Il suffit d'un professeur - un seul - pour nous sauver de nous même et nous faire oublier tous les autres.
A chaque rencontre, on constate qu'une vie s'est épanouie, aussi imprévisible que la forme d'un nuage.
Il me reste cependant le souvenir (...), au tout début des années quatre-vingt, [de] jeunes filles apparemment fort sages, qui avaient envoyé leur professeur en cure de sommeil (j'étais son remplaçant) parce qu'il avait eu la prétention de leur faire fréquenter "La princesse de Clèves", que ces demoiselles jugeaient "trop chiante"...
Faire passer l'école pour un lieu criminogène est, en soi, un crime insensé contre l'école.
Le savoir est d'abord charnel. Ce sont nos oreilles et nos yeux qui le captent, notre bouche qui le transmet. Certes, il nous vient des livres, mais les livres sortent de nous. ça fait du bruit une pensée, et le goût de lire est un héritage du besoin de dire.
Le mauvais élève ne se vit jamais comme ignorant. Je ne me trouvais pas ignorant, moi, je me trouvais con, c’est très différent !
On ne réussit pas à tous les coups, on échoue parfois à tracer une route, certains ne se réveillent pas, restent sur le tapis ou se cassent le cou contre la vitre suivante ; ceux-là demeurent dans notre conscience comme ces trous de remords où reposent les hirondelles mortes au fond de notre jardin, mais à tous les coups on essaye, on aura essayé. Ils sont nos élèves.
Dans la société où nous vivons, un adolescent installé dans la conviction de sa nullité est une proie.
Bref, on devient. Mais on ne change pas tellement. On fait avec ce qu'on est.
Nos « mauvais élèves » (élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui entre dans la classe: quelques couches de chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancoeur, de colère, d'envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent, leur corps en devenir et leur famille dans leur sac à dos. Le cours ne peut vraiment commencer qu'une fois le fardeau posé à terre et l'oignon épluché.