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4,3

sur 2090 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Ayant quitté son travail d'éducateur pour suivre sa compagne en Bretagne, Joseph Ponthus devient travailleur intérimaire dans l'industrie qui recrute dans la région : l'agro-alimentaire, les usines de poissons, crustacés, coquillages, les abattoirs. Les journées sont longues, harassantes, mettant le corps et l'esprit à rude épreuve. Pour tromper son cerveau et lui donner l'illusion que le temps passe plus vite, il chante comme ses collègues, convoque les souvenirs d'auteurs qu'il a lu, écrit mentalement des textes. Avec ces textes, il décide de donner à voir la beauté de l'usine. Et c'est vrai que de la beauté se dégage de ces feuillets d'usine, dans la cadence de la langue, dans ces phrases sans ponctuation (la ligne de production ne s'arrête jamais) et posées à la ligne, comme on travaille à la chaîne.
L'auteur a trouvé un équilibre très juste entre littérature et témoignage réussissant à raconter la réalité de la condition des intérimaires en usine agro-alimentaire tout en y insufflant de la poésie et aussi des notes d'humour et de légèreté. C'est cette équilibre qui donne toute sa force et sa limpidité à ce texte que j'aurai aimé lire plus tôt pour mieux comprendre. Dans la tête de ce poète-ouvrier, les mots semblent alors le moyen de casser la monotonie de la ligne, de résister à l'anesthésie de l'esprit qui n'apaise en rien la douleur du corps.
Mon coup de cœur de ce début d'année.
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Joseph Ponthus né en 1978 à Reims est décédé en 2021 à Lorient.
Le sujet du livre, la condition ouvrière au XXI ème siècle, n'est pas original mais sa forme l'est. A la ligne est un long poème en vers libres, sans ponctuation. Cette forme traduit les cadences du travail et l'absence de pauses dans les lignes de production dans l'agroalimentaire. L'auteur consigne sous forme d'un journal de 66 chapitres son expérience de deux ans d'intérimaire en Bretagne. Il travaille dans des conserveries de poissons et dans des abattoirs. Ce témoignage de l'intérieur sur une longue durée est particulièrement précieux.
Pour l'auteur, les intérimaires du XXIème siècle sont « l'armée de réserve » dont parle Karl Marx, des anonymes qui ne valent que par leurs bras, soumis à un patron tout puissant. le livret de suivi est particulièrement infantilisant. Dans l'agroalimentaire, les intérimaires font un travail de forçat mais paradoxalement l'auteur, un intellectuel, tient le coup et magnifie les tâches en leur donnant une signification. Il s'approprie à chaque fois son usine. Dans une langue épure Joseph Ponthus raconte les tâches dans leur plus banale nudité. Il dit la primauté du temps dans la vie de l'ouvrier : l'attente de la débauche, du week end, de la paie, des retrouvailles avec son épouse. le narrateur supporte la pénibilité de la vie à l'usine parce qu'il a fait des études et qu'il écrit. La culture est son arme. Et A la ligne est un texte très riche. Tout au long du témoignage, le narrateur-auteur convoque les mythes. Lorsqu'il est à l'abattoir, le sang lui rappelle la Grande Boucherie de la guerre de tranchées et il compare les ouvriers aux gueules cassées d'Otto Dix. Son texte est ainsi truffé de références littéraires et historiques.
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Un lettré chez les OS. Premier roman de Joseph Ponthus. Ouvrage original car il est rare qu’un diplômé de littérature devenu chômeur s’immerge dans le monde ouvrier pour le décrire. Grâce à ses références ( Dumas, Apollinaire, Trenet etc...) il peut stigmatiser le travail à la chaîne des usines agro-alimentaires. La description de l’égouttage du tofu est à cet égard un grand et pathétique moment. Cet anarcho-gaucho courageux qui préfère travailler la nuit et le froid plutôt que de pointer au chômage, reste critique par rapport aux syndicats (« Les dépoteurs / C𠆞st comme les ouvriers du livre CGT/ Seuls/ Un peu planqués/ Avec des avantages considérables/ Par rapport au reste des ouvriers de l’usine”). À côté de l𠆚liénation de ce travail alimentaire, il sait tirer un trait et passer de la ligne de sa chaîne de crevettes congelées à celle de sa vie privée, et retrouver le bonheur de la côte bretonne auprès de sa femme et de son chien. Dommage qu’à la fin du livre il dépoétise son combat avec le mouvement écologique discutable sur la ZAC de Notre Dame des Landes. Un très beau livre percutant en vers libres à la Prévert. Après votre lecture, vous ne mangerez pas les bulots ou la tête de veau avec le même saveur!
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Une très belle découverte, un récit original.
L'auteur est éducateur spécialisé, dans la région parisienne, il a du travail mais lorsqu'il décide de suivre sa femme en Bretagne, là il se retrouve au chômage. Alors, prêt à tout pour gagner sa vie, il s'inscrit dans une agence d'intérim et va travailler dans des usines. Il s'agit de conserverie puis de l'abattoir, à un moment aussi il reconditionne du tofu.
C'est le récit de ces expériences, il raconte la fatigue extrême du corps (fatigué à en pleurer le soir et à ne même plus pouvoir sortir le chien), les gestes répétitifs et douloureux, la longueur des journées, le temps qui semble interminable, les pauses cigarettes tellement appréciées, les relations entre collègues. Il évoque le statut d'intérimaire, le fait de ne même pas savoir si on travaillera le lendemain, les horaires décalés qui empêchent d'avoir une vie sociale normale. le fait d'avoir une riche vie intérieure et culture l'aide à tenir, il se récite des poèmes ou chante pour passer le temps.
L'écriture est originale : pas de ponctuation, des phrases découpées qui scandent le rythme des chaînes en usine.
Un récit très fort, un hommage aux ouvriers, un texte qui fait réfléchir. Pas de pathos ni de plaintes, une autre chose que j'ai appréciée.

