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sur 1444 notes
Joyce Carol Oates vous plonge dans les profondeurs de l'âme humaine. Son style si particulier cisèle avec une précision inouïe l'intimité de ses personnages, qui à tour de rôle occupent le devant de la scène.

Après un début riche en événements étranges, mais qui ont du mal à converger, le scénario se consolide et trouve sa vitesse de croisière. Tout cela vous entraîne et vous attire. Au bout d'un certain temps, attention… danger ! le rythme s'accélère et vous ne résistez plus à l'appel des Chutes !

Il aura fallu ramer, pourtant, avant d'arriver à ce fameux "point de non retour", avant de parvenir au stade où il devient impossible de lâcher le livre. Et c'est précisément à la page 223, grâce à l'affaire dite de "Love canal", que le livre démarre enfin. Dès lors, il devient impossible de faire machine arrière. Ce qui précède (environ un bon tiers du livre) n'était donc qu'une très longue introduction, permettant au lecteur de s'habituer aux protagonistes et de prendre connaissance de leur histoire familiale.

Nous ne ressentons au cours des premiers chapitres aucune empathie particulière pour les acteurs du drame qui se joue pourtant sous nos yeux. Peut-être sont-ils trop "fils de riches", trop "fille de pasteur", trop étranges, trop éloignés de nos modes de fonctionnement. Pourquoi ce pauvre Gilbert se suicide-t-il le lendemain de sa nuit de noce ? Comment Dirk, futur héritier et play-boy, peut-il s'éprendre de la pâlichonne Ariah ? Celle-ci n'est pas de son milieu, elle n'est pas très jolie, visiblement névrosée, et n'a a priori rien d'autre à lui offrir que ses douloureux problèmes personnels (qui s'avèrent nombreux, assez consistants, et ce n'est encore qu'un début).

Le piège se referme. Car on est déjà dans les questions et les interrogations. le suspense, à défaut d'être dans l'intrigue, sera psychologique. le lecteur devra donc chercher des clés, mais la personnalité d'Ariah, personnage complexe, va s'avérer ardue à décoder. Tour à tour naïve, amoureuse, disjonctée, inconsistante, totalitaire, non concernée, roublarde, futile, révisionniste, possessive, manipulatrice, émouvante, fuyante… agaçante ! (Merci de rayer vous-même les mentions inutiles, selon votre propre perception du personnage), Ariah échappe au catalogage facile. Comment comprendre Ariah ? On ne lui pardonnera jamais d'avoir écarté son mari au pire moment (alors qu'il avait pourtant besoin de son soutien, et que son amour pour elle était intact), d'avoir nié son existence, et d'avoir, pendant des années, menti à ses enfants. Pourquoi ?

Le lecteur n'est pas au bout de ses peines, car d'autres zones d'ombre se profilent à l'horizon : Qui est le véritable père de Chandler ? Qui est la Femme en noir du cimetière ? Celle-ci est-elle réelle ou a-t-elle été rêvée ? Royall a-t-il fait usage de son arme ? Juliet est-elle la narratrice ?

Joyce Carol Oates prend un malin plaisir à "suggérer" (y compris avec les pensées de ses personnages, signalées par les passages en italique, avec toute la subjectivité qui en découle), à proposer des fausses pistes et à multiplier les points de vue, sans réellement trancher par des faits concrets, décrits ou démontrés. Au lecteur de faire ce travail. Les faits sont peut-être imaginés, ou peut-être réels, certains restent suspendus, sans explications, une fois le livre lu.

