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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
« Je ne souhaiterais cela à personne, pense Gorki »


En cet instant de septembre 1989, à Misto, près de Split, Vesna et Jakov sont encore heureux. Jakov est assis à table, plongé dans ses mots fléchès. Vesna s'emploie à essuyer les assiettes.

Et voilà l'instant où Silva, 17 ans, est près de la porte, dans sa robe à fleurs, ses baskets aux pieds. Elle se tient debout, comme si elle attendait qu'on l'applaudisse et prononce trois mots brefs. Elle dit « j'y vais ».

Personne ne lève la tête, personne ne répond au salut de Silva qui d'une voix joyeuse, leur signifie partir à la fête. Parce que, alors, personne ne pouvait savoir, personne ne pouvait imaginer.

Au petit matin, Silva n'est pas rentrée. Mate, son frère jumeau, se réveille avec la gueule de bois. Il est allé lui aussi à la fête des pêcheurs tout comme elle. Rien de mal n'a pu arriver. Personne n'est réellement inquiet.

Le tragique de l'attente démarre et notre imaginaire fait le reste. le film défile devant nous. Chaque seconde, chaque minute, les faits et gestes des parents sont décomposés devant nos yeux, l'expectative se fait de plus en plus poignante et l'angoisse monte !

On assiste à la déflagration qui va dynamiter jour après jour une famille concomitamment avec la Yougoslavie. C'est terrible, comment poursuivre des recherches quand tout s'écroule autour de vous et pourtant, Mate, va tenter de mener sa propre enquête malgré l'effondrement des structures autour de lui.

Roman policier très bien construit qui parfois se met en retrait au profit de l'histoire de ces trente dernières années, de 1989 à 2017, en ex Yougoslavie. C'est un polar à plusieurs niveaux de lecture qui sonde à la fois, la détresse des parents, leur réaction face à leur malheur, leur sentiment de culpabilité, les prises de conscience. Chacun dans ce village doit faire face à ce drame comme il doit faire face au drame qui se joue entre les peuples de l'ex Yougoslavie.

L'auteur nous donne à assister au désastre et à la reconstruction de la Croatie tout en consacrant un chapitre à chacun des intervenants qui ne peut sortir indemne d'une telle épreuve : la disparition d'un enfant. Mais Jakov et Vesna, tout comme Mate, connaissaient-ils réellement Silva ?

Le récit est doté d'une construction intelligente. Chaque chapitre est consacré à un acteur du drame. Chacun de ces passages analyse l'impact psychologique qu'occasionne la disparition de Silva sur chaque membre de la famille, des amis, des connaissances, sans oublier la police. L'auteur par le truchement de la destinée des uns et des autres, nous dresse un diagnostic de trente années qui ont vu la fin du règne de Tito, la guerre des Balkans, la crise économique, le libéralisme économique qui n'échappe pas à la corruption ni à l'urbanisation effrénée propice aux malversations, sans oublier ceux qui se sont achetés une virginité grâce à la guerre. Il y a un avant et un après même lorsque l'on est descendant des partisans de la première heure, l'élite rouge, au prénom évocateur comme Gorki.

Ce roman intimiste décortique minutieusement, avec lenteur, les états d'âme de toute la famille mais aussi de tous les intervenants. Un tel drame engendre, de manière sournoise, des incidences sur les comportements d'autant qu'il ne faut pas sous estimer les êtres humains. le roman évolue dans une ambiance nimbée de rancoeur, de jalousie, de frustration, de regret, de souffrance mais aussi d'amour et d'espoir.

