Andrea Genovese, in Belvedere 51, p 8
« Pour un type qui avait tout vendu pour passer le reste de sa vie dans les trains, Zoran n'avait pas beaucoup d'imagination. Il n'exploitait pas le monde, il n'exploitait pas plus les refus du monde. Il se complaisait, réellement, à voyager en train. Une entreprise qui aurait probablement été plus profitable s'il l'avait menée avec modération, car il ne s'agissait pas d'une expérimentation mais d'une manière de vivre. »
Les écrivains roumains de tout temps, on le sait, baignent dans un humour noir qui flirte avec le surréalisme et le théâtre de l'absurde – voire
Ionesco, leur plus célèbre auteur dramatique, aussi francisé soit-il. S'il n'est pas francisant, au moins de langue du fait qu'on doit à
Florica Courriol la traduction de son premier roman (
La septième partie du monde, éditions Non Lieu), Cătălin Pavel vit quand
même entre Bucarest et le reste du monde. La note biographique en quatrième de couverture ne nous dit
pas s'il utilise le train pour ses déplacements, mais on
peut aisément penser qu'il s'en sert, oui, de la même
façon que Zoran, ce curieux personnage qui traverse
au rythme des TGV et d'autres trains régionaux pratiquement toute l'Europe, se déplaçant d'un pays à
l'autre au milieu de compagnons de voyage occasionnels. le fait que
ses bizarreries déconcertent ces nombreux inconnus ne
le touche pas, les situations sont cocasses et terriblement incongrues, miroir au fond du non-sens
du monde, d'une banale picaresque et caldéronienne
vida es sueño. Un sueño qui est d'un profond tragique existentiel.
Le signal de la modernité et de l'aliénation vient de l'ordinateur, car entre un train et un autre Zoran échange des mails avec un jeune homme malien, Ahar, le fils peut-être qu'il a eu d'une mystérieuse femme berbère, disparue sans laisser de trace. Ahar aussi est en mouvement perpétuel quelque part dans le désert saharien, entre Touaregs et Berbères, à leur tour passablement aliénés par la modernité. Tout cela pourrait sembler abstrait mais, par la magie d'un style maitrisé, dans ces trains qui dévorent leur bagage d'humanité à peine esquissée, émerge et se dévoile peu à peu le vécu du protagoniste. Cătălin Pavel est archéologue, spécialiste des antiquités grecques et latines. On n'est pas loin du roman alexandrin, l'écrivain semble se plaire à mettre ensemble des tesselles d'une mosaïque qui nous donne à la fin un nouveau Satiricon, amer et désespéré, de la condition humaine.