Cependant, ces "angles morts" du récit restent à la périphérie du propos principal, qui conserve ainsi une parfaite cohérence. Joyce Carol Oates brosse l'histoire d'une famille américaine, de 1950 à 1978, et montre comment des secrets soigneusement enfouis peuvent perturber l'équilibre d'une famille pendant plusieurs générations.
L'auteure évoque aussi l'industrialisation de l'Amérique des grands lacs, depuis l'âge d'or insouciant de l'après-guerre (quand le rêve américain semblait encore possible), jusqu'au réveil brutal, avec la prise de conscience d'un revers de la médaille. le progrès industriel ne peut exister sans son cortège habituel de calamités : le cynisme des nantis, l'exploitation des faibles, la pollution industrielle, le développement des maladies professionnelles, la corruption, la collusion entre notables et la justice bafouée. le scénario de l'affaire du "Love canal" n'est pas sans rappeler celui du film « Erin Brockovich, seule contre tous », de Steven Soderbergh et avec Julia Roberts. Mais Dirk Burnaby, le pendant masculin d'Erin/Julia, n'aura hélas pas la chance de voir son chevaleresque projet aboutir. La réhabilitation tardive du "héros", par la société américaine et par sa propre femme (mais Ariah est-elle encore crédible ?) termine le roman sur une lueur d'espoir et un optimisme bienvenu, grâce à un "happy end" que certains trouveront peut-être trop artificiel.

Alors chut ! N'en disons pas plus sur Les Chutes. Plongez dans le livre, vivez l'ivresse des grandes profondeurs (psychologiques), et laissez-vous emporter au delà du point de non retour… jusqu'à la chute !
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ça y'est !! Je viens ENFIN de terminer The Falls ( Les Chutes ). le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il aura squatté ma table de nuit pendant un bon moment ...

Dans ce roman, j'ai trouvé l'écriture de Joyce Carol Oates vraiment très belle, et riche. Les 100 premières pages en témoignent. Ce n'est pourtant pas le premier livre de l'auteure que je lis, loin de là, et avec The Falls, j'ai vraiment eu la sensation de lire une symphonie de mots tant l'écriture est harmonieuse : chaque mot est à sa place !

La psychologie des personnages est très fine, pas seulement celle du personnage principal, Ariah, complètement névrosée, et véritable antihéroïne et antiglamour. Tous les personnages sont torturés et l'auteure n'a pas son pareil pour aller au fond de leurs tourments. Elle décrit leur désespoir, leurs incompréhensions et leur déchéance... Dans cette atmosphère, Oates fait progressivement monter une tension et un sentiment de malaise chez le lecteur.
Mais que se passe-t-il dans cette petite ville où tout le monde semble cacher des secrets plus inavouables les uns que les autres ?

Ce que j'ai beaucoup aimé aussi dans ce roman, c'est que certaines scènes sont décrites de telle manière qu'on s'imagine regarder un vieux film américain - avec les plans et la musique qui va avec.

Bien sûr, on a quand même les petits "délires" de l'auteure... Plus je lis ses romans et plus je me dis qu'elle a une vision des corps humains et de la sexualité très particulière...

Par contre, je termine ma lecture sur un goût plus amer à cause de toutes les digressions, flashbacks et changements de focalisations pas toujours évidents à suivre. Sur les 480pages , je pense qu'il y en a bien 140 qui n'aident pas à faire avancer le récit et lui apportent bien peu....

Malgré ces petites contrariétés je relirai cette auteure sans hésiter car ce roman m'a vraiment réconciliée avec son oeuvre. Après l'avoir lu, personne ne peut douter que sa place parmi les grands écrivains contemporains des Etats-Unis est méritée.
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A l'image du Niagara, la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Phases de tourments et d'accalmies règlent pareillement le cours de l'un et de l'autre. De même l'entrée en zone de non-retour précédant la chute brutale est rarement détectable.

Mariée la veille à Gilbert, Ariah se retrouve veuve le lendemain des noces. Le suicide de son époux au petit matin ne laisse pas de surprendre cette mélomane de 28 ans : depuis combien de temps Gilbert était-il entré dans cette fameuse zone de non-retour ?
En ce printemps 1950, le vent nauséeux du maccarthysme ne semble pas avoir atteint la petite ville de Niagara Falls située au nord-ouest de l'État de New-York et à proximité de la frontière canadienne. Capitale mondiale de la lune de miel, elle bénéficie d'une manne touristique importante et attire aussi, en raison de l'hydroélectricité locale, bon nombre d'industries de pointe et notamment chimiques.
Ariah n'aurait jamais dû voir l'envers du décor de carte postale de Niagara Falls. Le destin en a décidé autrement et la voilà, indirectement et bien malgré elle, liée aux affaires peu reluisantes et peu avouables de cette ville en apparence si avenante.