C'est le deuxième roman policier que je lis et qui sort de l'ordinaire. Terra Alta de Javier Cercas comme celui-ci de Jurica Pavicic. A mes yeux, celui-ci souffre de quelques passages un peu longs, dus à la lenteur de la narration et à la minutie avec laquelle l'auteur analyse la psychologie et la destinée de chacun mais il est à découvrir sans hésitation, c'est un excellent roman.
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Misto, petite ville sur la côte dalmate. Ce soir-là de septembre, toute la famille Vela dîne ensemble, la télé allumée dans un coin de la cuisine. Après le repas, Vesna s'attelle à la vaisselle, son fils, Mate, balaie les miettes tandis que son mari, Jakov, est absorbé dans ses mots fléchés. Quant à sa fille, Silva, jumelle de Mate, elle s'en va dans sa chambre. Et c'est tout apprêtée qu'elle en sort, prévient ses parents qu'elle file à la fête des pêcheurs qui se tient dans la baie. C'est la dernière fois que ses parents et son frère la verront... le lendemain, ce n'est qu'en début d'après-midi qu'ils commencent à s'inquiéter. Mate parcourt alors les rues de Misto, s'en va quérir des informations auprès de Brane Rokov, le petit ami de Silva. Mais celui-ci ne peut, malheureusement, pas l'aider puisqu'il est rentré au petit matin de Rijeka. La police prévenue, ce sont trois hommes qui se présentent au domicile des Vela, à sa tête, Gorki Šain. S'ils questionnent les habitants, découvrent, à la grande surprise de Vesna et Jokov, de la drogue cachée dans une conduite d'eau au fond du jardin, puis se rendent à Split, où étudie la jeune fille, l'enquête n'avance malheureusement pas. Les jours passent, Silva reste introuvable, pour autant, Jakov et Mate ne désespèrent pas et vont tout tenter pour la retrouver...

Le 23 septembre 1989, Silva Vela disparaît mystérieusement. Après une soirée passée à la fête des pêcheurs, au cours de laquelle elle a bu, dansé et flirté avec Adrijan, elle ne donnera plus aucun signe de vie. A-t-elle eu un accident ? A-t-elle été tuée ? A-t-elle fui la petite ville de Misto, puisqu'un témoin l'a vu acheter un billet à la gare ? Est-elle retenue prisonnière, elle qui semble trafiquer un peu de drogue ? L'enquête, menée par Gorki Šain, petit-fils d'un héros national de la Yougoslavie, ne connaît guère d'avancées probantes, même si celui-ci découvre que la jeune fille ne menait pas une vie aussi bien rangée qu'elle le laissait croire. Dans ce pays en pleine mutation, qui sera marqué par la fin d'un régime, une guerre civile, l'intégration à l'Europe, le développement et l'ouverture au tourisme, les parents et le frère de Silva, qui parcourra de nombreux pays, vont mener leurs propre enquête. Une enquête longue, désespérante qui durera trente ans. Alliant habilement histoire, enquête policière et drame social, Jurica Pavičić nous plonge, avec intelligence et force, dans cette quête qui semble vaine. Si le pays, lui, connaît de grands changements, Misto, elle, semble figée dans le temps et dans l'attente d'un retour inespéré. Un roman singulier et entêtant, de par l'omniprésence de Silva malgré son absence, de par cette ambiance mélancolique et suspendue et de par ces silences assourdissants...
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J'aime bien lire un bon polar de temps en temps et l'eau rouge est une très bonne pioche.
Très sensible également à la toile de fond de ce roman . l'histoire se passe dans la Yougoslavie de la fin déjà consommée du règne de Tito, elle va couvrir la période de la guerre qui éclatera ce pays en sept états.
L'intrigue du roman apparaît toute simple et banale: une jeune fille disparaît au cours d'une soirée, mais ce "fait divers" pour quiconque devient le drame pour une famille simple, unie, heureuse.
Silva laisse son frère jumeau : Mate et ses parents dans une détresse profonde.
Le roman est très bien ficelé, il va laisser parler plusieurs voix à tour de rôle sur les 27 ans que dure la recherche de cette jeune fille.
Le destin des uns s'entremêle imbriquant le sort des uns et des autres d'une façon inédite et originale.
L'écriture est fluide, empreinte d'une certaine nostalgie d'un pays perdu, d'un exil contraint pour certains, une belle évocation de la Croatie d'hier .

