Joyce Carol Oates est une auteure d'exception, que j'ai eu le plaisir de découvrir, voilà quelques années, à travers son roman biographique,
J'ai réussi à rester en vie. Elle y contait le décès subit de son mari, ainsi que la terrible période de veuvage qui a suivie. Un récit noir, triste et poignant, grâce auquel j'avais pu découvrir l'auteure plus intimement. le deuil, la perte d'un être cher, la reconstruction, sont des sujets forts, abordés presque systématiquement dans chacun de ses romans.
Les Chutes n'échappe pas à la règle : aux lendemains de ses noces, Ariah découvre l'absence cruelle de son mari, qui s'est suicidé dans
les Chutes du Niagara. Un choc, brutal et inattendu, qui va faire d'Ariah une femme damnée, condamnée à vivre éternellement avec le souvenir cuisant de cette perte. Elle arrivera néanmoins à poursuivre sa vie et à fonder une famille aux côtés de Dirk Burnaby, célèbre avocat de la région, avec qui elle aura trois enfants, Chandler, Royall et Juliet. Mais
les Chutes ne sont jamais loin, avec leur spectaculaire attrait et puissance naturelle féerique mais dangereuse, omniprésentes dans l'esprit et la vie d'Ariah.
Les Chutes du Niagara se situent à la frontière entre le Canada et les États-Unis. Ce sont
les chutes d'eau les plus puissantes d'Amérique du Nord et les plus connues au monde, attirant des millions de touristes chaque année, venant en masse admirer la beauté de cette merveille naturelle. Mais
les Chutes sont également connues pour être un haut lieu de suicide : nombre de personnes désespérées se jettent dans ses hauts bouillonnantes et tourbillonnantes, sans aucune chance de survie à plus de 52 mètres de hauteur. Ce fût le cas de Gilbert, le premier mari d'Ariah, fasciné par
les Chutes, comme irrésistiblement attiré par leur beauté exceptionnelle, il s'est jeté sans hésiter dans l'eau. Son
corps n'a été retrouvé qu'une semaine après.
Bien que le contexte de l'histoire des Chutes, comme narré dans ce roman éponyme, n'est pas très glorifiant pour ce lieu d'envergure, il a néanmoins contribué à me faire connaître davantage ce vertigineuse décor, considéré par certains comme la huitième merveille du monde. Je ne sais pas si ce sont
les chutes en elles-mêmes ou l'écriture de
Joyce Carol Oates, mais l'une ou l'autre a bien eu un effet d'attirance sur moi, si bien que j'ai maintenant l'irrépressible envie de les voir en vrai. Un jour, j'irai.
Loin d'enjoliver les li
eux, l'auteure dénonce avec justesse l'industrialisation de l'Amérique, en particulier des Grands Lacs, qui servent de mine d'or industriel après-guerre. Autour des Chutes, les entreprises chimiques en particulier s'y sont installées : le progrès est croissant, l'activité économique aussi, mais vient avec
eux la pollution massive de l'environnement, le développement de maladies liées à cette pollution industrielle, la corruption, ou l'exploitation des populations les plus démunies. Une bien triste réalité, qui vient corroborer l'image touristique idéal que chacun se fait des Chutes. Dirk Burnaby, le second mari d'Ariah, se voudra l'avocat défenseur d'une citoyenne, victime parmi d'entre d'autres de cette industrialisation massive. Dans les années 1970, dans une banlieue de Niagara Falls nommée « Love Canal », on découvre une décharge de produits toxiques enfouies sous des centaines d'habitations, passé sous silence par les industriels concernés. Les conséquences pour les habitants de ces habitations sont désastreuses : maladies en tout genre, cancers, fausses couche, problèmes respiratoires, etc. Dirk consacrera la fin de sa vie à ce combat perdu d'avance, à cause duquel l'ensemble de ses connaissances, essentiellement des personnes de pouvoir, le renieront et lui tourneront le dos.
Pour en revenir à l'histoire en elle-même, il ne faut pas que vous vous attendiez à beaucoup d'actions. Déjà dans
J'ai réussi à rester en vie, j'avais remarqué que l'auteure s'intéressait plus à la psychologie des personnages, ainsi qu'à leurs sentiments intérieurs. Comme dans l'autobiographie précédemment citée, elle dresse ici avec intelligence une réflexion sur le suicide et sur le deuil qui s'ensuit. Colère, déni, crispation, puis rejet ou mensonges sont autant de sentiments qui vont animer Ariah suite au décès de son première, puis second mari. On entre avec profondeur dans leurs esprits, l'auteure se plaisant à décortiquer avec minutie leurs états émotionnels à travers une écriture fluctuante et rythmée, qui envoûte et passionne. J'ai beaucoup aimé cette lecture, que je considère presque comme une expérience de lecture surprenante !
Laissez-vous dériver sur les pages gondolées des Chutes. Un roman riche, puissant, très complet, qui vous transporte, vous bouleverse et vous fait réfléchir à des sujets variés, comme le deuil, la reconstruction, la corruption, ou encore l'empreinte écologique que nous laissons sur Terre.
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