On mesure souvent le talent d'un écrivain à sa façon de brosser par petites touches la psychologie des personnages ; force est de constater que dans ce domaine Joyce Carol Oates excelle.
Qu'ils aient ou non un rôle de premier plan dans “Les Chutes”, la vingtaine de protagonistes semblent à tour de rôle s'imbriquer naturellement dans l'intrigue au demeurant palpitante sur fond de scandale écologique.

“Les Chutes” franchies dans l'euphorie, il est bien agréable de se laisser dériver au fil de l'impressionnante bibliographie de l'auteure américaine. Une deuxième approche de l'oeuvre de Joyce Carol Oates ne saurait tarder, à ce stade de la découverte loin est la zone de non-retour...
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L'écriture envoutante de Joyce Carol Oates ne laisse pas de répit au lecteur, "Les chutes" est le portrait d'Ariah qui semble sortir d'un tableau de Modigliani, avec sa silhouette longiligne et ses cheveux roux tenus en un chignon fragile. Mais ne vous y trompez pas, c'est un solide bambou déguisé en coquelicot balloté par le vent. On découvre Ariah dans les années cinquante, à trente ans, le lendemain matin de sa nuit de noces. Elle s'est mariée ainsi que son mari pour plaire à leurs parents. Lui n'a pas pu supporter plus longtemps cette situation et il s'est jeté dans les chutes du Niagara.

Durant une semaine, hagarde et foudroyée par le malheur elle attend avec obstination que l'on retrouve le corps de son mari. Dick Burnaby, un avocat, complètement fasciné par cette femme surnommée « la veuve blanche » par la presse, va la demander en mariage. L'ex vieille fille mal dans sa peau et le play-boy, riche héritier, forment un drôle de couple !

Le début de leur union sera passionné. Mais Ariah croit porter en elle une malédiction. Dès lors, elle s'enferme dans une certitude qui lui tient lieu de religion avec son cortège d'interdits qu'elle s'impose à elle-même comme à ses enfants. C'est une femme intransigeante, tout à la fois manipulatrice et faible.
Elle vit dans une bulle et ne veut pas voir le monde extérieur, ne pas perdre la face. Elle semble vivre dans une sorte de torpeur, elle piétine son bonheur la tête haute, seule la musique et son piano lui permettent de se relâcher un peu, si peu…

Ses sentiments sont ambigus, c'est une mère castratrice et c'est la maitrise de son image qui dicte en permanence son comportement…pour conjurer le mauvais sort. Pourtant, Dick Burnaby, son second mari est un homme attachant, complexe lui aussi, qui mènera un combat admirable mais voué à l'échec. Ariah n'a pas appris à aimer. Ni lui, ni leurs trois enfants.

Joyce Carol Oates nous fait rentrer dans l'intimité psychologique des personnages grâce à des descriptions physiques et psychologiques troublantes. On pénètre l'âme tourmentée des personnages tout au long de leurs chutes vertigineuses jusqu'à une possible renaissance…

Un roman saisissant.
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Les Chutes

Niagara Falls.

Une île au milieu des Chutes.

Goat Island.

Les Chutes.

Horseshoe Falls. American Falls.


Le vacarme incessant des tonnes d'eau qui se fracassent, qui se jettent à corps perdu dans le vide.
Comme cet homme, ce jeune pasteur, en voyage de noces. Qui laisse Ariah.
Ariah, la Veuve blanche des Chutes.
Ariah, jeune femme étrange, pas si jolie, mais diablement attirante. Il se damnera pour elle, le play boy de service. Dirk Burnaby, brillant avocat, riche, un beau jeune homme plein d'avenir.

