Il existe depuis quelques années un mouvement passionnant d'autofiction dans la littérature argentine.
Laura Alcoba,
Raquel Robles, Claudia Piñeiro ont en effet bâti des constructions romanesques autour de leur enfance avant et pendant la dictature de Videla. En France, c'est
Actes Sud qui traduit Claudia Piñeiro, mais «
Un comunista en calzoncillos » n'est pas encore disponible. Il le sera, je n'en doute pas, car c'est un roman passionnant sur un communiste en slip, donc, comme le dit le titre, vu avec amour et humour par sa fille de dix ans. Les parents de
Laura Alcoba et de
Raquel Robles étaient d'extrême gauche et en ont subi les conséquences (emprisonnement et exil pour les uns, disparition pour les autres, ce qui, on le sait, signifie donc tortures et mort) Ici, le père de Claudia Piñeiro, ou plutôt de la narratrice, vend des ventilateurs pour faire vivre sa famille, fait beaucoup de sport, et notamment du tennis avec la jolie (trop jolie?) maitresse de la narratrice, et va à la piscine et à la plage avec ses enfants. Tout cela se passe à côté de Buenos Aires, juste avant et juste après que les généraux s'emparent du pouvoir.
Le roman est construit en deux parties d'à peu près cent pages et se lit très vite. Dans la première, la narratrice est nommée porteuse de drapeau pour son école, un grand honneur fait aux bons élèves, mais qui va créer une tension car si sa famille est très fière, son père est contre. Dans la deuxième partie, on trouve des photos de l'auteur enfant et de sa famille, ainsi que des notes biographiques ou des extraits de journaux, qui permettent à la fois d'en savoir plus sur la petite histoire, celle de la famille d'émigrés espagnols de Claudia Piñeiro, et la grande, celle de l'Argentine des généraux.
La première partie est extrêmement détaillée et extrêmement précise, construite avec un grand calme. L'auteur pose avec exactitude chaque note sur la partition, pour que le final résonne de toute sa force. Peu importe que ce final soit totalement vrai ou totalement inventé. L'auteur nous a prévenus dès le début, il se peut qu'elle nous raconte l'exacte vérité, il se peut qu'elle nous raconte sa vérité, ou il se peut qu'elle ait inventé. L'essentiel est que cela donne une voix très juste d'enfant qui ne le sera bientôt plus, et un tableau très juste d'un pays qui ne sait pas encore qu'il va entrer dans l'horreur. On voit les premières disparitions, mais on est encore à une époque où les gens peuvent revenir de leur séquestration. « Si tu n'as rien fait, ils te rendent », disent les camarades de classe de la narratrice. le malaise va s'installer peu à peu, puis la peur, et avec elle la conscience que même un infime mouvement de rébellion peut avoir des conséquences dramatiques. Quel parti prendront le communiste en slip et sa fille?