Thélyson Orélien nous offre la nudité du verbe. A prendre ou à laisser. Avec une douceur de ton et de forme il nous emmène à travers les courants, les déliés, le vides et les pleins du corps sublimé, du corps astral, austral, magnétique. Magique ? Un corps qui «avait la forme de mes bras / l'espace de mes yeux ». Il nous entraîne dans un voyage immobile mais (in)augural.
« Et nous avons fait l'amour / jusqu'au verso du temps ». C'est bien de l'amour qu'Orélien nous parle. Et de lui. Il sait que l'amour comporte des risques, des écueils et des revirements. Il sait bien que l'amour est une substance qui peut brûler l'esprit aussi sûrement que l'eau enflamme le sodium. Et pourtant il franchit le pas, se jette à l'eau et nous lance ses vers comme des étincelles du milieu de l'océan. Sa marche nue dans la lumière de cet amour n'est pas un choix, mais une nécessité. L'homme n'a pas le pouvoir de décider, comme les loups il suit son instinct. Il n'y a ici ni bien ni mal mais seulement l'évidence de l'action associée à la volupté de la pensée.
Il nous dit son désarroi face à la solitude, à l'absence de l'être aimé, et aussi à l'absurdité de n'être qu'une goute de chair éperdue à la conscience du vide. Il nous rappelle la perte originelle qui sépare les sexes et les enferme arbitrairement. Il y a la blessure de celui que l'esseulement fait replonger dans la douleur et la mélancolie plus profondes de la séparation irrémédiable qui l'a vu naître homme. Cette coupure franche qui nous fait passer de l'indistinct à l'individu. D'un monde à l'autre, avec un aller simple.
Ce que les mots s'évertuent à découvrir « comme une courte / et assourdissante folie », c'est bien le mystère du temps, le mystère du silence indissociables de l'absence. du vide. Tel un mystique sans confession, sans plus d'attache, avec toujours au premier plan cet amour, l'ancien amour, qu'il croit étoile du berger à même de guider ses pas mais qui s'avère étoile filante ne laissant derrière elle qu'un sillage de soufre et la douleur au ventre. Puis le creusement, l'affouillement de cette douleur jusqu'à atteindre la perle noire au centre pour « redire l'aveu / l'abîme / ou la spirale de l'extase / dans le vide prononcé ».
Déconstruire chaque parcelle de sentiment pour, de ses infimes réminiscences, espérer refaire exister l'être aimé. Recréer le présent de l'amour, cet Eden d'où il a été chassé sans crier gare « pour un débris de pain frileux ». Mais il n'est pas dupe. La douleur aiguise l'intellect. Il grandit. Il sait intimement qu'à défaut, ses poèmes de l'absence lui serviront tôt ou tard à conjurer un nouvel amour.
Dans l'écriture d'Orélien il y a le souffle et le rythme, le savoir intime du rythme. La maîtrise des espaces de silence qui fondent les mots et les vers. Ces vides et ces absences sont à lire au même titre. Ils font écho à ce vide existentiel et pour cela constituent parfois le coeur du poème. de la faille séparant deux versets surgit un autre poème non dit, non verbal, plus grave et plus profond, venu du lointain du songe ou de l'inconscient. A nous d'en percevoir les formes dans la transparence. le poète nous convie parfois à un tango, comme il le dit, mais plus souvent au rythme du kompa ou de la musique racines de son pays. Il y a la mélancolie des corps qui chaloupent nonchalamment pour oublier tout ce que la vie apporte de privations. le « rythme fatigué de la main », comme il est annoncé dès le premier poème. Une main qui de crainte de tout perdre, de se perdre, s'efforce « de tout écrire / de tout produire », jusqu'à l'épuisement
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Le poète nous montre la lumière. Dans un pays qui ne finit pas d'en baver au rythme des séismes, des cyclones et des dictateurs, dans un pays où manger est pour beaucoup une activité moins que quotidienne, dans un pays où l'idyllique beauté semble tromper si sûrement les hommes, la vie ne pourra malgré tout être complètement éradiquée.
Dans un pays blessé, écorché, aux chairs encore béantes, il reste place pour l'humanité. Et pour l'amour.
Les poèmes de
Thélyson Orélien déshabillent l'âme d'une certaine liberté.
Par
Arnaud Delcorte,
Écrivain et chercheur à l'Université de Louvain
Pennsylvanie, Septembre 2010.