conduite. le fils ainé est dans les affaires pour prendre la suite de son père. La première fille est devenue mère de famille, femme au foyer docile comme l'était sa mère. La seconde fille est au contraire devenue une dure, une célibataire qui règne sur le lycée local. le second fils est un artiste, le mouton noir qui pense que son père ne l'a jamais aimé. La plus jeune est la scientifique dont le père est si fier. Elle a cependant abandonné l'université pour travailler dans un laboratoire, sans l'avouer à son père, car « Qu'est-ce que Papa en penserait ? »

La table est mise pour fouiller les notions d'identité, de relations humaines et de deuil, pour explorer les thèmes de la société et des valeurs américaines avec ses débordements de brutalité policière et d'injustice raciale.

C'est un roman imposant, qui ne va pas sans quelques longueurs si le lecteur se sent moins interpelé par un thème ou l'autre, mais c'est surtout un ouvrage qui en vaut la peine, qui suscite des réflexions, une lecture dont on ne sort pas tout à fait indemne.
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En 2011, John Earle Mc Claren , surnommé Whitey est un homme de 67 ans, blanc, respectable ancien maire de Hammond , dans l'état de New-York.
Il s'interpose lors d'une interpellation d'un homme d'origine indienne par deux policiers qui le tabassent à son tour et font usage de leurs tasers.
Whitey mourra des suites de ses blessures à l'hôpital, alors que cet acte violent sera masqué sous forme d'accident de voiture par la police .

Pour sa femme Jessalyn et ses 5 enfants, c'est un choc qui les laisse anéantis.

Ce roman déroule sur un peu plus d'une année le profond traumatisme sur chaque membre de la famille.

Pour les enfants, Whitey était la référence, le modèle , celui dont chacun voulait gagner l'attention , la fierté et l'affection. Seul, le plus jeune ,Virgil , s'était apparemment émancipé de cette emprise paternelle.

Et telle une poutre maitresse d'une maison, foudroyée , on assiste à l'effondrement prévisible du bâtiment , en se demandant si les fondations vont résister et si , à partir des gravats, une nouvelle construction va pouvoir resurgir.

Jessalyn devient La Veuve, avec son statut social à part, ouvrant ainsi l'entrée dans le club particulier des veuves avec ses codes, donnant de fait l'espoir à l'ami veuf lui aussi d'une union consolatrice et aux yeux de tous, bénéfique.
Cependant Jessalyn se replie dans sa maison et dans le souvenir de Whitey, un mari prévenant et aimant mais considérant sa femme comme un être fragile et sans personnalité propre. Whitey avait même prévu dans son testament une sorte de tutelle concernant l'argent dont sa femme ne peut disposer librement.
Une opinion également partagée par les 3 ainés des enfants dont le rôle qu'ils s'imposent est de protéger leur mère à leur tour.

Leur réaction vis à vis de l'émancipation de Jessalyn sera remplie d'incompréhension et d'offuscation . L'argent représentant d'ailleurs le premier moteur de leur motivation .

L'agression raciste à laquelle a voulu s'opposer Whitey , reste en fait au second plan, les poursuites contre les policiers engagées par le fils piétinent et la question des violences racistes de la police est très peu évoquée dans ce roman dont ce n'est pas le sujet principal.

J'ai trouvé , par moments , ce roman un peu long .
Il faut dire qu'il affiche 923 pages au compteur tout de même ... Sa construction est assez remarquable , les personnalités des enfants sont très différentes et JCO fait pénétrer chaque lecteur dans leur cheminement vis à vis du deuil , dans le bouleversement de leur vie .
Je suppose que chacun s'attache plus à un des personnages .
Pour moi cela aura été celui de Jessalyn , la perte d'un époux faisant rentrer dans un monde à part fait de conventions et d'idées reçues, parfois également d'une certaine tenue à distance comme si le veuvage pouvait être contagieux ou apporter "le mauvais oeil " et je sais quel courage et quels efforts il faut faire pour sortir de cette gangue sans nier le chagrin et la blessure qui ne guérit jamais de la perte.
"Si on peut dire une chose sur la vie d'une veuve, c'est qu'elle est une vie de veuve, une vie posthume ; une vie-résidu, en quelque sorte. Mais le dire , mettre en mots une vérité aussi mélancolique, c'était l'exalter, lui donner de la profondeur, alors qu'en réalité l'état d'une veuve est une diminution, comme un petit pois rabougri ou une serviette chiffonnée, méprisable , sans valeur ."

