Rien ne correspondait à l’idée qu’on se fait généralement du mystère. Il n’entrait en jeu, ni château mystérieux, ni crime, ni tonnerre, ni éclairs, ni savant fou, ni séduisante héroïne. Rien qu’une douce nuit d’été sur une route de campagne, un ranch endormi, des grenouilles coassant au bord d’une rivière. Rien que la terre, l’air et les étoiles…
Nous en savons cent fois davantage sur les Esquimaux que sur les gens qui vivent dans les petites villes du monde soi-disant civilisé. Qui sont-ils, peuplant ces communautés mal connues qu’il nous arrive de traverser en voiture ? Que font-ils ? Que pensent-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ?
Un nombre dérisoire de petits villages américains ont été scientifiquement étudiés par des anthropologues ou des sociologues. Ils sont si peu nombreux que ce qu’on en sait est sans signification. Nous en savons aussi long sur la planète Mars que sur la plus grande partie de notre propre pays.
En dehors de l’exercice de sa profession, Paul Ellery était d’un tempérament plutôt sceptique. Il aimait les faits précis et, pour les atteindre, était capable d’affronter les questions les plus embarrassantes. Il avait l’habitude d’aller droit devant lui, et ne gardait guère le souvenir de ses erreurs, ce qui pouvait à l’occasion le faire passer pour un cynique obstiné. À quoi il remédiait au besoin par un sens très vif de l’humour et un caractère agréable et sans prétention.
Il avait lu beaucoup de livres écrits par des hommes en quête d’inconnu, ou de mystère. Ces hommes avaient exploré l’Arctique, la jungle sud-américaine, l’Afrique, l’Égypte, la Polynésie. Ils avaient utilisé des télescopes et des spectroscopes pour fouiller l’espace, pour scruter la Lune, Mars, Jupiter, les étoiles les plus lointaines. Ils avaient inventé l’électroencéphalographe et avaient exploré, grâce à lui, le cerveau de l’homme.
Les étoiles apparaissaient une à une dans le ciel. Il sentait le parfum des orangers. C’était une odeur nostalgique. Pour lui, elle évoquait Anne, qui était à moins de trois cents kilomètres de là, à Austin. Trois cents kilomètres : quatre heures de voiture. S’il prenait la route maintenant, il pouvait y être peu après minuit.