Fallait-il tant de pages pour raconter l'histoire de Gabriel
Orsenna ? Peut-être, c'est ce que le jury du Prix Goncourt a décidé, mais le risque, c'est de se noyer dans le bavardage, et de perdre son lecteur. Et ce serait dommage ! Il y a tant de beaux passages, sur lesquels on aime s'arrêter, pour les relire, et qu'on aimerait encadrer, recopier, réciter. Parce que, oui, ce que j'ai préféré, c'est le style, l'écriture d'Erik
Orsenna.
Et pourtant, des péripéties, il y en a. On découvre la famille de Gabriel, ses amours, la famille de ses amours et les amours de sa famille, et nous voilà entrainés de la France au Brésil, et jusqu'au Vietnam, tout au long de la longue vie de Gabriel. Les lieux, les contextes sont très documentés, incroyablement bien évoqués.
Les personnages sont également intéressants, surtout Gabriel, le « rebondi » : il n'est pas fréquent de se voir proposer comme héros un « gros », heureux de l'être, et apprécié comme tel. Néanmoins, j'ai ressenti comme un décalage, comme si tous ces personnages ne parvenaient pas à la consistance de la réalité. C'est sans doute dû au ton général, au regard assez désabusé que le narrateur porte sur tout. C'est comme un recul, une mise à distance, un peu cynique.
A propos du narrateur, je n'ai pas trop saisi l'intérêt de basculer sans cesse d'un narrateur interne à un narrateur externe, parfois jusque dans la même phrase. Cela m'a donné l'impression de regarder un tableau de Picasso, qui montrerait un visage vu à la fois de face et de profil, et cela participe à cette mise à distance qui m'a maintenue à la surface de cette histoire, certes brillante, mais qui manque, à mon avis, de profondeur.