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Joseph Ponthus était éducateur spécialisé en banlieue parisienne.
Il a tout quitté par amour pour se marier en Bretagne.
" Je n'ai pas trouvé de travail. J'ai poussé la porte des agences d'intérim et ça a commencé comme ça.....On ne peut effectivement pas raconter l'usine "
( Interview du 27 02 2019 )
https://www.babelio.com/auteur/Joseph-Ponthus/458535
A la ligne restera donc le 1er et seul livre de Joseph Ponthus puisqu'il est décédé il y a tout juste un an..
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Qu'est devenue la classe ouvrière ? Et parle t'on encore de classe et qui plus est de lutte des classes ? du travail à la chaine ? Joseph Ponthus y répond, le vocabulaire change mais la réalité de la condition ouvrière reste toujours la même. Éducateur spécialisé dans la région parisienne, Joseph s'exile en Bretagne pour suivre, par amour, sa compagne mais la réalité qu'il découvre le plonge, pour survivre dans le seul secteur qui recrute : les conserveries de poissons et les abattoirs. A la différence de Robert Linhart dans l'établi, ce sociologue embauché dans les usines Citroën pour décrire de l'intérieur la condition ouvrière à la fin des années soixante, pour Joseph Ponthus, il est question de survie. Cet ouvrage, très curieux dans sa forme, se lit comme un long poème. C'est pour tenir qu'il écrit tous les soirs en rentrant du travail, c'est pour tenir qu'il se récite les vers d'Apollinaire ou qu'il chante du Trenet, pour que les heures passent plus vite. Lentement passent les heures comme passe un enterrement, un vers d'Apollinaire qui aurait eu sa place dans ce livre. Son passage dans la Grande Librairie que j'ai vu en replay m'a éclairé sur ce style si déroutant, il y explique qu'il ne peut faire de beaux paragraphes, de belles phrases bien construites car ce n'est pas ainsi que l'on pense sur une ligne de production. Il écrit donc comme il pense au travail.
C'est à la suite de la critique de CCendrillon que j'avais repéré cet ouvrage. Qu'elle en soit ici remerciée.
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A la ligne est un récit sans pause, sans respiration. Sans plainte. Un témoignage d'un homme qui ne s'attarde pas sur ce qu'il pourrait faire d'autre. Un rude expérience de travail à la chaîne moderne. L'intérim. Ce n est pas larmoyant, c'est dit. On se demande quoi en faire quand on a tourné la dernière page. le sentiment que le travail à la chaîne pourrait nous avaler. Avec calme, l'auteur pousse un cri.
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Mais comment peut-on, chaque jour, dévorer à 65 millions de personnes une quarantaine de tonnes de crevettes décortiquées et mises sous cellophane ainsi que dix mille « couronnes de crevettes apéritif » ? C'est la question quasi-existentielle que se pose Joseph Ponthus, l'auteur champenois exilé en Bretagne pour cause d'amour et employé « à la ligne » pour cause alimentaire, vu sa difficulté à trouver un emploi dans ce qu'il sait faire : l'encadrement de jeunes en difficultés (comme si on n'avait pas besoin de ce types de compétences, dans nos écoles, CCAS et autres centres de vacances!).

