Sociétés secrètes
(Défense de la Maçonnerie)
La session législative de l'Assemblée nationale a été inaugurée par la présentation, due à un député, d'un projet de loi sur les «sociétés secrètes». Le projet est tel, par sa nature comme par son contenu, qu'il n'y a pas de quoi féliciter l'actuel Parlement pour ce début. Plutôt lui dire Absit omen ! c'est-à-dire : «Éloignons le présage !»
Le projet a été présenté par M. José Cabrai qui, s'il n'est pas dominicain, mériterait de l'être, tellement son travail se rattache, par sa nature comme par son contenu, aux meilleures traditions des Inquisiteurs. Ce projet, que tout le monde a pu lire dans les journaux, prévoit des sanctions sévères et variées (à l'exception de la peine de mort) pour tous ceux qui appartiennent à ce que son auteur appelle les «sociétés secrètes, quelles que soient leurs fins et leur organisation».
Étant donné l'ampleur de cette définition, et considérant que par «société» on entend un groupement d'hommes unis dans un but commun, et que par «secret» on entend, du moins en partie, ce qui ne se fait pas en présence du public, ou, une fois fait, n'est pas entièrement rendu public, je peux dès à présent dénoncer à M. José Cabrai une société secrète - le Conseil des ministres. D'ailleurs, toutes les réunions sérieuses et importantes, dans ce monde, se font secrètement. Si les Conseils des ministres ne se réunissent pas en public, il en est de même des directions des partis politiques, ou des figures ténébreuses qui gèrent les clubs sportifs, ou encore des sinistres communistes qui forment les conseils d'administration des compagnies commerciales et industrielles.
Bien que l'on puisse interpréter de la sorte le discours pompeux et peu nationaliste de M. José Cabrai, je crois - car il ne peut en être autrement à lire les louanges de la presse pseudo-chrétienne à l'égard de ce projet - que les «sociétés secrètes» qu'il vise en réalité sont celles qui comportent ce qu'on appelle une «initiation», et, par conséquent, le secret particulier qui s'y rattache.
Or, dans notre pays, l'Ordre Templier du Portugal étant en sommeil depuis longtemps, la Charbonnerie - formée dans un but transitoire qui a été atteint - ayant disparu, il n'existe plus, je suppose, hormis peut-être quelque loge martiniste ou autre, que deux «sociétés secrètes» de cette espèce. L'une est la Maçonnerie, l'autre cette curieuse organisation dont l'une des branches porte le nom profane de compagnie de Jésus, exactement comme, dans la Maçonnerie, l'ordre de Heredom et Kilwinning porte le nom profane d'ordre royal d'Ecosse. Des Jésuites je ne dirai rien, et cela pour trois motifs dont je tairai aussi le premier. Les deux autres sont : que je ne crois pas, pour plus d'une raison, qu'ils courent le risque de se voir appliquer la moindre sanction si le projet est approuvé; et que je ne crois pas non plus, pour une seule raison, que M. José Cabrai ait jamais prétendu faire appliquer ces sanctions. Je présume donc que le projet de loi de ce député diligent est dirigé, totalement ou principalement, contre l'ordre maçonnique. Je l'examinerai en ce sens.
En librairie le 2 juin 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454054/comment-les-autres-nous-voient
Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.