J'ai beaucoup aimé ce roman tout en douceur, comme l'eau rouge qui clapote au fond d'un tunnel en laissant la part secrète des individus en suspens comme le temps qui s'écoule.
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Une jeune fille a été vue qui prenait un billet pour une destination inconnue. Mais nous sommes en septembre 1989, en Yougoslavie: autant dire que ce n'est pas seulement Silva qui disparaît, mais tout un pays, voire une idéologie longtemps puissante qui manque à l'appel. D'ailleurs, c'est en quittant son village de pêcheurs pour la ville de Split que Silva commence à changer : Split qui, en anglais, signifie scinder, partager, comme va l'être la Yougoslavie et aussi mettre les bouts - ce que veut faire Silva.
Pavicic file la métaphore. Tandis que la Yougoslavie éclate, comme si seul Tito avait eu le pouvoir de la fédérer , la famille de Silva fait de même: son père, sa mère et son frère se regardent désormais comme des étrangers. le dealer d'autrefois est devenu un homme politique respecté. le policier, fils d'un héros communiste, le bien nommé Gorki, a été remercié (notamment pour avoir échoué à retrouver Silva) et vend désormais la côte dalmate à de riches étrangers. La guerre de Croatie avait déjà symboliquement commencé dans le village quand l'assassin présumé avait été roué de coups et qu'une lettre anonyme avait dressé des familles les unes contre les autres.
Le roman se termine quand l'amertume commence à se dissiper, que l'horreur de la disparition n'empêche pas un nouvel amour, et que la séparation admet les retrouvailles. Serbes et Croates se sont partiellement réconciliés, les investisseurs étrangers ont accouru et le tourisme engendre 17% du PIB.
Mais si Pavicic file la métaphore, il est moins bourrin que moi: nul besoin de connaître l'histoire de la Yougoslavie pour apprécier cette histoire où l'enquête importe moins que le récit des souffrances engendrées par la disparition d'une adolescente rebelle, avide d'un monde nouveau qui n'aura pas le temps de la décevoir.
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23 septembre 1989, dans ce qui n'était pas encore la Croatie indépendante. A Misto, village côtier à quelques encablures de Split, c'est le jour de la fête des pêcheurs. Silva et son frère jumeau Mate, 17 ans, s'y rendent séparément. Si le lendemain matin, Mate se réveille dans son lit avec une solide gueule de bois, ce n'est pas le cas de Silva, qui s'est volatilisée.

La police lance les recherches, interroge et fouille tout le village, Mate et son père collent des affichettes partout. Au fil de l'enquête, il apparaît que Silva, dont tout le monde pensait qu'elle était une fille exubérante au caractère bien trempé mais sans plus, menait en réalité une vie secrète bien plus scabreuse...

Enlèvement, meurtre, accident, fugue, l'enquête aurait pu aboutir.
Si le Mur de Berlin n'était pas tombé, si le communisme ne s'était pas effondré, si la Croatie n'avait pas déclaré son indépendance, si la guerre n'avait pas éclaté en ex-Yougoslavie, si les autorités s'étaient, malgré les circonstances, préoccupées du sort d'une personne (désormais majeure) disparue.

Mais il faudra attendre 27 ans pour que le mystère de la disparition de Silva soit élucidé. 27 ans pendant lesquels Mate a continué à chercher sa soeur, en dépit de tout, alors que sa famille et son pays se disloquaient sans espoir de retour.

Roman choral, « L'eau rouge » est bien plus qu'un roman policier. En plus de l'enquête sur la disparition de Silva, il aborde les questionnements de ses proches, qui croyaient si bien connaître la jeune femme. Il balaie également 30 ans de l'histoire croate, de la chute du régime instauré par Tito au libéralisme effréné en passant par la guerre des années 90, la crise financière de 2008 et le développement du tourisme de masse, avec ce que tout cela a généré de corruption, de reconversions professionnelles douteuses et d'urbanisation galopante.