Ils se marièrent, très peu de temps après le suicide de l'Autre...Et s'installèrent non loin des Chutes, à Niagara Falls.


Les Chutes.
Omniprésentes. Impressionnantes. Attirantes. Époustouflantes. Mais Dangereuses.


Je n'ai pas résisté à la fascination des Chutes. J'ai lu ce pavé en deux jours. L'histoire m'intriguait, m'entraînait, me captivait, me subjuguait, et m'a emportée.
Dès le début, le ton donné est dramatique. Dès le début, on se sent oppressé, tendu, sur le qui-vive.
Et si jamais l'envie vous prend d'aller vous balader sur Coat Island pour admirer les Chutes du Niagara, histoire de prendre l'air, histoire de se vider la tête , dîtes vous bien que ce magnifique paysage, ce décor incroyable ne vous délivrera pas de cette angoisse qui s'intensifie au fil des pages.
Bien au contraire...


Les Chutes

Toujours là, saisissantes...
Toujours là, inquiétantes...
Toujours là, funestes et … fatales.


Fatales, vraiment ?
N'y aura-t-il pas une lueur d'espoir ? Une échappée possible au destin maudit de la famille Burnaby ? On a envie d'y croire …
Mais pour cela, il faut se dépêcher de terminer le livre !
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A l'issue de cette lecture, je me suis demandé avec crainte comment j'allais pouvoir écrire un commentaire qui ne soit ni fade ni plat.
L'écriture tout en relief et en densité de JCO me paralyse, je me sens incapable de produire une ligne digne d'intérêt.
Vidé, totalement sous le charme de la force du contenu de ce roman.
Je voulais commencer par : Passionnant, mon premier Oates, je me réjouis, j'en ai encore 127 à lire ! Ridicule.
Ou alors par : Il y aura un avant et un après « Les Chutes ». Comme une fracture dans mes lectures. Facile.
Ou bien : Avec une joie profonde, je me suis laissé emporter dans le tourbillon des phrases de Joyce qui rendent Les Chutes incontournables, inévitables. Et je suis tombé d'dans, calîce.

Tabarouette, me v'la pas bien à l'aise pour poursuivre…

Niagara Falls, Etats-Unis – Canada, années 60. Ce roman m'a transporté dans un univers que je ne connaissais pas, que je n'imaginais pas, étayé par une trame romanesque qui m'a totalement happé par son intensité dramatique.
« Sortir de sa famille. Pour qui, pour quoi, pour une grande cause, pour sauver des inconnus ? »
L'écriture de JCO est tout en finesse et en subtilité ponctuée par des phrases courtes et percutantes, point contre poing.
Je peux parler de plaisir de lecture, d'une sensation d'osmose avec ce texte à la tension toujours présente, souvent sauvage, quelquefois salutaire.
Je n'ai pu détourner mes yeux de ces cataractes hypnotiques et vrombissantes qui avalent la destinée des êtres et l'avenir de leurs proches comme je n'ai pu détacher mes yeux de ces pages où les événements, les émotions et les drames de la vie s'enchaînent à « cent à l'heure », et pourtant, grâce à l'acuité acérée de l'auteure j'ai eu tout de même le temps de profiter du paysage des âmes et du panorama de leur profil psychologique étudiés avec minutie.

« le Monde » mentionne en 4ème de couverture que l'on retrouve dans ce roman les grandes obsessions de JCO. J'ignore les obsessions de cette femme, mais je peux attester y avoir rencontré un patchwork vibrant et exalté des comportements humains et de ses tourments :
L'amour et le déchirement de la famille, la fragilité de la beauté, la solidité et la fatigue du couple, la peur et l'attirance de la mort, le dépassement de soi et de sa condition, l'austérité de la solitude, la puissance et la défaillance de la justice, la corruption et le meurtre, la culpabilité, le pouvoir de l'argent et la foi.
Il y a aussi et surtout la jubilation de la réussite et le ravage des chutes…

Une chute, enfin ! Quand JCO cite les aquarelles de Winslow Homer et fait allusion à une des plus belles toiles de John William Waterhouse, Lady of Shalott, elle ne peut être que ma copine.

