Carnet de fouille dans les archives officielles françaises (préfecture de police, archives nationales d'outre-mer)
Notre guerre civile de
Judith Perrignon est aussi un document de préparation du podcast Grandes Traversée sur
Louise Michel, ainsi qu'un livre de réflexions personnelles, enrichi d'extraits de travaux d'historiens et historiennes.
Texte court mais extrêmement vivant, ponctué de documents authentiques, il s'ouvre sur le procès de la Commune de
Paris, à une époque où la femme est"objet d'affection et de respect" quand "elle est toute entière aux soins de la famille", et maintient "l'homme dans la ligne de ses devoirs sociaux", "mais si désertant cette sainte mission, son influence changeant de caractère ne sert que le démon du mal, elle devient une monstruosité morale. Alors, la femme est plus dangereuse que l'homme le plus dangereux." (discours du capitaine Jouenne, Commissaire du gouvernement au procès des insurgés de la Commune de
Paris).
Dans ce contexte, si
Louise Michel, enfant illégitime ayant reçu une bonne éducation puis institutrice célibataire meneuse des « pétroleuses », n'est pas condamnée à mort, c'est parce que certaines de ses compagnes sont enceintes ou mères de famille.
En tuer une c'est devoir les tuer toutes, ce sera donc la déportation.
A son retour de Guyane, les traces laissées par ceux qui l'ont surveillée (police, indics), enfermée, déportée, enterrée, démontrent qu'elle avait une vitalité et une bonté pour les indigents et les indigentes hors du commun, qu'elle plaçait la connaissance et ses idéaux humanistes au dessus de sa vie même.
Prenant la parole en public, écrivant, s'exposant souvent, elle constituait un exemple d'émancipation et de revendications menaçant pour l'État français à une époque où les femmes existaient rarement pour elles-mêmes. D'ailleurs il frappant de constater que ses compagnes de lutte et de bagne restent encore aujourd'hui fort méconnues.
Impossible à faire taire, il devient impératif d'abîmer son image. On lui prête une liaison avec
Victor Hugo (avec qui elle a longtemps correspondu) et un enfant caché dont il n'existe aucune preuve, on la dit lesbienne aussi puisque jamais mariée mais vivant avec une femme (toujours utile de ramener une femme à son utérus, hier comme aujourd'hui). On l'empêche de prendre soin de sa mère mourante. On la dit folle. Elle est victime d'un attentat. Tient à être jugée avec ses camarades anarchistes, malgré l'accident.
Inlassablement elle poursuit la lutte révolutionnaire, de meeting en prison, refusant tout traitement de faveur. Traquée, surveillée, son enterrement même fera l'objet d'un dispositif policier spécial.
Les livres ne manquent pas sur
Louise Michel, qui a également écrit ses mémoires, pendant son incarcération.
Mais
Judith Perrignon, en partageant ses découvertes archivistiques, nous emmène sur le chemin de la curiosité. Que peut-on déduire de telle ou telle trace ? Ce qui est vraisemblable, ce qui est certain, ce qui est notable… Qu'en disent les spécialiste ? Et aujourd'hui ?
C'est un grand plaisir de lecture de pouvoir cheminer à ses côtés, et partager un peu de sa démarche et de ses réflexions.
Et une joie toujours renouvelée d'en apprendre plus sur
Louise Michel, car comme écrit l'autrice :
« Et l'on enseignera jamais aux enfants des innombrables écoles
Louise Michel, combien d'années la république de
Jules Ferry la traqua et l'emprisonna. C'est qu'il faudrait en plus leur expliquer qu'elle ne voulait pas en sortir. Qu'elle voyait un certain honneur à être une reprise de justice d'un monde qui ne lui convenait pas. Il faudrait donc leur expliquer le monde. le sien. le leur.
Les prévenir. »
Merci à Babelio,
Judith Perrignon et les éditions Grasset, pour ce livre fort attendu, reçu en masse critique.