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EAN : 9782072737831
80 pages
Gallimard (19/10/2017)
3.75/5   2 notes
Résumé :
«Depuis qu’il était arrivé dans ce misérable hôtel de plage, il se répétait cela : il était libre, physiquement libre. Il était entièrement et physiquement libre… Il était entier.»
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À l’extrémité de la plage, l’hôtel présentait un grand parallélépipède blanc tout en longueur, dans le désert des dunes.
De la fenêtre de sa chambre, Rom pouvait voir le rideau bleu du ciel tomber d’aplomb sur la surface éblouissante des eaux.
Dans la chaleur qui montait, la trop forte lumière aveuglait tout l’horizon.

Malgré la saison, le plein été, l’hôtel semblait vide... Trop éloigné de toute agglomération, ou encore en cette partie du littoral dont la torride, l’immobile chaleur faisait fuir les touristes.

Le parc à voitures se trouvait sous le bâtiment. La route en mauvais état aboutissait à ce sous-sol où Rom s’était garé et qui n’abritait qu’une vieille camionnette et un vélo.
Il avait pris sa valise avant de sortir à nouveau dans l’air brûlant et traversant un patio que le sable recouvrait en partie, il avait gagné le hall de l’hôtel.
Dans la pénombre un vieillard somnolait. Rom avait demandé une chambre. Sans un mot l’homme lui avait fait signer une fiche comme on en trouve partout et d’un mouvement de tête il lui avait désigné l’escalier.
Le hall avec ses vieux fauteuils éculés, l’escalier, les couloirs, la chambre même, tout paraissait très sommairement entretenu, à moitié abandonné.

Rom avait posé sa valise et poussé les volets... Le ciel, la mer, la lumière blanche comme le sable pénétrèrent brusquement dans la pièce. Le sable blanc, le drap bleu de la mer transparente, et le haut ciel fixe droit devant lui, tout immobile.
Il était enfin arrivé.
Il était... libre.

Il fit quelques pas et se pencha au balcon qui dominait une terrasse cédant progressivement à la poussée de la plage. Quelques chaises bancales et trois tables peintes en blanc étaient abandonnées là.
Au rez-de-chaussée du bâtiment, portes et fenêtres, tout était clos.

En se tournant vers la droite, Rom pouvait suivre à l’infini le moutonnement des dunes qu’occupait une maigre végétation. À gauche, à perte de vue, la plage déserte et lisse. Et devant lui le vide de l’horizon.
Il recommença deux ou trois fois ce manège... les dunes, le sable, la plage, la mer, l’horizon... les dunes, la mer, la plage, le sable... Avec à chaque fois une plus évidente satisfaction à découvrir cet univers éclatant, vide et désert, dans l’air brûlant.
Il se retourna sur la chambre.
Rien.
Des murs mal crépis.
Un lit usé.
Sa valise encore fermée sur une chaise.
Rien dans la lumière la plus vive, la plus brutale, dans la chaleur sèche.
Rien comme jamais.
Un cube d’air.
Le bruit des vagues et le silence.
Le silence dans le roulement continu et clair des vagues. Et tout l’environnement immobile, brûlant, sans ombre. Tout dans la plus forte, la plus frappante luminosité.
Aucune vie.
Le ciment des murs blanchis à la chaux.
Le ciel éclatant, invisible.
La mer étincelante.

Il était libre.

Il fit quelques pas et s’allongea sur le lit les bras repliés derrière la tête. Son corps s’enfonçait dans le matelas déformé ; mais il s’adapta finalement à la position que chacun des anciens occupants de la chambre avait dû adopter avant lui.
Il se sentait divisé entre la présence, l’éveil, la contraction de chacun de ses muscles réagissant à ce climat auquel il n’était pas habitué, et une fatigue qui l’étourdissait.

Le plafond de la pièce s’illuminait des reflets de la lumière et de l’eau.
Sous les yeux de Rom les paysages qu’il venait de traverser défilaient à nouveau comme projetés sur l’écran mouvant. Les champs de riz, puis la plaine sauvage et vide, fuyant infiniment devant lui. Le bruit continu du moteur. Les yeux brûlés par la lumière...
Un voyage qui n’en finissait pas et qui maintenant recommençait, quand tout était trop loin, achevé.
Maintenant qu’il était libre... presque libre... tout se mêlait à nouveau... Le voyage…
La fuite... Le visage de son père... vite, effacé.

