Postulant lecteur, toi qui espères
- un livre qui commence par un début et se termine par une fin, cherches-en un autre car ici c'est le bazar,
- une oeuvre de philosophie qui ne soit pas en même temps et à la fois un cours de catéchisme et une litanie de références bibliques, passe ton chemin, ça va t'énerver
- une motivation à te convertir au christianisme, tu prends le risque de devoir te replonger dans ton cours de probabilité de 2ème, ce qui te semblerait une double peine
- une initiation à la mathématique, à la physique, à l'astronomie, aux sciences naturelles et aux transports publics, tu seras déçu et devras te farcir les
Oeuvres complètes, double peine à nouveau
- une formation expresse aux professions de missionnaire, d'avocat et de procureur, les plaidoiries vont t'apparaître quelque peu mitées et désuettes, et tes futurs diplômes très compromis,
- un viatique de célèbres formules pour faire le malin dans les salons, laisse tomber car elles sont noyées dans le tout qu'il faut lire intégralement pour les y débusquer; tu auras meilleur compte à dénicher une anthologie qui aura fait le travail à ta place
- combler, pour la seule raison esthétique, le vide existant dans ta culture littéraire entre
Montaigne et
Descartes, épargne ton temps; non seulement évite
Pascal mais aussi, l'entendant, oublie
Montaigne et oublie surtout
Descartes,
Pascal démontrant en deux coups de ciseaux l'affirmation de Hobbes: "Homo homini lupus est"
Nonobstant, les siècles et les plus grands ont consacré la valeur, l' intérêt et la beauté de cette oeuvre.
Ainsi donc, Postulant lecteur, si comme c'est probable, je ne t'ai pas convaincu, considère ce qui suit, qui vise à étayer mes prolégomènes mais n'est que mon humble avis sur le chef d'oeuvre ...
Les
Pensées sont un ensemble de "fragments" dont la mise en ordre a occupé beaucoup d'éditeurs après qu'ils ont été rédigés et en partie assemblés en liasses par
Pascal (puis perdus) mais, par bonheur, après avoir fait l'objet de 2 copies, très peu de temps après sa mort, par sa belle-famille Périer.
Le Livre de Poche propose l'édition Sellier, établie en 1976, la première qui, sur la base du texte de la 2ème copie, respecte l'ordre fixé par
Pascal (jusqu'au milieu du XXème siècle, les éditeurs se sont autorisés à inventer et imposer un ordre différent de celui voulu par l'auteur, qui leur semblait meilleur, on croit rêver!)
Il reste au lecteur à interpoler et reconstruire la logique entre les fragments et aussi à l'intérieur de certains d'entre eux. Ce n'est pas toujours une mince affaire et il faut saluer l'excellente contribution en notes de
Gérard Ferreyrolles, qui traduit toutes les citations latines, reproduit les sources littéraires discutées par
Pascal et clarifie à l'occasion un propos elliptique ou une forme surannée de l'auteur.
S'y ajoute un autre obstacle à une compréhension immédiate, qui provient sans doute du caractère "inachevé" de nombreux fragments (i.e. non définitivement mis en forme pour être lus par d'autres, conséquence de la mort prématurée de
Pascal) mais peut-être aussi de la fulgurance de son esprit et de sa manière particulière (et souvent déroutante pour nous, quidam) de raisonner et formuler le résultat de son raisonnement.
Pascal est animé d'une volonté, qu'on pourrait par endroit qualifier de féroce , de convaincre afin de convertir (libertins, mais au-delà agnostiques et athées en général), de défendre et justifier (Port-Royal et suspects de jansénisme) et de déconsidérer et ruiner (casuistes jésuites).
Sur le terrain de la conversion, le plus sujet à débat, sa rhétorique se fonde principalement sur la Bible pour ce qui est de la "promesse divine" et sur sa théorie des partis.
