Je découvre
Joyce Carol Oates avec ce roman qui me laisse perplexe. Mon appréciation est en demi-teinte. Je suis restée sur ma faim car j'aurais aimé que l'autrice creuse davantage les sujets ou événements qui m'ont passionnée.
D'une part, le scandale de l'expansion industrielle des années 50 ravageant toute une région avec Love Canal m'a semblé être inabouti et survolé. Cette tragédie sert un des personnages pour devenir le fil conducteur d'un secret familial sans être abordée de front.
D'autre part, les protagonistes, pourtant bien dépeints, manquent à mon sens d'histoires communes et individuelles. J'ai aimé suivre les trois enfants et leur mère, en espérant plus de détails et d'anecdotes sur leur vie et ainsi comprendre de façon lumineuse leur comportement. Par exemple Juliet a une voix incroyable, j'imaginais que ce thème soit davantage exploré.
Par ailleurs, Ariah, étant divinement douée au piano, je m'attendais à une intrigue exposant de plein fouet cette puissance presque insolente.
Quant à la chute, je désirais secrètement voir réapparaître La Femme en Noir, dont l'atout énigmatique laissait envisager une rencontre de chair et/ou spirituelle avec Ariah la mère déjantée.
Ariah... justement, en voilà une personnalité atypique et antipathique à souhaits ! Curieux mélange. Alors qu'elle semble être touchée par la grâce en effleurant les touches de son piano, cette femme m'a bigrement mise mal à l'aise. Complètement frappée, odieuse car névrosée, injuste et d'une mauvaise foi extraordinaire, elle est en plus bigote !
Une peinture bien étrange qui n'a pas été pour me déplaire. il y avait cependant de quoi approfondir encore.
Au regard de cette d'incomplétude, je me suis parfois ennuyée dans des digressions ou orientations dispensables. J'ai pris du plaisir à lire sans être bouleversée.
Le
corps de l'histoire repose sur le passé angoissant d'une famille exclue par la société qui l'a mutilée.
Les chutes tel un vertige à apprivoiser par toute une fratrie pour découvrir d'où ils viennent et qui ils sont.
Le style quant à lui est assez inégal. J'ai lu
Les chutes en version française avec l'édition
Philippe Rey qui a souffert de quelques maladresses ou fautes grammaticales à la transcription.
En dépit d'une version traduite, j'ai noté plusieurs richesses dans l'écriture.
Je ne dirai pas qu'elle écrit merveilleusement bien, en revanche elle est tout à fait capable d'approcher une plume élégante et étonnante. L'ensemble reste toutefois cahotant selon mes critères et références.
Pour étoffer cette critique partagée, il est notable d'évoquer le rapport très particulier à la sexualité que l'autrice dévoile. Souvent sordides et malsaines, les scènes d'amour et de sexe ont un goût putride.
Une mère qui est proche de l'orgasme en se faisant téter le sein par son enfant et en le qualifiant de bien meilleur amant que son mari.
La première relation sexuelle crasseuse d'Ariah vécue comme un viol par son jeune époux, qui découvre sa femme tel un démon écoeurant et malodorant prêt à l'engloutir. "Ses bras se refermèrent soudain autour de son cou... serrés comme des tentacules de poulpe... et elle l'embrassa à pleine bouche. Gauchement séductrice, une paupière à demi fermée.
Insupportables pour lui, ses mains brûlantes courant sur lui à l'aveuglette.
Avec horreur, il entendit un cri aigu saccadé lui échapper à l'instant même où sa semence laiteuse jaillissait hors de lui douce et perçante comme un essaim d'abeilles. Son cerveau était éteint, telle une flamme que l'on a soufflée. Son coeur battait dangereusement. Leurs
corps poisseux de sueur adhéraient l'un à l'autre.
Plus tard il l'entendrait hoqueter et vomir dans la salle de bain."
Ou encore, une femme en noir dont les ébats, avec un jeune homme qui pourrait être son fils, frôlent l'inceste.
"La femme le tira par la main en riant. Elle continuait à lui caresser les joues et à le couvrir de baisers rapides, légers, fugitifs, des phalènes frôlant ses lèvres, mystérieuses et insaisissables. Elle le touchait avec familiarité, comme une mère touche un enfant, affectueuse et un peu grondeuse. Elle l'embrassa avec plus de force, ses lèvres impatientes écartèrent les siennes, et Royall sentit sa langue chaude, vive comme un serpent, provocante. À ce moment-là, Royall, qui était un jeune homme excitable, était très excité. Avec son mètre quatre-vingt-huit, il était bourré de sang, et tout ce sang avait afflué dans son sexe qui lui semblait aussi énorme qu'un maillet."
Plusieurs descriptions crues montrent également une aversion à la sexualité.
Le
corps d'Aria exposé à un portrait visqueux et repoussant.
"Gencives découvertes, dents humides découvertes. Une bande irrégulière de poils couleur rouille entre l'étau de ses cuisses. Il la trouvait laide, répugnante."
Ou encore, un mégaphone comparé à un énorme phallus ridicule... L'adjectif ridicule était-il indispensable ?
Confondant.
"Le mégaphone l'avait épuisé. Comme un énorme phallus ridicule. On prenait cet instrument avec émerveillement, on le reposait avec accablement."
Pour clore cet avis, je vous propose quelques passages tranchés et suggestifs. Je reste curieuse de découvrir un autre roman de
Joyce Carol Oates.
"Elle ne se rappelait pas précisément. le liquide laiteux jaillissant du machin élastique de l'homme sur son ventre, et sur les draps, non elle ne se rappelait pas."
"On racontait que, dès l'école primaire, des poils rudes d'une épaisseur inquiétante avaient commencé à pousser sur le
corps trapu de Stonecrop. Sa bite grossissait de semaine en semaine. Dans les vestiaires, il fut noté qu'elle était toujours à moitié en érection ; les autres garçons apprirent vite à éviter de le regarder avec la terreur instinctive d'un individu armé d'un canif de six centimètres opposé à un adversaire muni d'une machette."
"Le jeune homme au crâne rasé communiquait autant par le silence que par la parole."
"Ce n'est pas seulement la musique qui rend Ariah heureuse mais la simple possibilité, la promesse, de la musique."
"Elle leva son visage vers lui avec le désir nu et insouciant d'une fleur cherchant le sommeil."
Lu en juin et juillet 2020