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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Marcel Proust fait partie de cette famille d'écrivains convaincus que l'on écrit toujours et invariablement le même livre. «Ce livre essentiel – déclare-t-il dans «Contre Sainte-Beuve» - que l'écrivain n'a pas, dans le sens courant, à inventer, puisqu'il existe déjà en chacun de nous».

Et nous, en tant que lecteurs, lirions-nous, malgré leur apparente diversité, toujours un même livre préexistant en chacun de nous et que nous aurions néanmoins omis d'écrire? Et puis, dans quelle mesure, après les avoir parcourus, n'en écririons-nous peut-être toujours une seule et même chronique de lecture? Personnellement, j'aime penser que cette hypothèse serait plausible.

Ce drôle de sentiment, qu'on aura par intermittence (ah, ces intermittences du coeur...!) éprouvé ou pas dans nos vies de lecteurs et/ou chroniqueurs, qu'il peut en revanche sembler évident quand il s'agit de «À la Recherche du Temps Perdu» et des impressions de lecture qu'on se proposerait éventuellement d'écrire à la fin de chaque volume parcouru! (Si bien que je me demande si finalement je n'aurais mieux fait d'avoir terminé le cycle romanesque complet avant de me mettre à rédiger ma [seule, unique et même] chronique!!)

D'emblée déjà, à mon avis, se pose à tout chroniqueur téméraire s'aventurant à vouloir «saucissonner» l'oeuvre, le défi herculéen de pouvoir trancher dans le tas d'un tel enchevêtrement d'instants qui ont chacun l'air de s'étirer indéfiniment, formant une suite de tableaux à la temporalité gigogne qu'on n'arrête pas de remboîter les uns dans les autres, habillés en même temps dans un luxe de détails parmi lesquels il arrive assez régulièrement qu'on égare momentanément son stylet aiguisé de lecteur : comment dès lors procéder à une «coupe» quelconque, «transversale» (ou même longitudinale, d'ailleurs…) analytique et critique, à la fin de chaque volume du cycle, sans avoir l'impression que cette dernière se révélerait non seulement arbitraire, réductrice, mais fondamentalement partielle et artificielle?

D'autre part - en tout cas au point où j'en suis de ma lecture, à la fin de ce troisième «volume»-, je me demande comment positionner le curseur des réminiscences du Narrateur sans revenir sur celui des précédents tomes, dans lesquels, certains souvenirs fondateurs qu'il revisite en ce moment, il se les remémorait plus jeune, mais aussi sur celui des réminiscences encore à venir dont la couleur est d'ores et déjà annoncée, suffisamment en filigrane en tout cas pour que le lecteur finisse à un moment ou un autre par soupçonner que ce temps de l'imparfait du subjonctif qui règne en apparence dans « La Recherche » servirait en réalité à dissimuler un futur du passé, insaisissable et furtif, mais néanmoins souverain, seul véritable ciment grammatical soutenant son édification.

Avec la publication et la renommée mondiale acquise par l'oeuvre, Proust aura en quelque sorte préparé le terrain à l'éclosion de ce fantasme souvent caressé par la littérature contemporaine (voire «expérimenté» parfois, avec plus ou moins de succès, par certains auteurs post-modernes), celui d'écrire une roman composé d'une seule et unique phrase!
Un roman dans lequel, en somme, les heures fugitives de notre existence, qui sont la plupart du temps affadies, déjà éparpillées au moment même où elles sonnent à nos sens accaparés par une foule de stimuli à décrypter, par le travail immatériel d'orchestration de l'écriture, par la beauté de la langue susceptible de les rassembler enfin en une harmonie tant rêvée, deviendraient les notes de cette partition unique, en un seul acte, qu'on souhaiterait tous pouvoir jouer devant nous au moins une fois avant de quitter définitivement la scène.

«Est-ce parce que nous ne revivons pas nos années dans leur suite continue, jour par jour, mais dans le souvenir figé dans la fraîcheur ou l'insolation d'une matinée ou d'un soir, recevant l'ombre de tel site isolé, enclos, immobile, arrêté et perdu, loin de tout le reste (…) [que] si nous revivons un autre souvenir prélevé sur une année différente, nous trouvons entre eux, dues à des lacunes, à d'immenses pans d'oubli, comme l'abîme d'une différence d'altitude, comme l'incompatibilité de deux qualités incomparables d'atmosphère respirée et de colorations ambiantes?»