Il résistait. Il résistait à la chaleur, au sommeil, à l’élan, à la crispation physique de l’effort passé, à la lassitude nerveuse qui l’éblouissait, qui le tirait en arrière.
Ombres et lumières, ombres et reflets, se précipitaient, dansaient devant ses yeux.
Il résistait à l’étourdissement ; à l’étourdissant manège qui emportait à la même vitesse les ombres du voyage et... à nouveau le visage de son père... Puis la présence des jumeaux... Ses deux fils nus venant vers lui en trébuchant sur la moquette, tombant, se relevant en riant... Comme il les vit tant de fois dans les semaines qui précédèrent son départ, alors qu’il restait enfermé dans l’appartement. Les deux garçons tour à tour sérieux et rieurs, faisant l’expérience d’un équilibre encore à conquérir, et se roulant en venant vers lui. Tous deux tellement semblables qu’il les confondait. Et tellement semblables à lui. Les yeux bleus, les fins cheveux blonds... Et déjà très solides sur leurs petites jambes... Deux fois, trois fois la même image et le même corps...
Et maintenant, en les évoquant, l’image se troublait. C’était encore ses fils mais ils s’éloignaient. Venant vers lui ils s’éloignaient. Ils s’éloignaient comme lui-même... Il ne les reverrait plus. Il savait qu’il ne les reverrait plus. Et en ce moment cette certitude avait quelque chose de tangible, presque concret, physique. Ce qui l’attachait à ses enfants et ce qui l’en séparait... Maintenant... Ce qui l’avait attaché à ses fils, qu’en restait-il ? La séparation n’était pas une séparation, c’était une opération... Une opération physique et mentale au terme de laquelle, il le savait déjà, il se sentirait tout autre... lui-même plus que lui-même... Lui-même par lui-même plus que lui-même… Un jour les deux garçons marcheraient... Ils étaient encore là près de lui, mais il ne souhaitait plus les voir. Toutes ces semaines, enfermé dans l’appartement, il les avait vus pour la première fois. Il les avait bien vus apprendre à marcher. Il avait passé tout ce temps à se détacher d’eux. Il comprenait cela maintenant... dans cette sorte d’engourdissement tendu et soyeux comme la lumière qui irisait le plafond de la chambre.

Il voulut se détendre en changeant de position mais l’usure, la forme imprimée au centre du matelas le maintenait toujours dans le même creux ; et sa fatigue au demeurant s’accommodait bien de cette contrainte. La fatigue tenait nerveusement le corps et les pensées de Rom dans les plis d’une toute nouvelle accoutumance forcée par le martèlement des kilomètres qu’il venait de parcourir et par l’élan, brusquement interrompu, des précipitations de la vitesse, de la séparation, de la fuite, du voyage.

L’image de ses deux fils avançant maladroitement vers lui s’imposait puis s’estompait, aussi indécise que la marche des enfants... comme s’il les évoquait alors qu’ils se séparaient de lui.
Brusquement il fut très tendu. Son cœur se mit à battre précipitamment. Il le sentait frapper sourdement dans sa poitrine... Puis, progressivement il retrouva son calme, et la tranquille plénitude qui confusément l’habitait depuis qu’il avait pris la décision de quitter son pays.

C’est le visage d’Halina qui maintenant s’imposait à lui. Le visage de sa femme... Non pas telle qu’il l’avait laissée il y a deux mois. Mais telle qu’il l’avait vue la première fois un an avant leur mariage.
Elle ne ressemblait à nulle autre avec ce mélange de sensualité, de pudeur et de détermination juvénile qui avait immédiatement séduit Rom. Dans leur groupe d’étudiants elle était la seule fille à porter les cheveux très longs et dénoués sur les épaules. Elle devait les faire couper peu de temps avant d’accoucher. Le visage, le corps lui-même, généreux et svelte, semblait lié au libre mouvement de la chevelure.
Lorsqu’il la vit, lorsqu’il la remarqua pour la première fois, elle écoutait attentivement un de leurs voisins pérorer sur la philosophie de l’histoire. Le visage, très dessiné, aux pommettes saillantes et roses, d’Halina, marquait un intérêt grave... et malgré cela tout en elle souriait déjà avec une gracieuse indulgence.
Rom la connut tout de suite. Un an après ils étaient mariés. Elle attendait les jumeaux.