Lu en Novembre 2023
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En apnée. C'est ainsi que j'ai lu La nuit. le sommeil. La mort. Les étoiles. Un long voyage submergée, quasi sans interruption tandis que les heures ordinaires défilaient et que, bienheureuse, je n'étais là pour personne. L'histoire ne cède pourtant pas au genre du page turner puisqu'il s'agit des mois suivant le décès accidentel d'un patriarche. John Earle McClaren, dit « Whitey » était un blanc, un notable, un ancien homme politique local républicain modéré.
Tandis qu'il rentre en voiture d'un repas réunissant le conseil d'administration des bibliothèques municipales de la ville, il voit soudain un inconnu se faire molester par deux policiers sur le bas-côté de la route. Sur une impulsion, il s'arrête pour porter secours à l'inconnu à qui il sauve ainsi la vie. Son geste altruiste lui coûtera en revanche la sienne puisqu'il mourra quelques semaines après des suites de son hospitalisation. C'est l'histoire de la veuve qu'il laisse et de ses cinq enfants désormais adultes que nous conte le roman. Et à travers lui, c'est une certaine histoire de l'Amérique contemporaine bien entendu.
J'avais été très déçue par le portrait d'un autre patriarche blanc et conservateur qu'avait fait Philippe Roth dans La tâche. A certains égards pourtant, Coleman Silk (la Tâche) et McClaren se ressemblent et le traitement que leur réservent leurs auteurs permet dans les deux cas d'appréhender chez eux une profondeur et une complexité qui les sauvent d'une condamnation hâtive à incarner seulement le type du réactionnaire vieillissant. Mais la grande différence entre les deux romans réside dans l'arrière-plan. Là où Roth se vautre dans une forme de nostalgie légèrement acariâtre, Joyce Carol Oates autorise ses personnages à dépasser leurs petitesses, peint la révolte et les faiblesses à l'oeuvre partout, y compris parmi les élites dominantes. Surtout, l'arrière-plan historico social n'est pas le prétexte à excuser une folie mégalomaniaque, c'est le détonateur et le ressort motivant l'évolution de chacun. Ce qui est nettement plus intéressant.
Autour de la mort de Whitey, de cette absence sidérante, va peu à peu être exhumé un fonctionnement, une organisation familiale assignant chacun à une place que peu de ses membres auront d'ailleurs remis en cause. L'épouse modèle était heureuse de l'être, profondément. L'aîné a repris de tout coeur le flambeau familial. Trois filles et trois destins assumés : une mère au foyer, une carriériste et une éternelle étudiante. Seule cette dernière et son plus jeune frère sont peut-être délicatement en retrait d'une famille triomphalement conservatrice. Mais de manière tellement feutrée que cette rébellion intègre davantage ceux qui la mènent qu'elle ne les exclut véritablement du cercle familial. La mort du père vient faire vaciller tout cela, évidemment. Mais sans que cela tourne au concours de pyrotechnique. C'est l'autre force de ce roman : pas de cadavre dans le placard, pas d'intrigue ficelée autour d'une coming-out quelconque, pas de révélation qui viendrait rendre illégitime le temps qui appartient désormais au passé. Juste, si l'on peut dire, l'emprise d'un père et d'une conception traditionaliste de la famille. Juste un homme bon, dominant, croyant garantir par sa morale et ses moeurs la durabilité d'un mode de vie exemplaire.
