Citations sur Petit précis de mondialisation, tome 1 : Voyages au pay.. (64)
« Le futur a commencé là, grâce au café et au sucre. Et dans la machine à fabriquer le futur brésilien, le coton n'était qu'un tout petit rouage. Le climat n'était pas trop favorable : pas assez de chaleur, malgré le tropique du Capricorne, et trop de pluie aux mauvais moments. Le coton a préféré changer d'air, monter vers le nord ou le nord-ouest. Mais les usines de kilomètres, les usines se touchent. Leurs noms sont proclamés fièrement sur de grands panneaux multicolores. Cet orgueil est touchant. Mais on voit bien qu'il cache l'essentiel : ces usines ne sont que les morceaux d'une usine unique, une fabrique nommée Brésil, la fabrique du futur. »
En parlant d'Alexandrie:
"La maladie qu'on y vient soigner serait peut-être l'excès de présent dans nos vie, la tyrannie de l'immédiat avec son corrolaire: l'absence de profondeur, qui peut se nommer platitude."
Voyager, c'est glaner.
Une fois revenu des lointains, on ouvre son panier. Et ne pas s'inquiéter s'il paraît vide. La plupart des glanures ne sont pas visibles : ce sont des mécomptes ou des émerveillements, des parfums, des musiques, des visages, des paysages. Et des histoires.
L’œil, jusqu’à l’horizon, ne voit que du blanc. C’est le premier jour de la récolte (lundi 16 mai). Sans doute le premier jour de la récolte dans le Mato Grosso. Quelques taches vertes, au loin s’agitent. Encore plus loin, la forêt fait barrière au blanc. Combien de temps résistera-t-elle ? Une mer blanche a pris possession du cœur du Brésil. La blancheur, pour nous, c’est la neige ou la glace. Le blanc c’est le pur, et le pur c’est le froid. Quel est donc ce grand blanc tropical ? Quels pièges cache-t-il ?
De plus près, les taches vertes se révèlent : des bêtes assez sauvages, des insectes, pour être plus précis, des prédateurs, même, énormes par la taille (trois mètres de haut) et terrifiants par leur voracité : six ogres verts dont les doigts noirs et crochus se saisissent des malheureux cotonniers et les plongent dans un gouffre qui doit être leur bouche. Si l’on peut appeler bouche une cavité où, en lieu et place des dents, tournent sans fin des disques d’acier. Bref, six machines John Deere en ligne. D’autres insectes mécaniques les accompagnent : des fourmis jaunes, elles aussi géantes, qui se chargent de transporter le coton. Et des sortes de libellules grises et rouges : leurs pattes, normalement repliées, soudain se déploient, interminables. Quelle est cette brume dont elles arrosent les champs à peine récoltés ? Des pattes poreuses et même pisseuses… La physiologie de ses drôles de libellules brésiliennes a de quoi surprendre.
Pendant ce temps là, le coton a été versé dans des bennes où une presse, longuement l’écrase. Des camions attendent: ils sont venus chercher ces gros lingots gris. Nouveau vertige après celui de la couleur blanche. Ces gros insectes mécaniques ont des conducteurs, bien sûr. Mais ils ne mettent jamais pied à terre. Les champs sont vides de présence humaine. Je revois l’Afrique. J’imagine la récolte aux anciens temps des plantations. Combien aurais-je vu d’esclaves, il y a deux siècles, peinant sur ces dix mille hectares ?
Un autre monde commence au bout de l'allée d'eucalyptus.
Là reposant sur des tables de pierre, plusieurs centaines d'arbres à qui l'on interdit de grandir prennent le temps (au sens où l'on dit "prendre le soleil") Drôle de nursery où l'on empêcherait les bébés de pousser, émerveillant de leurs rides plutôt que du poids qu'ils ont pris !
Les Dogons d'aujourd'hui n'ont pas oublié l'un des secrets majeurs: parler et tisser sont une même activité et se désignent par le même mot. -Soy- (p.24)
"Depuis longtemps j'ai réfléchi à cette question. Je vous livre ma réponse : les Chinois ont inventé l'ouvrier idéal. C'est-à-dire l'ouvrier qui coûte encore moins cher que l'absence d'ouvrier." (pge 140 Ed LdP)
Le coton est le porc de la botanique : chez lui tout est bon à prendre. Donc tout est pris.
Les marques, qui résument notre époque, sont jalouses des légendes. Avec quelque raison. Celles-ci distinguent quand celles-là banalisent. Qui rêvera jamais devant une enseigne Sofitel ? Plus grave, on devient chez ces marques la haine du divers. Elles tentent de raboter le voyage. Comme si le pareil au même était le comble de la douceur, alors qu'il n'est qu'un avant-goût du trépas. Trépas, très pas : beaucoup de rien. Vous avez traversé la moitié de la planète ? Illusion, puisque ce soir vous dormirez dans une chambre en tout point semblable à la précédente. On a beau faire, hisser la voile, sauter d'un avion à un train, on ne quitte jamais ces nouveaux mornes pays qui ont précompté nos nuits et s'appellent Hilton, Hyatt, Sheraton ou Sofitel.