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Me voici bien embêtée. Un livre que j'ai adoré, et je ne sais pas trop comment aborder ce retour, D'habitude c'est plutôt avec les livres que je n'aime pas que ce phénomène se produit.
Un livre d'une telle richesse, où l'autrice aborde énormément de thèmes, où l'écriture est une telle merveille que je ne sais par où commencer.

Peut-être l'histoire. C'est celle d'une famille, que l'on voit se créer, dont certains membres vont disparaitre, dont certains vont avoir du mal à cohabiter, dont certains voudront disparaitre. Et qui nous entraîne de surprise en surprise.
Et dans cette famille en tout premier lieu, la mère, personnage complexe qui m'a souvent exaspérée, par son attitude. On a l'impression qu'elle a peur du bonheur, et qu'elle ne s'autorise pas, sauf à de courts moments à être heureuse. Elle est parfois naïve, parfois autoritaire, manipulatrice, certainement un peu névrosée, hautaine, voire méprisante. Et pourtant aucun de ces adjectifs ne peut la résumer. Elle était une jeune femme inexpérimentée, elle deviendra une femme très forte, la colonne vertébrale de cette famille.
Il y a aussi le mari, devrais-je dire les maris, même si le rôle du premier est plutôt limité, à la fois dans l'état de mari, et dans le roman. Et les enfants, dont chacun prendra tout à tour le devant de la scène, très différents les uns des autres, tous marqués par la relation avec leur mère, tous marqués par l'absence du père. Les relations entre les différents membres de la famille sont complexes, et l'autrice prend beaucoup de plaisir à les décortiquer pour nos yeux ébahis et admiratifs de lecteurs.

C'est aussi l'histoire d'un lieu, une ville, Niagara Falls, une ville aux deux aspects, d'un coté la beauté bien connue mais tout de même inquiétante des Chutes, et de l'autre la laideur de l'industrie, Chimie essentiellement :
« C'était une jumelle, mais une jumelle difforme. Il y avait les Chutes, et il y avait la ville de Niagara Falls. D'un côté, beauté et terreur de la beauté ; de l'autre, utilité pure et laideur de la fabrication humaine. »
Et ces deux aspects de la ville tiendront à égalité un rôle important dans l'évolution des personnages.
Mais ce qui imprègne tout ce récit, ce qui en est un personnage à part entière, reste quand même cette merveille de la nature, les Chutes, omniprésentes dans le récit, imprégnant tout le texte de leur humidité et de leur attrait parfois maléfique, certains y laissent leur vie et les habitants de la ville s'en méfient :
« Les Chutes exerçaient néanmoins un charme maléfique qui ne faiblissait jamais. Lorsque vous grandissiez dans la région du Niagara, vous saviez. L'adolescence était l'âge dangereux. La plupart des gens du cru se tenaient à l'écart des Chutes et ne risquaient donc rien. Mais si vous approchiez trop près, même par curiosité intellectuelle, vous étiez en danger : vous commenciez à avoir des pensées qui ne vous ressemblaient pas, comme si le tonnerre des eaux pensait pour vous, vous dépossédait de votre volonté. »

L'autrice parle aussi de l'Amérique de ces années qu'en France on a appelé les 30 glorieuses, ces années où le tourisme n'est plus réservé à une minorité richissime, les Chutes se démocratisent, les hôtels changent, les palaces ne sont plus les destinations premières, mais à côté de cette évolution plutôt favorable, d'autres se révèlent plus nocives et ce, dans tous les sens du terme. L'industrie se développe et l'écologie est encore une notion bien méconnue. Il y a des quartiers à Niagara Falls où l'on meurt plus que les autres, et ceux qui meurent n'en sont pas responsables, malgré ce que les autorités veulent faire croire. Impossible de freiner le développement de la ville, tant pis pour ceux qui y laissent des plumes, et s'il faut arroser (et pas avec de l'eau cette fois) , corrompre, n'hésitons pas. Et si certains quartiers deviennent insalubres, peu importe, les responsables de ces grosses industries habitent ailleurs. Ce roman est aussi le récit d'un combat, celui de David contre Goliath, sauf qu'ici les miracles ne se produisent pas et Goliath restera pour cette première fois au moins le plus fort.