Rom fit un effort pour fixer son attention sur l’image juvénile d’Halina.
La fatigue, les décisions du sommeil et de la fatigue l’emportaient sur les rêveries passées... Le premier week-end à la campagne... La pièce sombre et fraîche à l’intérieur... Halina dans l’encadrement de la porte apparaissant nue sous sa robe... Et comment ils s’étaient découverts l’un l’autre... dans quel emportement physique ! Halina passant les bras autours de son cou... Ses lèvres fraîches... Ce qu’il avait vécu comme une complicité joyeuse dans l’amour... Comme s’ils avaient douze ans…
Jusqu’à la naissance des jumeaux... Rien de nostalgique pourtant.
Mais déjà la marque objective d’une époque révolue. Le passé.

Malgré la torpeur qui l’envahissait, recouvrait toute conscience en vagues successives, continues, Rom se savait par expérience maître de son sommeil. Pour lui la partie était gagnée, définitivement gagnée ; même s’il devait en passer par ce ressassement. Le retour confus de ce qu’il avait définitivement abandonné et qui était encore avec lui, en lui, la trop proche rupture... tout ce qu’il avait abandonné s’estompait dans sa rêverie.

Lorsqu’il décida de fuir son pays, de quitter les siens, il découvrit comme un abîme, et comme un trésor en abîme, la violence de ce désir de liberté qui ne serait qu’à lui. La violence d’un désir qui recommence, efface et recommence...
Pas un moment Rom n’avait pensé qu’il s’exilait. Bien au contraire... il quittait un monde, une patrie, qu’il ne pouvait plus reconnaître, qui n’avaient jamais été les siens ; pour se retrouver lui-même, rien que lui-même, ailleurs, loin, encore plus loin.
Et cette pensée éveilla en lui à la fois un sentiment d’horreur et de familière jouissance... Toutes les chaînes tombaient !

Il était livré à lui-même comme le ressassement et l’obsession de son départ le livraient aux vagues de la fatigue et du sommeil.
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Dans la cale du cargo où durant plus d’une semaine il était resté caché, rien d’autre ne le préoccupait que cette pensée de se retrouver seul et libre. Et non point d’une solitude et d’une liberté abstraite, intellectuelle, mais d’une liberté physique. Physique.
Enfermé en attendant le départ du navire, puis pendant tout le voyage, cette liberté du corps détaché de tout lien, il l’avait vécue et ressentie à chaque moment.
Sa décision s’était ainsi progressivement, fermement et vitalement mise en place. Comme chaque muscle se trouve à sa place dans le libre mouvement du corps et de la pensée.
Les souvenirs, les réminiscences, les vagues de rêves, et toute l’ancienne, forte et affective proximité joueraient leurs rôles, en revenant et en s’effaçant... s’effaceraient en revenant... les jumeaux... Halina... le visage de son père...

Lors de son interrogatoire il fut d’abord essentiellement question de son père et de ses responsabilités.
Ils étaient venus le chercher très tôt le matin. Un matin d’hiver. Le jour n’était pas encore tout à fait levé. La neige tombait épaisse dans l’aube pâle et grise. Halina était déjà partie travailler. Les garçons dormaient.
Ils lui avaient tout de suite demandé ses papiers et sans les lui rendre ils l’avaient prié de les suivre.

Il comprit immédiatement que ses protections désormais n’agiraient plus. Sans savoir encore pourquoi, il comprit qu’il ne pourrait plus compter ni sur son père, ni sur ses amis. Pourtant il lui sembla que les hommes qui l’interrogeaient, dans ce sous-sol froid et mal éclairé, prenaient encore quelques précautions. Que savaient-ils ? Que voulaient-ils savoir ?
Il décida de ne répondre à aucune de leurs questions.

