Il y a de ces romans qui proposent de vrais instants de grâce, qui offrent au lecteur l'expérience d'un temps suspendu. Un automne avec
Flaubert est l'un de ces livres, malgré son apparente simplicité, ici, l'évocation mélancolique d'un monstre sacré de la littérature.
1875,
Flaubert pense être un homme fini. Sa pièce de théâtre est un échec, il est en proie à la sourde inquiétude de la faillite de son neveu par alliance, époux de sa chère nièce Caroline, une espèce rare de froideur et d'indifférence, ou une stoïcienne accomplie. La sauver de la ruine implique de vendre la ferme qui lui rapporte des rentes annuelles qui lui permettent de vivre confortablement. Pire, sa nièce pourrait vendre le domaine de
Croisset, refuge chéri de l'écrivain normand.
Aux inquiétudes financières s'ajoute aussi le poids du temps qui passe. La vieillesse apporte son lot de soucis de santé, et de morts. Ses amis les plus proches sont décédés, Bouilhet, Gautier, Feydeau, leur absence rend sa vie bien ennuyeuse. Il ne supporte plus la médiocrité ambiante de la société, si celle-ci a fait son succès, elle a fini par l'asphyxier de trop de présence. Et elle semble même gagner les plus grands, à l'image de ce repas décevant chez
Victor Hugo, où le sage fait preuve d'une bêtise littéraire impardonnable. La solitude pèse sur
Flaubert et invite à la mélancolie. Et le voilà même doutant de sa capacité à modeler des phrases percutantes, précises comme le mécanisme délicat d'une horloge. Il en a délaissé son oeuvre,
Bouvard et Pécuchet, dans laquelle il moque la vanité et la médiocrité de ses contemporains ignares.
Aiguillé par la tendresse de
George Sand qui lui suggère de se changer les idées, Gustave part pour Concarneau, il a le projet de profiter de la présence de
Georges Pouchet, naturaliste et anatomiste, dont le père avait travaillé avec celui de
Flaubert. Là-bas, en pension dans une auberge qui lui prépare chaque jour des repas pantagruéliques qui pansent ses vagues à l'âme, il promène sa lourde carcasse abîmée sur les plages bretonnes et goûte au plaisir simple du bain de mer. L'après-midi est consacrée à son ami, Pouchet, directeur du laboratoire maritime de Concarneau, qui l'invite à assister à ses nombreuses dissections de poissons et autres mollusques.
Entre les souvenirs d'une enfance heureuse, bien que
Flaubert admette être l'enfant qui a déçu les ambitions de son père, et les discussions nourries de sciences et de lettres,
Flaubert retrouve l'inspiration. Les multiples dissections de Georges font naître l'image d'un enfant cruel, qui se perd dans la contemplation de la mort, qui connaît le plaisir de la donner. le soir, penché sur sa table, dans sa chambre où flotte l'odeur des sardines qui vient du port, les premiers mots de «
La légende de Saint Julien l'Hospitalier » surgissent. Petit miracle de la création, qui nous donne à voir la difficile mais fascinante conception d'une phrase, taillée comme un diamant, trouver le mot juste, l'adjectif efficace, le verbe haut, la formule percutante, la sonorité omniprésente et essentielle. Processus créatif minutieux et délicat, émouvant dans un certain sens.
D'une écriture ciselée, émaillée de citations reprises des correspondances de l'écrivain,
Alexandre Postel a su incarner, dans son court roman, un
Gustave Flaubert étonnamment vivant. Il nous donne à voir un écrivain épuisé, harassé par des soucis financiers et un monde dont la médiocrité l'assaille. La mélancolie y est latente, et l'on ressent la lancinante lassitude de
Flaubert qui semble traîner sa carcasse comme un poids incommensurable sur les plages bretonnes. Puis, l'inspiration revient, le goût d'écrire se fait plus présent, presque insistant, et chasse les brumes de la mélancolie. Et le lecteur assiste au spectacle unique de la création littéraire et à la renaissance d'un colosse.
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