Et on aura compris que le sinistre fait divers qui viendra faucher John Earle McClaren jouera comme un révélateur de tout ce que ce mode de vie avait déjà de fissuré. Sur le plan personnel et sociétal. Comment être quelqu'un de bien dans un monde où les forces de police molestent les plus faibles ? Comment défendre une société qui repose sur de telles bases ? Avec le recul, le lecteur découvrira les peurs et compromissions qui auront cimenté le statu quo, les petites faiblesses qu'abritait le grand homme, les fragiles équilibres sur lesquels se reposaient son épouse et ses enfants. Les semaines et les mois s'enchainant après le deuil, chacun des autres personnages vivra le chagrin et recomposera autrement.
Assez ouvertement inspiré d'éléments autobiographiques, le personnage de Jessalyn, la veuve de Whitey, est le plus complexe. Il porte en lui tout le cheminement de la perte mais ne se réduit pas à cela. Femme au foyer parfaite, Jessalyn l'a été entièrement, avec coeur et Joyce Carol Oates ne commet jamais l'erreur de dénigrer cette identité ou de la supposer fausse. Elle propose juste, par l'expérience du deuil et de l'émancipation que ce dernier impose, une exploration d'une autre manière d'être, une recomposition dont la famille nucléaire originelle ne peut plus être le centre.
C'est très juste, très habile et porteur d'un optimisme, certes subtile, mais solidement ancré dans le devenir de chacun des personnages. Un roman qui dépasse donc largement l'étude de moeurs dont il nourrit son propos. Un roman qui m'a beaucoup plu.
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Le portrait de famille se dessine lentement, alors que les focalisations s'alternent, que les parenthèses et les italiques éclosent sur la page pour mieux donner corps aux atermoiements des héros. Pourtant, ces derniers sont caricaturaux, comme moulés sur des modèles types, ce qui dessert grandement le roman, tout comme les longueurs – inévitables dans un livre de 930 pages – qui empèsent aussi la fresque sociétale (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2021/11/16/la-nuit-le-sommeil-la-mort-les-etoiles-joyce-carol-oates/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Comme dans Nous étions les Mulvaney, J.C. Oates nous raconte les effets d'une tragédie qui frappe une famille. Ici, c'est le père, Whitey MacLaren, dans la soixantaine, un honorable citoyen américain, entrepreneur prospère et qui fut même maire de sa petite ville, mari heureux et père aimant de cinq enfants, qui est gravement blessé puis meurt, suite à un «incident» de violence policière, alors qu'il tente de secourir un citoyen «de couleur» aux prises avec la police.
J.C. Oates s'attarde à nous décrire le choc, le déni, le vide vécus par Jessalyn, «la veuve», seule dans sa grande maison, (faisant écho à sa propre expérience de la perte de son conjoint qu'elle raconte dans «Et j'ai survécu»). Sur les cinq enfants, la perte du patriarche entraîne des effets divers, perte de repères, fuite en avant, désir de vengeance, névrose même, mais aussi, paradoxalement, une libération, car ils expérimentent tour à tour des tournants dans leur vie qui n'auraient pas semblé possibles si «Whitey» avait été encore de ce monde. Et il en va ainsi également pour «la veuve», qui malgré son accablement «veut vivre», et entame un nouveau chapitre de sa vie, des plus inattendus...
Encore une fois, j'ai été charmée par l'écriture de J.C. Oates, qui nous plonge dans la psyché de ses personnages, ... quelle plume ! j'ai seulement regretté qu'elle nous laisse quelque peu en plan sur la destinée des enfants, j'aurais aimé savoir la suite pour eux, le fils assoiffé de vengeance, la fille aînée qui divorce, l'autre fille qui accepte une mutation, les deux plus jeunes dont l'un vit enfin l'amour, l'autre la rupture, mais non, le livre est terminé, à moi d'imaginer la suite.
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