En fait c'est l'histoire de deux disparitions que nous raconte «
L'eau rouge », celle de la jeune Silva qui est le coeur du roman mais aussi celle de la Yougoslavie qui n'est pas moins importante dans le destin des personnages. L'équilibre cosmique est rompu dans le petit port de Misto, qu'une enfant du pays disparaisse ou soit même assassinée n'est pas concevable, que le pays construit par Tito dans la lutte contre les nazis s'effondre en quelques mois et qu'il faille à nouveau se battre ne l'est pas plus.
Jurica Pavicic prend son temps pour explorer toutes les fissures causées par l'absence inexplicable de Silva, pour montrer comment des vies sont consumées par la crainte, l'angoisse, le remords et l'incompréhension.
La famille qui éclate au fil du temps entre renoncement, rancune ou recherche obsessionnelle, le policier hanté par cette enquête inaboutie, l'ancien fiancé qui se détruit, un présumé coupable qui espère se racheter dans la guerre, tous sont rongés et passent à côté de leur vie.
Si les personnages sont noyés dans leur peine, ils subissent les changements politiques et économiques. le régime communiste offrait à tous une molle pauvreté, un futur morose mais sans danger et c'est cet avenir que Silva voulait s'épargner par tous les moyens, quitte à transgresser les règles. Dans les années suivantes arrive un rattrapage capitaliste qui laisse usines et ouvriers sur le carreau, pour les habitants de Misto il ne reste qu'à vendre les terres pour que des villages de vacances fassent rêver les riches européens de la côte dalmate.
Mais au milieu de ce monde en transformation le policier devenu un vieil agent immobilier saura aller opiniâtrement au bout de l'enquête et découvrir la tragédie quasi antique qui se cache au bord de
l'eau rouge
Il n'y a rien d'haletant dans «
L'eau rouge », le lecteur sent le temps qui passe et les failles qui s'élargissent dans les coeurs. L'atmosphère devient de plus en plus crépusculaire en passant du petit village méditerranéen sous le soleil d'été aux zones industrielles couvertes d'entrepôts, des vieilles maisons de famille aux barres d'immeubles et à la fin ne restent que des vaincus mais qui auront tous lutté à leur manière.
Grand roman d'atmosphère dont l'issue ne libère pas le lecteur qui continue à espérer pour Silva.