– Vous vous appelez Roman Borowski.
– ...
– Vous êtes le fils unique du Commissaire Felixe Borowski et de Maria Tadeuz.
– ...
– Vous avez fait partie des jeunesses communistes. Vous êtes membre du parti.
– ...
– Votre femme Halina est secrétaire générale de sa cellule.
– ...
– Vous êtes né à Sopot le 23 décembre 1950. Vous avez fait vos études à l’université de Lodz. Vous êtes urbaniste et vous avez collaboré à d’importants projets d’aménagement de notre territoire.
– ...
– Vous avez deux garçons, Witold et Kazimierz, des jumeaux.
– ...
– Nous désirons vous faire savoir que quelles que soient vos protections nous ne prenons aucun risque en vous arrêtant.
– ...

Rom entendait les voitures qui passaient dans la rue voisine ; et ce bruit particulier, étouffé, qu’elles font en roulant dans la neige.
Rom pensait que s’ils disaient ne prendre aucun risque c’est qu’ils n’étaient pas sûrs d’eux.

– Sachez que nos services vous font suivre depuis plus d’un an.
– ...

Ils prenaient incontestablement beaucoup de précautions. Rom en conclut que son père n’avait pas encore été informé de cette enquête.

– Vos activités avec l’Étranger nous sont connues.
– ...
– Que faisiez-vous dans la soirée du 12 novembre ?

Devait-il répondre ? Il hésita un moment.

– J’étais chez moi.

Ce 12 novembre il était effectivement chez lui.
Et Rom comprit qu’il avait été suivi et que ses activités politiques étaient connues de leurs services. Pourtant ils n’en parlèrent pas. Ils posèrent d’autres questions apparemment toutes aussi anodines. Puis ils le laissèrent repartir mais sans lui rendre ses papiers.

– Vous reviendrez bientôt.

En un mois il fut convoqué quatre fois. Il avait prévenu son père qui lui conseilla de ne pas sortir de chez lui puisqu’il n’avait plus de papiers.
La veille du cinquième interrogatoire son père lui téléphona pour lui dire qu’il ne pourrait plus rien faire et qu’il ne voulait plus, en aucune façon, entendre parler de lui. Et sans attendre de réponse, sans même dire au revoir, il raccrocha.

Ce fut au cours de ce cinquième interrogatoire qu’ils questionnèrent Rom sur son homosexualité. Lui citant les lieux où il draguait. Les garçons qu’il avait rencontrés.
Maintenant ils le tutoyaient.

– Est-ce que ta femme est au courant ?
– Qui est le père des jumeaux ?
Pourtant cette fois encore ils le laissèrent repartir.

Rom avait compris qu’il n’en sortirait pas. L’accusation d’homosexualité était imparable. Elle arrangerait tout le monde. Tout passerait sous cette rubrique. Son père était d’accord avec eux. Halina les suivrait.
Il se voyait difficilement en train de se justifier : je n’en suis pas moins un bon père, un bon mari, un bon fils. Et quand bien même...
Son père était un personnage beaucoup trop important pour que l’on rende officielle la trahison politique du fils. On publierait une regrettable et douloureuse affaire de mœurs, avec un couplet sur la jeunesse pervertie.
Il devait fuir.

Il n’avait jusqu’alors jamais même songé qu’il pourrait vivre ailleurs. Mais là, les pieds dans la neige, soudainement il fut frappé par cette certitude qu’il ne comprenait pas bien : c’est fini. Il était libre. En un instant ce sentiment profond, irraisonné, emportait toute résistance... sans qu’il puisse comprendre pourquoi... Il était heureux.
Il fut presque immédiatement après très angoissé. Il partirait. Il quitterait ce pays. Cette famille. Ce monde qui avait peut-être été le sien.

*
Rom s’éveilla.
Le soleil était toujours aussi haut dans le ciel ; la chambre irradiée de lumière.
Il s’était brièvement assoupi.
L’étourdissante fatigue du voyage le maintenait comme ankylosé dans la position qu’il avait prise au creux du lit... Entre le sommeil et l’éveil.
Il eut un moment d’hésitation avant de reconnaître la chambre. Toute cette lumière aveuglante sur la sombre et confuse évocation du passé... si proche.

