Madame (aménagements intérieurs)
C’est un été où Madame Tamaș, la couturière
du quartier, a encore fière allure
Un regard hautain
comme dans les reportages filmés à l’usine de confection
de l’autre côté de la rue
Mais elle est froide, guère animée par l’enthousiasme idéologique
Le dos bien droit, l’air hypercorrect, la classe de la voix de fumeur
tout cela l'inclut dans la caste des divas des almanachs
de femmes au foyer lisant des brochures sur les bonnes manières
jusqu’à ce que l’ennui devienne mystère, ornement tout juste bon
pour le sexe hors mariage. On ferme rapidement ce chapitre,
nous ignorons le lien entre les mots Madame Tamaș,
adultère,
talons aiguilles, orgasmes multiples. Cadavres exquis.
Madame n’est pas une fashionista excentrique.
Elle est la respectabilité incarnée, so hoch.
Elle a une démarche chantante à la Katharine Hepburn
Elle taille toutes les semaines des vestes courtes avec des terminaisons en biais
pour les voisines plus futées, tandis que la médiocrité
ne l’importune pas, elle n’en a cure
Madame reste toujours au-dessus ou en dessous
de la classe prolétarienne
Ça devait être l’été 1978, une de ces vacances
infiniment déprimantes
quand les stocks de jours inutiles vous endormissent,
tout tant de boules de coton et de miettes de polystyrène
parmi lesquels le geste exaspéré n’est pas visible
quand on a envie de vomir de tant d’imprimés floraux
chutes de soie catalogues allemands Neckermann
raffinement morgue cheveux sur bigoudis
bas fins remaillés avec des train fins
pantalons évasés émancipation féministe second-wave
Quant à Madame Tamaș, elle n’est pas la protagoniste
même si j’ai commencé par elle.
Pas complice de la construction de la parabole.
Ne me hante pas, je l’invoque au hasard
sans pathos
Plus de pathos me provoque ma peluche
morte elle aussi en 1978 quand sa fourrure a explosé
au-dessus de la cuisinière,
après le bain que je lui avais donné un samedi soir
Madame Tamaș ne m’obsède pas,
si je l’ai nommée ici c’est parce qu’elle ne suscite chez moi aucun état d’âme
Autrement dit elle est sans raison, sans conséquences.
Aucun sujet dramatique à l’horizon.
Je vais juste dire qu’elle aussi a touché
ces marches en ciment
la rampe en plastique de l’ère de Ceaușescu, l’exaltation
d’après le Printemps de Prague.
Je ne suis pas émue, des images surgissent juste comme ça, parce que je le veux
Je fais des petits ajustements
d’intérieur.
(traduit du roumain par Gabrielle Danoux)