Le rythme est lent, les descriptions parfois trop minutieuses, mais la construction de ce roman est remarquable, et son écriture sobre et efficace. Un roman très intéressant et captivant où se mêlent la petite et la grande histoires, au milieu des rancoeurs et des jalousies intimes, des souvenirs et des regrets, de la douleur et de l'espoir.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Yougoslavie quand tu nous tiens...

Après Demain la brume de Timothée Demeillers voici L'eau rouge de Jurica Pavicic.

A priori chaque écrivain à sa façon raconte l' effondrement de ce pays. .

le premier, français, sous la forme d'un roman choral, de la mort de Tito au martyre de Vukovar, raconte les premières fêlures puis l'embrasement de la guerre civile.

Le second, qui vit à Split en Croatie, a choisi la forme d'un roman policier. Mais celui ci commence-est-ce bien un hasard ?-fin septembre 1989, au moment de l'effondrement du communisme en Yougoslavie.

Un soir, Silva, sanglée dans un imper rouge, salue son père, sa mère et son frère jumeau. Elle va boire et danser à la fête du village. C'est la dernière fois qu'ils la voient.

L'eau rouge, c'est l'histoire d'une disparition, d'une enquête qui s'enlise et piétine, d'une quête qui lamine un à un les membres de cette petite famille jusqu'à les séparer tout à fait, et d'une interrogation portée par la fidélité d'un frère et l'obstination d'un inspecteur atypique recyclé dans l'immobilier, quand longtemps après la guerre la côte dalmate, est devenue un haut lieu du tourisme de masse.

Un polar qui s' étiré de 1989 à 2017...on peut faire plus concentré comme intrigue. C'est dire si le suspense n'est pas son ressort premier...

Est ce bien un polar ? L'eau rouge c'est plutôt une enquête sur le phénomène de la disparition..

En toile de fond, discrètement, se déchire et se défait la Yougoslavie. Comme Silva, elle disparaît.

Quand on la revoit c'est une illusion qui se dissipe cruellement. Les protagonistes changent, s'abîment, se distinguent ou s'effacent, leurs étoiles brillent, s'éteignent. Les dealers et les crapules prennent du galon, les profs n'aiment plus leurs élèves, les inspecteurs sont devenus des promoteurs...

Le temps passe, lente machine à meuler les espoirs, à rogner les rêves, à lisser les ombres..

le temps passe et pourtant il reste quelque chose de la silhouette sanglée dans son imper rouge. Comme une tache de sang. Indélébile.

Un beau récit auquel on se fait prendre même si très vite on en comprend la volonté de distanciation, le parti pris de recul, de lenteur.

Très original et déconcertant. Écrit avec une nonchalance objective qui masque pudiquement une profonde nostalgie.
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Pour Vesna la mère, Jakov le père et Mate le frère jumeau, la vie s'est arrêtée le 23 septembre 1989, le jour où Silva a disparu. Elle avait 17 ans. « Elle était de ces gens qui savent se nicher dans le coeur des autres, et qui s'y nichent. »
Pas pu dans le mien, dès la troisième page elle s'était évaporée.
Vesna, elle, sait que ça a été le dernier jour de sa vie normale dans ce village de Misto, non loin de Split sur la côte Dalmate. Ex-Yougoslavie qui ne le sait pas encore.

L'enquête menée par Gorki, le policier de l'ancien régime est captivante et le contexte ne l'est pas moins : La naissance de la Croatie engendrée par la fracture de l'axe communiste avec la guerre dont je me souviens l'atrocité qui n'est pas exposée explicitement dans ce roman mais par laquelle j'ai ressenti les modifications profondes sur la destinée des hommes par la notoriété et la gloire qu'elle génère pour les arrivistes et les initiés et par la déchéance et la ruine qu'elle provoque inévitablement pour la plupart des citoyens de base.