Il se leva.
La chaleur lui collait les vêtements à la peau. Sans que pourtant il en souffrit. Elle formait à l’extérieur et à l’intérieur comme un volume d’air épais et solide. Comme un nouvel élément. Comme une protection autour de lui.

Rom pensa que s’il prenait une douche...
Mais dans le petit cabinet de toilette seul un mince filet d’eau s’échappait des robinets.
En se détournant, pour rentrer dans la chambre, il surprit son image dans le miroir. Il ne s’était pas rasé depuis qu’il avait débarqué. Une barbe de trois jours lui couvrait les joues. Elle lui allongeait le visage et soulignait fortement le dessin anguleux et la fermeté des traits... la bouche charnue, le nez droit, les yeux plus creusés. La barbe, qu’il avait châtain foncé, presque brune, contrastait avec les cheveux blonds, courts et frisés qui donnaient au regard bleu un insolite accent de surprise juvénile.
Ce n’était plus tout à fait lui.
Il était méconnaissable.

Il s’approcha du miroir, passa sa main sur ses joues en relevant le menton, avec une réelle satisfaction.
Il était heureux.
Il était libre.

Depuis qu’il était arrivé dans ce misérable hôtel de plage, il se répétait cela : il était physiquement libre. Il était entièrement et physiquement libre. Il était entier.

Il s’étira. Il occupait complètement le maigre réduit. En levant les bras ses mains touchaient le plafond.
Dans la glace il pouvait voir son buste comme une colonne droite et ferme.
Il se sentait tout entier dans son corps. Tout entier lui-même. Heureux dans chacun des muscles qui soutenaient son effort : rien ne manque.

Il s’approcha à nouveau du miroir. Les cernes s’accusaient autour des yeux. La barbe naissante dissimulait le menton, trop prononcé. Elle arrondissait le bas du visage qu’elle assombrissait.
L’image que lui renvoyait le miroir, ce n’était plus tout à fait celle qu’il se faisait de lui-même.
Il s’attardait.
Ce n’était certainement pas l’image que les autres se faisaient de lui. La barbe le vieillissait.
Désormais il aurait cette tête. À le constater il en ressentait une incontestable satisfaction. C’était gagné.
C’était gagné. Il serait lui-même, seul. Il était lui-même tout entier seul.

Il quitta le cabinet de toilette, et le maigre néon qui l’éclairait d’une lumière bleuâtre ; pour retrouver le ciel plein et le soleil brûlant qui chauffait la chambre comme un four.
Dehors le même torride éblouissement blanc écrasait les dunes et la plage à perte de vue.
Il décida d’aller nager.
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Il y avait peu de circulation sur la route, et en moins d’une heure il garait sa voiture dans l’espace aménagé sous la maison...

Lorsqu’il sortit dans les jardins, la maison était toujours là fidèlement rassurante, et solide comme un gros animal bienveillant. La nuit était tombée et seuls quelques éclairages électriques coupaient l’ordonnance des jardins ouverts sur une vaste prairie...

Rom s’arrêta pour contempler ce qui désor­mais, il en était certain, constituerait son petit univers... Il se sentait heureux et libre comme jamais dans l’acceptation de ce qui se présentait à lui, en somme pour la première fois... Il se voyait passant son temps à vivre, calmement et déchiré, ce qui était là devant lui... et pour lui...

Le passé n’était que le passé, tout juste assez présent pour venir recharger cet instant unique, et, il le savait désormais, éternellement présent...

Après l’agitation du voyage en voiture, entre Paris et La Ferté-Vidame, le silence de la nuit le trouva étonnamment heureux et réconcilié...

Il pouvait vivre de ce qu’il avait autour de lui, en lui... Les granges où les chevaux dormaient debout dans leur chaleur. La vaste pelouse qui s’étendait jusqu’à la rivière dont, dans le silence de la nuit, il pouvait entendre le bruissement liquide...

Il s’assit dans un fauteuil sur la terrasse, le dos à la grande maison, où sa chambre l’attendait... C’était là, c’était bien là qu’était sa vie...

Il se leva, entra dans la bibliothèque, où brûlait encore un reste de feu que la femme de ménage avait allumé. Il prit un livre et monta dans sa chambre... Il avait oublié sa crise matinale.

Oui, c’était là, c’était bien là qu’était sa vraie vie... son seul royaume.