Elle nous parle aussi de religion, de ces familles auxquelles la religion dicte leur comportement, qui ne savent plus penser par elles-mêmes, et j'avoue que j'ai été ravie de trouver dans la famille héroïne du livre une distance très salutaire vis-à-vis de celle-ci et de ses obligations , malgré l'enfance de la mère auprès d'un père pasteur.

En dehors du fond tellement riche, il y a aussi la forme. Et en tout premier lieu, l'écriture, qui sait si bien décortiquer les sentiments, mettre à nu tous les personnages, avec une précision dans le mot qui ne déçoit jamais. C'est à la fois fascinant et horrifiant. Que de passages surlignés, sur ma liseuse.
Et puis aussi, ces variations dans les narrateurs, dans les points de vue, ces passages en italique qui relatent les pensées des personnages, et nous intriguent un peu plus. Est-on dans le réel, dans l'imaginaire ? L'autrice ne nous donne pas toutes les clés, à nous de décider.

Pour quelqu'un qui ne savait pas trop comment en parler, je suis devenue bien bavarde. Et encore, je pense qu'aussitôt refermé ce billet, je vais encore penser à bien d'autres aspects que je n'ai pas évoqués. Je vous disais ce roman est infiniment riche, infiniment bien écrit et chaque lecteur peut à mon avis y trouver des sujets qui l'inspirent.
Ce fut une nouvelle fois un plaisir de partager cette lecture, ce livre ou d'autres de JCO, avec mes complices habituels plus quelques autres. Merci à berni_29, bidule62, gromit33, HundredDreams, Isacom, mcd30, mimipinson, NicolaK, Roxanne78, Yaena.
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Les mystérieuses et fascinantes chutes du Niagara sont la source et le coeur de cette saga familiale.
Ces légendaires chutes qui ont toujours exercé un attrait primitif et maléfique sur les âmes torturées qui cherchent la paix et la délivrance, sont traitées ici comme un vrai personnage autour duquel graviteront plusieurs destinées.

En dynamitant la ligne d'horizon de nos ambitions individuelles et collectives de sa plume ultra-sensible et de son analyse psychologique, Joyce Carol Oates sème le tourbillon en posant cette question centrale : faut-il vraiment se réaliser soi-même ?

Face au miroir déformant de la perception des personnages, l'auteure multiplie les angles et emprunte des virages et des diagonales invisibles.
Telle l'eau qui creuse la roche, elle va créer des sillons tortueux qui lui permettront d'aborder des questions de société, de dénoncer des pratiques, mais surtout de mettre en lumière la complexité des relations entre les êtres d'une même famille.

Néfastes, toxiques, calquées sur de non-dits et sur l'incapacité d'accepter son destin, les relations peuvent s'avérer dévastatrices et certaines décisions peuvent endiguer et compromettre toute une lignée, les punissant et les condamnant à payer les erreurs des générations précédentes.

On s'y installe avec délice, on prend le rythme un peu parfois à contre-courant et on suit au bout du monde et de l'histoire, d'un seul élan, libres de savourer l'instant présent.

Un récit hypnotique, cérébral et de chair !!