Joseph, pour vivre, est décortiqueur de crevettes,, trieur de poissons, dépoteur de chimères (je l'aime bien celui-là, cela signifie videur de caisses de poissons nommés ainsi), pousseur de carcasses en abattoir, pelleteur de bulots, égoutteur de tofu. Vous imaginez, quand, avant orientation, on demande aux collégiens de citer tous les métiers qu'ils connaissent, comment on pourrait enrichir leur liste et leur ouvrir des horizons ?

Comme dans un remake puant des Temps Modernes avec Chaplin, on assiste, désolés et horrifiés aussi, à la déshumanisation du travail, à la toute- puissance imbécile et aveugle du profit, au traitement nauséabond et insensible des animaux qui vont nous nourrir.

J'allais terminer ce roman - croyais-je - en dînant tranquille dans un restaurant avant d'assister à une comédie de Shakespeare. L'arrivée du menu m'a donné une sorte de haut-le-coeur : repas végé ce soir !

Toute notre sympathie va à l'auteur et aux centaines de milliers de ses collègues, embarqués dans la même galère, surtout à ceux qui n'ont même plus d'états d'âme, parce qu'il faut bien manger et payer ses factures.

J'ai aimé la langue, répétitive et incantatoire comme la scie qui tourne sans fin (sans faim?) dans la tête de Joseph. Un roman qui n'en est pas vraiment un, un livre utile, un morceau de musique intérieure. A lire.
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Je cherchais à me souvenir de cette chose essentielle qui parfois nous reste après la lecture d'un livre.
Avec "A la ligne, feuillets d'usine", je revois des quartiers de boeufs suspendus à des rails, du sang, des ouvriers sans visage qui s'éreintent après de pesantes carcasses d'animaux. Une sorte de monde souterrain, invisible aux mortels. L'autre côté de la peau duveteuse des vaches, celui de la chair et de la mort.
Comme le parfait envers de ces jolis tableaux bucoliques bretons que nous proposent les premières pages des guides touristiques, ça ressemble à un purgatoire, une antichambre-froide des enfers comme l'aurait peinte Jérôme Bosch.
Là, on y découvre que les forçats des abattoirs sont des êtres humains avec leur courage résigné, leurs difficultés partagées, leurs blessures, leur médiocrité parfois. Tout ploie sous la charge incommensurable du travail, au rythme imposé par une machinerie aveugle et sourde. Ponthus évoque Marx, j'ai pensé à l'Animal Laborans d'Hannah Arendt et la condition de l'homme moderne.
Le monde des ouvriers intérimaires y est décrit de la façon la plus crue et la plus brutale. Cette brutalité des mots semble venir naturellement à cet ancien étudiant en littérature.
Pourtant, de cet univers violent émane une force sublime. Pas celle de la révolte, ici on n'imagine toujours pas Sisyphe heureux. Mais dans cet intolérable asservissement on décèle ce qu'est la formidable résilience humaine, sa capacité à tout supporter.
Un hommage rendu à ceux qui supportent dans l'ombre, à notre place, le poids du décors de notre société moderne.
Merci à Joseph Ponthus pour cette tranche d'humanité, pas toujours belle, mais vraie.
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Son autre Je est je de mots

La ligne, c'est la chaîne de production. C'est la dure réalité du travail dans deux usines bretonnes de l'industrie alimentaire : d'abord une entreprise produisant des produits de la mer conditionnés pour la consommation, puis un abattoir pour le gros bétail. Dans ces deux usines, Joseph Ponthus a dû "gagner sa vie", parce qu'il ne trouvait pas d'emploi correspondant à ses capacités d'éduc spé, parce qu'il avait dû "chercher fortune" dans une agence d'interim, en Bretagne où il a émigré pour vivre avec sa chérie.

La ligne, c'est aussi l'enchaînement des mots écrits que J.P chérit, lui qui les a d'abord pratiqués en hypokhâgne, khâgne et fac de lettres avant de devenir éduc, dans sa moselle natale.
Et les mots, vraiment, il s'en délecte, on le sent ô combien !
Il a décidé de mettre à profit son amour du verbe pour dire le quotidien si souvent inhumain du travail industriel auquel il lui faut se mesurer, le quotidien des "derniers de cordée" au milieu desquels il trouve sa place de travailleur éclairé, épuisé mais décidément forcené.

Ponthus signe un livre lumineux de solidarité, de lucidité, de ferveur-ardeur à vivre malgré tout.
Un livre où l'Amour passe à travers les mailles du profit aveugle. Un livre magnifique !

Un seule petite réserve pour moi, qui n'enlève que peu de chose je crois à ma démarche d'admirateur : dans ce poignant cri du coeur manque un peu d'empathie pour les animaux, leur souffrance dans les abattoirs n'est pas assez pointée du doigt.
Mais c'est presque un autre sujet, même si ça enlève à ma note, disons, une demi étoile...
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