Il ferma les yeux... Et maintenant , loin, très loin, il entendait Odette au clavecin ... comme, lorsqu’il était dans sa chambre, elle travaillait au salon de musique...

Il attendrait Odette qui l’angoissait et qui le rassurait... qui l’aimait.
Et qu’il aimait sans doute... autant qu’il pou­vait aimer. ..

Dans sa chambre le papier peint semblait ouvrir, devant lui, sur un chemin, une voie, une route qui, comme lorsqu’il avait quitté la Pologne, s’ouvrait sur l’horizon à l’infini... et bien au-delà...
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« Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique. "Mes amis, je veux qu’elle soit reine !" "Je veux être reine !" Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation, d’épreuve terminée. Ils se pâmaient l’un contre l’autre.
En effet ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et toute l’après-midi, où ils s’avancèrent du côté des jardins de palmes. »
ARTHUR RIMBAUD, « Royauté ». Illuminations.

Rom pensa que si ce pays, qui l’occupait, exis­tait ... ce pays était sa seule patrie.

S’agissait-il pourtant d’un pays, d’une patrie ? Ce pays, de nulle part, pouvait seul lui convenir... Il songea que ce pays n’existait pas comme pays.

Il n’avait pas de pays, il n’aspirait pas à retrou­ver un pays.

Mais ce pays pourtant... Un royaume ? Ce qu’il devait trouver : un royaume !
Rom s’engagea dans un chemin désert et s’arrêta au milieu d’un carré de verdure, refuge des oiseaux... Il y avait là quelque chose d’unique, de magique et pour lui seul... Il s’assit sur le bord d’une fontaine qui mêlait son bruit cristallin à la mélodie des oiseaux ...

Toute la nature brusquement s’épanouissait pour lui... dans un charme divin...

Il songea... « le royaume où je suis seul et si bien » !

Ce square, au cœur de la métropole, se pré­sentait, de façon inattendue, comme un havre de poésie et de paix.

Rom se sentait détendu... brusquement libre... Tout à fait et quasi miraculeusement libre... d’une liberté sans nom, et sans autre objectif que sa présence immobile dans ce lieu...

Il songea à un livre qu’il avait trouvé dans la bibliothèque, que le père d’Odette avait laissé à sa fille, qui ne l’avait sans doute jamais lu...

Le livre, très ancien, d’un écrivain américain, s’appelait Un philosophe dans les bois... l’auteur y conversait avec les plantes et les oiseaux... et Rom se revoyait sur la terrasse de la maison de La Ferté-Vidame, écoutant, sous les arbres, le chant sourd des tourterelles qui déchirait le léger bruis­sement des feuilles...

Et il décida de retrouver ce qu’il venait de quit­ter.

Il sortit du jardin avec la ferme intention de retrouver dès que possible la campagne qu’il avait quittée peu après le départ d’Odette...

Il se souvenait du jardin et de la terrasse où il avait passé de longues heures à contempler le jour qui n’en finissait pas de finir... Les ombres s’allongeaient et découpaient sur la pelouse des zones de clartés ensoleillées... les oiseaux accompagnaient la chute du jour de leurs chants...

Il était là, c’était bien lui... et en somme ça lui suffisait.

