AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Marie-Hélène Prouteau (Préfacier, etc.)
EAN : 9782919376650
47 pages
Alidades, 2019 (01/01/2019)
5/5   2 notes
Résumé :
Un récit fortement autobiographique, où deux amis, réduits pour vivre au pompage de l'eau des marais de Bohème, s'attachent à un chien errant.
Dans un décor de misère et d'hiver glacial, le chien Sacha, corniaud famélique, est comme l'expression de la douleur et de l'absurdité des destins humains.
Né en 1928, Karel Pecka, est arrêté en 1949 pour dissidence politique. Auteur de nombreux livres – romans, poésie, nouvelles, théâtre – mais aussi metteur en... >Voir plus
Que lire après Les yeux de SachaVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Il fut un temps de désolation en Tchécoslovaquie, où il était interdit de penser et d'écrire librement.

Ce récit de Karel Pecka, « Les yeux de Sacha », a eu d'abord la forme fragile et éphémère d'un samizdat, un de ces écrits clandestins, qui étaient produits en quelques exemplaires sur papier carbone, échangés sous le manteau et qui devaient passer, cachés, à l'étranger.
Bien sûr, ceux qui se livraient à cette diffusion clandestine, prenaient le risque d'être arrêté ou exilé.

Karel Pecka (1928-1997) avait, après le « Coup de Prague » de 1948, distribué un magazine qualifié d'illégal par le régime communiste, qui avait alors pris le pouvoir en Tchécoslovaquie.
Ce magazine mettait en doute les qualités artistiques du réalisme socialiste, et critiquait l'art officiel soviétique et les films de propagande.
Pour avoir distribué ce magazine, il avait été condamné à 11 ans de camp de travail dans des mines d'uranium. Ce travail forcé, Karel Pecka va le sublimer en se mettant à écrire, alors qu'il est privé de presque tout ! Il sera l'auteur de plusieurs romans, nouvelles, poèmes et scénarios, interdits de publication, qui seront édités au Canada grâce à Josef Skvorecky qui s'était, lui, exilé et avait fondé à Toronto une maison d'édition, Eight-Seven Publishers.

Josef Skvorecky a dit que Karel Pecka était le « Soljenitsyne tchèque » (mais avec une vision du monde nettement plus moderne).
Karel Pecka, toujours rebelle, et déterminé à ce qu'on ne réprime pas la pensée, sera un des 1ers signataires de la Charte 77 avec les manifestants du « Printemps de Prague » de 1968.

« Les yeux de Sacha » est un récit singulier et prenant. Il a été publié en 1988, en ces temps de « normalisation », qui signifiait bâillonnement des esprits et purges, période sombre pendant laquelle intellectuels et artistes subissaient des interdits d'exercer leur profession et étaient contraints pour survivre, de faire plombier, jardinier, pompeur d'eau…

Cette relégation de pompeur d'eau fut celle de Karel Pecka et de Karel Bartosek, son ami.
C'est la toile de fond de ce récit.
Cela se déroule dans un village de Bohème, dans un paysage sombre et glacial ressemblant aux ambiances des films d'Andreï Tarkovsky. On est dans les années 70, Mila et Macek se voient réduits à pomper l'eau des marais, empoisonnés de déchets. Ils logent dans une roulotte qu'ils déplacent de village en village. Dans ce pays et dans ce système, tout est précaire et prêt à être balayé au premier coup de vent : « je voyais notre roulotte au loin à gauche, réduite par la distance à un wagonnet de train d'enfant. » Leur vie est austère et monotone jusqu'au jour où ils rencontrent un chien perdu : « C'était un jeune corniaud de berger allemand, si maigre que les poils se dressaient comme une brosse sur ses côtes. »

Ils donnent à ce chien le nom de Sacha, le diminutif d'Alexandre, parce qu'ils ont remarqué que ses yeux ressemblent à ceux d'Alexandre Dubcek, cet homme politique slovaque qui voulait instaurer un socialisme à visage humain en Tchécoslovaquie et qui fut le perdant du « Printemps de Prague » (destitué et relégué, lui aussi, pendant 20 ans, dans les couloirs sombres d'une fantomatique administration forestière de Slovaquie).
C'est le regard triste et malheureux de ce chien qui incite Mila et Macek à l'appeler Sacha. Ils s'attachent à Sacha, à cause de son regard défait, mais aussi parce que son existence de paria et de chien errant s'apparente étrangement à la destinée de Dubcek, en qui ils ont cru tous les deux.

« J'observai le chien un moment ; il le sentit et leva vers moi ses yeux, incertains et coupables, comme s'il avait fait quelque chose de mal, comme s'il s'excusait d'être au monde. »

Mila et Macek finissent par adopter cet animal qui a besoin de soins. Il dort dehors, à l'entrée de leur roulotte, et bientôt, il dormira dans une niche qu'ils vont lui fabriquer.