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La réputation de « les chutes » de Joyce Carol Oates a eu deux effets sur moi , le premier a aiguisé mon envie d'acquérir ce livre et bien sûr de le lire et le deuxième a été paradoxalement de me faire hésiter à l'ouvrir. C'est souvent le cas face à des livres qui font une quasi-unanimité. Je savais que j'apprécierais l'écriture car ce n'est pas mon premier Oates mais il ne suffit pas d'adhérer à une plume pour aimer un livre. Et si je n'arrive pas à entrer dans l'histoire ? et si je n'aime pas les personnages ? arrêtons-là les suppositions, le temps du confinement a eu raison de mes hésitations, je viens de le terminer et je rejoins les fans ! c'est un grand livre qui mérite d'être lu, bien installée sans être dérangée par des contraintes horaires.
Les chutes font références bien sûr aux chutes du Niagara mais aussi aux chutes psychologiques, quelles sont les conséquences d'un suicide , comment se remet-on d'un suicide, d'un abandon, d'une trahison. ?
Ariah est celle qui va connaître ce drame le lendemain de sa nuit de noce. Nous allons pendant plus de 500 pages la suivre. Elle ne gagnera pas ma sympathie mais cela ne m'a aucunement empêché de vivre intensément les différents événements qui vont jalonner sa vie. Même si ce n'est pas un livre à suspens, je ne vais pas trop en dire sur sa vie pour permettre aux futurs lecteurs d'avoir le plaisir d'apprendre comment Ariah va vivre et s'arranger avec « sa malédiction ». L'auteur dépeint avec finesse, profondeur et beaucoup d'agilité la psychologie des personnages !
Le portrait que Joyce Carol Oates dresse de l'Amérique n'est guère flatteur: puritanisme, corruption, catastrophe écologique. C'est un récit fort qui mérite amplement ses prix.
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Entraîné dans Les Chutes vertigineuses de ce roman abyssal, me voici quelques jours plus tard revenant à la surface des eaux pour vous en parler. Carol Joyce Oates possède-t-elle un don pour emporter, perdre son lecteur dans les méandres d'une histoire échevelée ? Incontestablement, oui.
Les Chutes, ce sont celles de Niagara Falls qui recèlent un pouvoir qui attire, qui aimante.
Le paysage est planté dès les premières pages et c'est comme une rivalité qui s'acharne dès le début, celle de savoir qui sera le personnage principal du roman, ce décor démesuré omniprésent tout au long du récit, ou bien cette femme Ariah, qui entre en scène presque malgré elle, presque sur un malentendu, l'ironie du sort qui s'empare d'elle lors d'une nuit de noces fatale, ou du moins lors d'un lendemain qui déchante...?
Elle n'était sans doute pas faite pour cette histoire, pour ce destin, cette jeune femme un peu évanescente, sortie d'une éducation puritaine, celle de l'Amérique des années cinquante. Elle n'était pas faite pour entrer dans cette histoire jusqu'à ce drame qui fait d'elle l'héroïne d'un roman, d'un destin, d'une tragédie.
Tout commence dans cette chambre d'hôtel qui n'existe peut-être que pour les lunes de miel et les touristes en mal de sensation... Ariath aura savouré sa lune de miel durant une nuit tout juste, et encore... S'en souvient-elle ?
Le reste n'a plus d'importance, le destin en a décidé autrement. Tandis qu'elle dort encore, dans les brumes encore alourdies des nombreuses bulles de champagne de la veille, elle se réveille encore presque sotte de ne pas savoir qui elle est ce matin-là, où elle est, elle n'a pas entendu son tout récent mari s'en aller sur la pointe des pieds, après avoir griffonné un dernier mot, une dernière phrase sur le papier à lettre à l'en-tête de l'hôtel, s'en aller vers là-bas, se jeter quelques minutes plus tard d'un élan presque jubilatoire dans les eaux furieuses du Niagara.
Elle s'appelle Ariah Littrell, devenue Ariah Erskine en si peu de temps... Devenue celle qu'on appellera " la Veuve blanche des Chutes ", errant au bord du gouffre en quête d'un écho, d'une absence devenue arrogante. C'est alors qu'elle va commencer sa métamorphose, sa mue...
