Très bon moment de lecture, mais au final, et mis à part le plaisir intense, l'éditeur fait bien de préciser qu'il s'agit d'un roman d'investigation.
L'analyse et ses conclusions sont cohérentes, c'est très bien documenté, c'est passionnant, mais la théorie de la revenante me semble toutefois interrogée par l'ombre de la femme qui s'étale sur le lit derrière elle : les revenants n'ont pas d'ombre puis qu'ils sont immatériels et ne font pas obstacle à la lumière. van Eyck ne pouvait l'ignorer.
Postel considère d'autre part significatif que les personnages aient une taille disproportionnée par rapport au décor, mais tous
les primitifs flamands, qui pratiquent une perspective intuitive, adoptent des points de distance extrêmement rapprochés qui donnent l'impression de surplomber le premier plan ; la perspective de leurs intérieurs est "outrée", ce qui a pour effet de grossir le premier plan et d'éloigner le second. Je suis surpris que l'auteur, qui semble par ailleurs bien connaître leur peinture, n'ait pas remarqué ça.
D'autres remarques me semblent aussi un peu aléatoires : la fraîcheur de la boue sur les socques dont il conclut que l'homme vient de rentrer... Il ne note pas non plus, mais cela ne ferait par contre que confirmer sa proposition selon laquelle l'extérieur symbolise le Paradis et, plus généralement, la nécessité d'une lecture symbolique, que la croisée de la fenêtre forme une Croix : il faut en passer par la Croix, ou au moins par le Christ, pour accéder au Paradis. On rencontre le même motif symbolique chez le Maître de Flémalle. Enfin, Postel me semble tirer des conclusions un peu rapides des ressemblances entre les visages féminins : on peint alors souvent des "types", pas très individualisés, le genre du portrait émerge à peine.
Malgré ces détails, la lecture est très séduisante et très enrichissante. C'est un livre difficile à refermer avant de l'avoir terminé, et j'ai appris plein de choses. Leçons d'humilité et de méthodologie aussi, et elles sont toujours bonnes à prendre : je croyais très bien connaître le tableau, notamment pour avoir lu ce qu'en écrit
Panofsky, et j'étais un grand ignorant. D'autre part, Postel me rappelle qu'il faut toujours regarder encore et encore, inlassablement et en changeant de point de vue, si l'on a quelque prétention à traverser 'l'écran de la représentation". Un grand merci à lui, et à sa messagère ("angelos"), ALIAS vb.