Toute la finesse de l'auteur est traduite par les caractères très fouillés des protagonistes sertie par une foule de petites phrases anodines, émanant d'une habitude récurrente ou d'un parcours familier reprises sans cesse comme une litanie qui s'incruste et finalement t'enlises sans ton consentement mais avec attrait dans le malaise de cette famille dévastée de chagrin.

Cette histoire est également un voyage dans l'espace et dans le temps. Un voyage en étoile, au départ d'un même point : Misto.
Mate ira chercher sa jumelle aux quatre coins du monde mais où que l'on aille, on revient !
Finalement, sur trente ans d'investigations, j'ai visité autant de lieux que de vies : celles des proches, des amis, des voisins, avec cette fois un point de départ humain : Silva.
Que l'on cherche, que l'on imagine retrouver, que l'on cherche encore, que l'on croit débusquer, que l'on retrouvera, ou pas.

Si vous souhaitez passer un bon moment de lecture à errer dans la sphère exotique des Balkans post-communiste vous serez pleinement comblé mais si vous voulez connaitre le dénouement et ce qu'il advient de Silva, alors, dévorez-le.

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En ce 23 septembre 1989, Silva, 17 ans, adresse un dernier au revoir à sa famille avant de rejoindre la fête du village. Elle ne repassera plus jamais le seuil de sa maison. Disparue. Évaporée. Malgré l'enquête de la police et les témoignages de ceux qui l'ont vue en dernier. Et les longues recherches de son père et de son jumeau Mate. Que s'est-il donc passé à cette fête des pêcheurs ?
A travers le récit des différents protagonistes, l'auteur narre, sur près de 26 ans, le portrait d'une jeune femme et d'un pays, l'ex-Yougoslavie , affaibli par la guerre et la corruption. C'est très prenant (une fois commencé, je n'ai pas pu poser le livre), raconté d'une plume fluide et terriblement efficace. Il s'agit bien sûr d'un roman policier mais pas que : c'est aussi un roman sur l'absence. Celle dont on ne sait rien. Et ses conséquences.
Et c'est absolument passionnant. Une très chouette découverte !
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Journaliste, écrivain et scénariste, Jurica Pavicic est né et vit à Split, en Croatie, où il collectionne les récompenses littéraires depuis des années. L'Eau rouge, son premier roman traduit en français, a été plébiscité début juillet lors de l'édition de Quais du Polar, à Lyon.

En première approche, le synopsis de L'Eau rouge ressemble aux scénarios de nombreux téléfilms policiers proposés sur nos chaînes TV traditionnelles. Un crime ou une disparition mystérieuse survient dans une petite bourgade du territoire. La police judiciaire débarque, lance l'enquête, entend les proches et les témoins. Les villageois semblent abasourdis, mais ils taisent leurs secrets, leurs inimitiés, leurs rancoeurs. Difficile de démêler le faux du vrai et de briser la loi du silence…

L'auteur nous embarque à Misto, un petit village tranquille de la côte dalmate, sur la mer Adriatique, à une demi-heure de voiture de Split, grand port industriel et touristique, véritable capitale régionale. Les familles de Misto ont vécu dans la sérénité jusqu'à la disparition de Silva, une très jolie jeune fille de dix-sept ans, au lendemain d'une soirée festive, en 1989. Les heures, les jours ont passé, puis les mois, les années ; Silva n'a pas réapparu ; on n'a pas retrouvé son corps. Les conjectures vont bon train ; a-t-elle été accidentée, assassinée, enlevée ? A-t-elle quitté Misto de son plein gré pour voyager, pour aller vivre dans une grande ville ? Des ragots, des rumeurs ont circulé. A Split, où elle poursuivait ses études, Silva aurait fréquenté des personnes peu recommandables. Vrai ou faux ?