Après être passé brièvement à l’agence, il prit sa voiture et quitta la ville pour La Ferté-Vidame, où la maison comme toujours semblait l’attendre...
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Depuis qu’il était arrivé dans ce misérable hôtel de plage, il se répétait cela : il était libre, physiquement libre. Il était entièrement et physiquement libre… Il était entier.
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Édouard Manet (1832-1883) : Nuits magnétiques par Jean Daive (1983 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 8 juin 1983. Peinture : Édouard Manet, "Autoportrait à la palette", 1879. Par Jean Daive. Réalisation Pamela Doussaud. Avec Philippe Lacoue-Labarthe (critique, philosophe, écrivain), Dominique Fourcade (écrivain), Marcelin Pleynet (écrivain, critique d'art), Jean-Pierre Bertrand (artiste peintre), Joerg Ortner (graveur, peintre), Jean-Michel Alberola (artiste), Constantin Byzantios (peintre), Isabelle Monod-Fontaine (conservatrice au musée Georges Pompidou) et Françoise Cachin (conservatrice au musée d'Orsay). Lectures de Jean Daive. Édouard Manet, né le 23 janvier 1832 à Paris et mort le 30 avril 1883 dans la même ville, est un peintre et graveur français majeur de la fin du XIXe siècle. Précurseur de la peinture moderne qu'il affranchit de l'académisme, Édouard Manet est à tort considéré comme l'un des pères de l'impressionnisme : il s'en distingue en effet par une facture soucieuse du réel qui n'utilise pas (ou peu) les nouvelles techniques de la couleur et le traitement particulier de la lumière. Il s'en rapproche cependant par certains thèmes récurrents comme les portraits, les paysages marins, la vie parisienne ou encore les natures mortes, tout en peignant de façon personnelle, dans une première période, des scènes de genre : sujets espagnols notamment d'après Vélasquez et odalisques d'après Le Titien. Il refuse de suivre des études de droit et il échoue à la carrière d'officier de marine militaire. Le jeune Manet entre en 1850 à l'atelier du peintre Thomas Couture où il effectue sa formation de peintre, le quittant en 1856. En 1860, il présente ses premières toiles, parmi lesquelles le "Portrait de M. et Mme Auguste Manet". Ses tableaux suivants, "Lola de Valence", "La Femme veuve", "Combat de taureau", "Le Déjeuner sur l'herbe" ou "Olympia", font scandale. Manet est rejeté des expositions officielles, et joue un rôle de premier plan dans la « bohème élégante ». Il y fréquente des artistes qui l'admirent comme Henri Fantin-Latour ou Edgar Degas et des hommes de lettres comme le poète Charles Baudelaire ou le romancier Émile Zola dont il peint un portrait : "Portrait d'Émile Zola". Zola a pris activement la défense du peintre au moment où la presse et les critiques s'acharnaient sur "Olympia". À cette époque, il peint "Le Joueur de fifre" (1866), le sujet historique de "L'Exécution de Maximilien" (1867) inspiré de la gravure de Francisco de Goya. Son œuvre comprend des marines comme "Clair de lune sur le port de Boulogne" (1869) ou des courses : "Les Courses à Longchamp" en 1864 qui valent au peintre un début de reconnaissance. Après la guerre franco-allemande de 1870 à laquelle il participe, Manet soutient les impressionnistes parmi lesquels il a des amis proches comme Claude Monet, Auguste Renoir ou Berthe Morisot qui devient sa belle-sœur et dont sera remarqué le célèbre portrait, parmi ceux qu'il fera d'elle, "Berthe Morisot au bouquet de violettes" (1872). À leur contact, il délaisse en partie la peinture d'atelier pour la peinture en plein air à Argenteuil et Gennevilliers, où il possède une maison. Sa palette s'éclaircit comme en témoigne "Argenteuil" de 1874. Il conserve cependant son approche personnelle faite de composition soignée et soucieuse du réel, et continue à peindre de nombreux sujets, en particulier des lieux de loisirs comme "Au Café" (1878), "La Serveuse de Bocks" (1879) et sa dernière grande toile, "Un bar aux Folies Bergère" (1881-1882), mais aussi le monde des humbles avec "Paveurs de la Rue Mosnier" ou des autoportraits ("Autoportrait à la palette", 1879). Manet parvient à donner des lettres de noblesse aux natures mortes, genre qui occupait jusque-là dans la peinture une place décorative, secondaire. Vers la fin de sa vie (1880-1883) il s'attache à représenter fleurs, fruits et légumes en leur appliquant des accords de couleur dissonants, à l'époque où la couleur pure mourait, ce qu'André Malraux est un des premiers à souligner dans "Les Voix du silence". Le plus représentatif de cette évolution est "L'Asperge" qui témoigne de sa faculté à dépasser toutes les conventions. Manet multiplie aussi les portraits de femmes ("Nana", "La Blonde aux seins nus", "Berthe Morisot") ou d'hommes qui font partie de son entourage (Stéphane Mallarmé, Théodore Duret, Georges Clemenceau, Marcellin Desboutin, Émile Zola, Henri Rochefort).
Sources : France Culture et Wikipédia
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