Il considère la Bible comme un document irréfutable, Ancien et Nouveau Testament s'accréditant et se justifiant l'un l'autre: dans l'Ancien Testament, les prophètes ont annoncé la venue du Messie; le Nouveau Testament rapporte effectivement cette venue et selon le mode exact qui avait été prédit; tout est donc vrai, bien qu'en partie caché, masqué, "figuré", cela même renforçant la preuve. Dans le même temps, il accepte dans leur sens le plus littéral une partie de ces sources, notamment la création, les âges et généalogies. L'exégèse historico-critique de la Bible qui commence à se développer à cette époque (cf Hobbes "Léviathan" 1651 et
Spinoza "
Traité théologico-politique" 1667 qu'étrangement
Pascal semble méconnaître absolument) ébranlera considérablement ces fondations-là. le scientifique s'est effacé devant le croyant inspiré, certains diront aveuglé, par la luminance de sa conversion.
Comme l'a proclamé plaisamment naguère une entreprise de jeux d'agent -je cite approximativement, "tous ceux qui ont gagné, ont joué"; de fait, combien ne tentent jamais leur chance malgré une espérance mathématique certes pas infinie (à la différence du pari
pascalien) mais pas tout à fait négligeable et surtout une mise de pas grand-chose! C'est que l'idée-même de pari est étrangère à leur psychologie. Comme
Pascal, négligeons cette masse.
Le pari
pascalien fait l'hypothèse soulignée qu'il est impératif de parier, ce qui ne va pas de soi: c'est donc bien aux joueurs, et à eux seuls, que
Pascal s'adresse. Que Dieu existe ou pas est affirmé équiprobable (1 chance sur 2, chaque). C'est une hypothèse honnête, incontestable de ce fait; mais faisant intervenir l'humain, elle ne peut être appliquée qu'à un joueur agnostique (mais, considérant la psychologie, un joueur peut-il être, en général, agnostique?).
En revanche s'agissant d'un athée, la probabilité que Dieu existe tend pour lui vers zéro; l'espérance mathématique liée au pari (probabilité x gain) tend vers 0 x ∞, qui est mathématiquement indéterminée…. pas hyper-motivant!
J'imagine en outre que même la quasi-certitude d'un gain, mais dont la jouissance serait différé au-delà de la mort, n'inviterait pas si impérieusement un joueur à parier. Quant à la satisfaction censée être obtenue immédiatement, i.e. dès cette vie, par le seul fait de miser (i.e chercher Dieu, source de bonheur en soi), elle est elle-même de fait objet d'un pari non dit, celui consistant à faire confiance a priori à la personne qui soumet le pari et promet, ce qui restreint inéluctablement et drastiquement le nombre des parieurs….. Reste une question à cent balles: combien y a-t-il eu de ces parieurs depuis 1670?
Tout au long des
Pensées,
Pascal entretient un dialogue presque ininterrompu, à un demi-siècle de distance, avec
Montaigne, dont le séparent la relative indifférence de celui-ci à l'au-delà, son scepticisme tempéré, et "le sot projet qu'il a de se peindre" dixit
Pascal, sympa.
Tout autre est son opposition à
Descartes qu'il expédie d'un assassin "inutile et incertain", formule que les siècles ont immortalisée, non sans quelque raison!
C'est qu'il ne devait pas faire bon à n'être point de ses amis.
Il n'empêche; certains fragments entièrement développés et rédigés, révélés aux classes successives de lycéens notamment français, sont superbes sur un plan littéraire, précis sans sécheresse, amplement déployés, quelquefois redondants sans lasser, pénétrants et subtils, fins et géométriques, et toujours propices à la prise de recul et à la réflexion, détachées de tout conditionnement historique ou religieux. Parmi eux, de nombreuses perles qu'on a plaisir à redécouvrir, noyées dans l'ensemble fragmenté mais à la place que
Pascal leur a assignée.
Ma préférée est celle qui parle du nez de Cléopâtre, parce qu'elle me fait penser à Panoramix et au gâteau de César ...
Postulant lecteur, toi qui envisages sérieusement à présent de te lancer plutôt dans l'intégrale des oeuvres de Goscinny et
Uderzo, sache que...