Carol Joyce Oates savait-elle déjà que son personnage principal allait être insaisissable ? Insaisissable comme les eaux tumultueuses des Horseshoe Falls, comme la note fugitive d'une partition de Debussy, comme les rires de l'enfance qui surgissent en nous.
On pourrait la croire ressuscitée au bout de quelques jours, quelques semaines lorsqu'elle effleure ce goût insolite du bonheur, ou du moins ce qui y ressemble en la personne de son futur second mari, un jeune avocat rencontré presque par hasard, mais au bord des Chutes du Niagara, dites-vous qu'il n'y a jamais de hasard, les histoires d'amour ne sont que des accidents de parcours.
Carol Joyce Oates ne lui laisse jamais le temps de savourer la sensualité, le désir, le vertige de l'amour... C'est comme si elle cherchait toujours à donner à ces personnages qui ressortent des cendres une occasion d'y retourner, d'étreindre la mort, le morbide, la fatalité dans tous ces états. Mais qu'a donc Carol Joyce Oates contre la sacrosainte famille pour lui tordre ainsi le cou ? Ariah va apprendre ce goût immodéré du malheur et va le faire subir à son entourage, c'est-à-dire sa famille.
On voudrait l'aimer, mais comment aimer ce personnage qui nous échappe sans cesse, qui n'existe pratiquement que par le chant choral des autres personnages qui lui donnent écho, qui lui donnent corps dans leur besoin d'aimer, d'être aimé et leur mal de vivre ? Ariah craint le bonheur, suscite sans cesse l'incompréhension, mais exprime sans doute aussi un besoin immense de reconnaissance. J'aurais voulu la prendre dans mes bras mais je savais qu'elle m'aurait fait mal. Fuir le bonheur de peur qu'il ne s'en aille.
Ici j'ai aimé me perdre dans cette incompréhension, dans cette ambivalence du personnage d'Ariah, qui de ses doigts agiles de pianiste pouvait toucher la joie, s'en saisir, la faire sienne, la porter aux autres. Par moments, je me suis épris de sa fragilité devenue une force, une résilience... Mais écartant le rideau d'une vie, ses doigts n'ont eu de cesse que d'emporter le paysage quotidien dans sa résignation et une sorte de goût pour le malheur, se croyant damnée à jamais... Faisant de son existence une malédiction.
Je suis allé de surprise en surprise, dans la voix des autres personnages aussi, ne sachant jamais où l'autrice m'entraînait, sauf jamais loin des Chutes, dont j'entendais le vacarme obsessionnel éveiller en moi des torrents de malaise, quelque chose que je ne savais pas encore nommer.
Étais-je à mon tour devenu ce funambule au-dessus du vide, tentant de rejoindre l'autre versant d'une histoire qui brusquement s'ouvrait à moi comme un paysage qu'on déchire en deux, faisant surgir une autre histoire improbable ? Lire Carol Joyce Oates, c'est s'empêcher sans cesse de regarder vers le bas...
Elle n'a jamais cessé de me perdre ici et là dans ces pages addictives froissées de violence et de compassion, plus tard je ne sais toujours pas où je suis parvenu. C'est sa manière d'écrire, de nous raconter une histoire. On aime certains livres à cause de cela, il n'est pas nécessaire de tout comprendre, que l'eau d'un lac soit transparente pour parvenir à en deviner le fond.
Ne pas tout comprendre.
L'écriture de Carol Joyce Oates, lancinante, trépidante, envoûtante, sa musicalité, le bruit des Chutes, les voix tout autour aussi assourdissantes que la fureur des eaux, c'est un livre qui continue de résonner en moi...
Fragile.
Plus tard, je ne sais pas ce que je retiendrai de cette histoire, de ces voix perdues dans le tumulte d'un fleuve et de ce que des hommes ont pu en faire. Que restera-t-il de cet écho torrentiel à l'épreuve du temps ?
Sûrement en tous cas, une belle lecture commune et réjouissante avec quelques fidèles amies et de nouvelles têtes... Merci à mes compagnes de lecture : Anne-So, Catherine, Christine, Doriane, Isabelle, Marie-Caroline, Mimipinson, Nicola, Roxanne, Sandrine.
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