Comme on l'imagine, l'absence pèse terriblement sur la famille, qui reste persuadée que Silva est vivante, d'autant qu'un témoin affirme l'avoir vue prendre des billets d'autocar le jour de sa disparition. A l'affut de la moindre piste, Mate, frère jumeau de la jeune femme, sillonnera l'Europe pendant vingt-six ans dans l'espoir de la retrouver… Puis, un jour de 2015, un jour comme les autres…

Jusqu'à ce jour-là, le roman était suspendu à une incertitude presque insoutenable. Désormais, les questions qui se posent ne sont plus les mêmes. C'est quasiment un second roman qui commence, aux pages aussi captivantes que les précédentes. Les personnages restent les mêmes. Depuis le début du livre, chapitre après chapitre, l'auteur rapporte leurs témoignages. La narration est écrite au présent. Sa tonalité, grave, sobre, presque solennelle, évoque un enseignant explicitant un événement historique ou un chroniqueur télé présentant une émission criminelle.

L'auteur insère d'ailleurs son thriller dans un contexte d'actualités historiques. En 1989, lorsque Silva disparaît, Misto est un vieux bourg dalmate un peu endormi. Les institutions sont celles de la République Fédérative Socialiste de Yougoslavie, fondée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Après la chute du Mur de Berlin, qui précipite l'effondrement des régimes communistes, la Croatie revendique son indépendance, en dépit de l'hostilité de l'Armée populaire yougoslave. S'en suivent plusieurs années de conflit armé, alternant cessez-le-feu et offensives militaires ponctuées de crimes de guerre dans chaque camp.

En 2015, La République de Croatie a depuis longtemps imposé sa constitution démocratique et son économie libérale. Les grands paradigmes nationaux ont basculé. Discrédités pour leur passé marxiste, les héros de la Résistance au nazisme, qui avaient marqué leur emprise sur les institutions yougoslaves, ont été déboulonnés au profit des vainqueurs de la guerre d'indépendance. Parmi eux, hélas, des délinquants ont su profiter des événements pour se blanchir et acquérir des galons dans la nouvelle élite croate. La corruption prolifère, encouragée par des investisseurs étrangers prêts à tout pour mettre en valeur le potentiel touristique du littoral.

L'auteur s'étend avec une lucidité amère sur les transformations subies par Misto, où les résidences secondaires se multiplient et où l'inauguration d'un vaste complexe hôtelier de grand luxe finit d'enfouir dans l'ombre l'aspect traditionnel du vieux bourg.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Dans ce qui est aujourd'hui la Croatie, une fille de 17 ans a disparu un soir de fête.

Une enquête policière, plusieurs suspects sont interrogés. On apprendra peu à peu que la jeune Sylva n'était pas tout à fait l'étudiante sérieuse que l'on croyait. Mais pourquoi l'aurait-on tuée? À moins qu'elle ne se soit enfuie?…

Une disparue, c'est une famille dans l'attente. Son jumeau la cherche encore 5 ans, 10 ans plus tard. Avec une absente, difficile de faire le deuil, on ne peut pas fleurir sa tombe. Et si elle avait fugué? Si elle était partie de son plein gré, sans nous donner de nouvelles, pourrait-on lui en vouloir, la haïr de nous faire subir cela? Et tous ces gens dans le village qui imaginent un suspect en regardant leur voisin…

En toile de fond, le pays qui subit le démantèlement de la Yougoslavie. Un homme dont le grand-père était un héros communiste devient ainsi un paria, mais c'est aussi la guerre, avec des villages incendiés, des mines antipersonnelles cachées dans les sentiers. (J'aurais aimé un peu plus de détails sur cette guerre, mais j'imagine que l'auteur, qui a écrit son polar en croate, s'adressait d'abord à des gens déjà au courant.)

Un polar qui illustre davantage les difficultés des proches de disparus que la seule enquête policière. et la vie dans un petit village
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