Les premiers textes littéraires d'Ernest Pérochon parurent dans les bulletins de l'Amicale des instituteurs des Deux-Sèvres.
Ici l'auteur évoque tant le métier tant à la Belle Epoque, où il a enseigné, que pour les années 1920. Ces deux univers sont très différents : le premier est marqué par les conflits entre directeurs tout puissants et adjoints, des instructions officielles datant de Jules Ferry où la mémorisation l'emporte sur la compréhension tandis que le second voit se dessiner un enseignement qui désire être plus prêt des compétences réelles et des intérêts des enfants (IO de 1923) alors que les instituteurs sont autorisés à se syndiquer. Ernest Pérochon ne peut le dire mais quelques années après la parution du présent ouvrage, certains de ses romans scolaires dont "À l'ombre des ailes" remplacent "Le tour de la France par deux enfants" dans nombre de classes de cours moyen et supérieur.
Pérochon a commencé sa carrière d'enseignant comme "régent" en octobre 1903 et l'a terminée en l'été 1921, entre temps il aura fait deux ans de service militaire et quatre ans de guerre. Toutefois dans l'Entre-deux-guerres il est l'équivalent de délégué départemental de l'éducation nationale, membre du conseil d'administration du lycée de garçons de Niort et son épouse enseigne dans une école primaire supérieure (équivalent du collège d'aujourd'hui).
En complément de "L'instituteur", on lira le roman "Le chemin de plaine" (du même auteur) très largement autobiographique, ce dernier nous décrit le métier en question avant 1914. On peut remercier Marivole/CPE de cette réédition de "L'instituteur au début du XXe siècle" d'Ernest Pérochon et d'avoir proposé deux introductions à cet ouvrage rédigées par des personnes qui apportent une vision complémentaire.
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« S’il comptait se reposer un peu, après le rude effort qui a précédé le concours d’entrée, il ne tarde pas à déchanter. Ce fut, du moins, ce qui m’arrive à moi-même vers le commencement de ce siècle.
Je me rappelle certains hivers bien rudes, certaines séances bien longues et, surtout, je me rappelle sans joie tant de cahiers qu’il fallait noircir, tant de notes à classer, tant de croquis à mettre au net, tant de pages ! …
Je n’ai jamais été tenté de livrer à la flamme vengeresse un seul de mes livres de classe ; mais il m’est resté de ce temps, qui fut, à tout prendre, un bon vieux temps, la haine de ces fastidieuses besognes de copie qu’on n’arrivera jamais, je le crains, à proscrire complètement des travaux scolaires.
Peut-être étais-je, déjà, un peu paresseux … Cependant, aujourd’hui, avec un recul de vingt-cinq ans, mon opinion reste la même : le régime était rude, inutilement rude.
(au sujet des études à l'Ecole normale d'instituteurs, durant la Belle Epoque)
Il n’est pas de conception plus fausse, plus étrangère à nos principes d’égalité et de bonne confraternité que celle qui maintiendrait le directeur et ses adjoints dans un isolement mutuel, le premier concentrant en sa personne toute la vie administrative et pédagogique de l’école, les seconds réduits à une obéissance étroite et bornant leur activité à enseigner suivant des méthodes et des principes acceptés sans discussion et sans foi, et imposés d’autorité.
Lorsque, l’année de nos débuts, nous avions l’honneur de faire la classe à quatre-vingt bébés , notre directeur nous envoyait, de temps en temps, un moniteur choisi parmi les garçons déjà familiers avec les quatre règles.
Certains de ces lascars nous causaient bien des soucis, soit qu’ils apprissent aux petits des tours non prévus au programme, soit qu’ils fissent le commerce clandestin et profitable de billes, crayons, bons points ou boutons de culotte, soit qu’ils eussent la prétention, en vertu des pouvoirs qui leur étaient conférés, de faire régner une discipline de fer.
Que de fois ai-je entendu des camarades s’écrier, parlant de X ou de Y : "Voyez ce nigaud ! En sera-t-i plus avancé lorsqu’il aura usé sa santé à gaver ses pauvres élèves de dictées interminables, de problèmes ahurissants ! …
Si nous avions des chefs, ils ne tolèreraient pas d’aussi fâcheux égarements !".
Or mes camarades ont remplacé précisément X et Y admis à la retraite. Et ils ont fait la même chose que leurs prédécesseurs quand ils n’ont pas fait mieux ou pis, selon le point de vue .
Anselme a pris sa retraite il y a trois ans, dans le village même où il exerçait. Il comptait bien être élu maire ; il n'est même pas conseiller municipal. Pour le consoler, on l'a nommé instituteur honoraire et délégué cantonal.
Poésie - Si j'avais une bicyclette - Ernest PEROCHON