A cette époque et dans ces lieux, le bien-être et le répit ne peuvent être qu'éphémères. Les deux amis pompeurs d'eau le savent bien depuis longtemps et ils vont à nouveau en faire la douloureuse expérience. Il y a dans les environs, des êtres qui n'aiment pas les chiens. Et d'autres qui, affamés, sont amenés à les aimer autrement…

Avec cette touche d'ironie humanisante, le chien Sacha devient le pivot d'une fable en clair-obscur, où les deux « pompeurs » savent que l'important dans un système pareil à celui du « village Potemkine », c'est l'apparence des choses. (En français, l'expression « village Potemkine » désigne tout ce qui est fait dans le seul but de créer l'illusion, un trompe-l'oeil à des fins de propagande.
La légende raconte que lors du voyage de Catherine II en Crimée en 1787, Grigori Potemkine, aurait ordonné que de faux villages soient érigés à la hâte le long de l'itinéraire de l'impératrice.
De fastueux bâtiments en carton-pâte, peints, habités par des paysans heureux (amenés des villages de Russie centrale) auraient alors été destinés à dissimuler l'état réel de la situation, caractérisée par la pauvreté et la ruine.)

« …notre système ne travaille pas avec la réalité, mais avec la façon dont elle est représentée, avec son image. Et même si tout le monde sait ce qu'elle est vraiment, on agit selon cette image transformée. »

Ainsi, pour mieux tourner en bourrique cette réalité factice, l'un des deux pompeurs s'invente-t-il un patron imaginaire qu'il ne cesse de consulter, alors que dans les faits, les deux travailleurs sont laissés à l'abandon !

La rencontre de Mila et Macek avec ce chien perdu et famélique prend une valeur de parabole.
Elle résume la difficulté de rester humain dans ce monde de misère, de peur et d'imposture nihiliste.

Avec ce court récit autobiographique très dense, Karel Pecka, réussit à montrer l'univers dans lequel vivait la Tchécoslovaquie dans les années 70.

« passages » est un autre roman existentiel de Karel Pecka, traduit en français, aux Editions Cambourakis, paru en 2013.
Il est aussi l'auteur de « le carré d'honneur », traduit en français, paru aux Editions de l'Aube en 1991.
Commenter  J’apprécie          2510
Pierre Campion. Voici un récit court, une espèce de nouvelle — dans les deux sens du mot —, parvenue d'un autre monde. Il est dû au talent singulier de l'écrivain tchèque Karel Pecka (1928-1997). Il fut recueilli à Prague dans des circonstances que relate Marie-Hélène Prouteau dans sa préface à la présente édition et publié à Paris une première fois en 1988 comme un samizdat, dans la revue "La Nouvelle Alternative". Aujourd'hui, cette version légèrement modifiée est reprise aux éditions Alidades.
En moins de quarante pages d'une densité saisissante, l'auteur a fait tenir l'univers où vivait la Tchécoslovaquie dans les années 1970, monde de misère et d'imposture, de bureaucratie et de travail forcé, représenté à travers l'expérience de deux intellectuels employés aux tâches inutiles de pompeurs d'eau dans un marécage empoisonné de déchets.
L''idée de l'écrivain : la relation de deux personnages que réunissent, en plein hiver, cette condition et la sorte d'amitié bizarre et complexe qui les lie à travers la brève apparition, sur leur chantier et dans leur vie, d'un chien errant.
Baptisé Sacha, car l'un des deux prétend reconnaître dans les yeux de ce corniaud le regard d'Alexandre Dubček, le chien va semer entre les deux hommes la graine d'une zizanie et d'une complicité nouvelle.


Lien : http://pierre.campion2.free...
Commenter  J’apprécie          12

Citations et extraits (1) Ajouter une citation
-Patron, sois témoin de notre misère, se plaignait Macek, regarde à quel point nous sommes trempés, crottés, de pauvres malheureux exploités, misérables comme ce chien.
-Entendant qu'on parlait de lui, le chien accourut ventre à terre, s'assit sur le derrière, léchant la cendre de ses babines et inclina la tête d'un côté, puis de l'autre.
-Tiens, tiens, Mila, dit subitement Macek. Il a le regard d'Alexandre Dubcek.
Commenter  J’apprécie          110

autres livres classés : nouvellesVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus


Lecteurs (3) Voir plus



Quiz Voir plus

Livres et Films

Quel livre a inspiré le film "La piel que habito" de Pedro Almodovar ?

'Double peau'
'La mygale'
'La mue du serpent'
'Peau à peau'

10 questions
7129 lecteurs ont répondu
Thèmes : Cinéma et littérature , films , adaptation , littérature , cinemaCréer un quiz sur ce livre

{* *}