Enfin, last but not least, après en avoir parcouru plus de deux mille pages comme moi, le lecteur pourra éventuellement, comme c'est mon cas aussi, garder toujours cette sensation diffuse que, paradoxalement, depuis l'enfance du narrateur à Combray, jusqu'aux salons les plus prestigieux du «faubourg St Germain» dont la mécanique sera, comme pour le reste, encore une fois minutieusement disséquée dans le présent volume, rien ne s'est passé en définitive, très peu en tout cas, dans un cycle romanesque qui serait comme dépourvu «d'intrigue romanesque» dans le sens premier du mot ; dans lequel, extérieurement, aucun fait, en dehors d'évènements banals et contingents, aucune action ou péripétie exceptionnelles ne peuvent être véritablement mises en avant, et intérieurement, en revanche, comme si aucun «abîme» ou «différence d'altitude» n'avait séparé une époque de l'autre…

L'histoire n'existe en tant que telle, a-t-on alors le sentiment, que parce que le Narrateur se souvient de lui-même devant cette «old same story» qui, indépendamment des époques et des milieux, est la même pour tous, l'apanage de tous les humains, qu'ils soient nobles ou bourgeois, paysans ou ouvriers.

La réminiscence en soi, sans aucune hiérarchie narrative classique ou prédéterminée, avec les pensées et les sensations qu'elle fait émerger, serait le vrai objet du récit, plutôt que des faits vécus dans une succession chronologique raisonnée, ou dans une rapport d'importance ou de grandeur purement rationnels (c'est ainsi par exemple, qu'à cette époque «du côté de Guermantes» on ne saura pas grand-chose sur les véritables motivations ou difficultés à écrire que rencontrait alors notre jeune Narrateur basculant dans l'âge adulte, thème occupant, concrètement, une place infinitésimale à côté de celle, immense, de deux réunions mondaines dont la description détaillée remplit plus d'un tiers du roman !!)

(Et en relisant ce que je viens d'écrire, je me sens de mon côté de plus en plus incapable d'en extraire et déterminer avec certitude ce qui y serait fondamental par rapport au provisoire, subsidiaire et accessoire par rapport à l'essentiel, ou simple surface par rapport au fond !!)

«Nous ne profitons guère de notre vie, nous laissons inachevées dans les crépuscules d'été ou les nuits précoces de l'hiver les heures où il nous avait semblé qu'eût pu pourtant être enfermé un peu de paix ou de plaisir.»

Et n'entendons-nous pas, nous aussi, nous exclamer quelquefois : «Le temps est passé et je n'ai rien vu arriver»... !

Aussi, quand par moments nous revient-il, ce n'est pas parfois sans un certain étonnement qu'au gré de nos associations, tombant, par exemple, sur l'image des chaussettes dépareillées d'un des pianistes les plus virtuoses de son temps que, des années auparavant, l'on avait entraperçues sous son instrument lorsque nous avions eu la chance d'assister à l'un des derniers concerts qu'il avait donnés de son vivant, image remontant soudain dans notre esprit avec une netteté parfaite, nous devrons ensuite faire un effort considérable, avec plus au moins de succès, pour ne retrouver en fin de compte que quelques titres des sublimes morceaux choisis qu'il avait exécutés ce soir-là…

C'est en fin de compte dans cette puissance mystérieusement aléatoire d'évocation, servie par la divine beauté suspensive dont la langue de Proust sait se parer, que résiderait essentiellement, à mon avis, la fascination intense que l'oeuvre peut exercer sur nous, mais qui, cependant, chez d'autres lecteurs, l'ayant recherchée au contraire, et à tort me semble-t-il, dans une intrigue quelconque, quasiment inexistante en l'occurrence, se sera vu muée en rejet pur et simple.
C'est elle, par exemple, qui permet au Narrateur la possibilité de revivre enfin pleinement les sensations qui, à une autre époque, cette autre langue, la sienne propre, effleurant alors concrètement pour la première fois la joue d'une Albertine enfin consentante, n'avait pu y goûter aucune saveur particulière, obstruée sur le champ, et privée qu'elle était en même temps d'une aide supplémentaire de l'odorat, par un nez écrasé contre l'épiderme, ainsi que de ses yeux obnubilés de leur côté par la vision trop rapprochée de son grain ; ou encore de faire remonter depuis ses émotions engourdies et dans l'absence de larmes au moment de l'agonie et du décès de sa grand-mère, cette image sublime, inaltérable face à la mort, (et en même temps peut-être curieusement familière et proche pour un certain nombre d'entre nous, ses lecteurs), celle d'un «visage redevenu jeune, d'où avait disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que depuis tant d'années, lui avait ajoutés la souffrance (…) les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d'une chaste espérance, d'un rêve de bonheur, même d'une innocente gaité, que les années avaient peu à peu détruits. La vie se retirant venait d'emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand-mère. Sur ce lit funèbre, la mort comme le sculpteur du Moyen-Âge, l'avait couchée sous l'apparence d'une jeune fille.»

À partir d'une temporalité toujours relative, décomposée en une infinitude de particules éparses dans l'esprit de son créateur, à partir de son histoire et de son expérience propre, de l'observation de la société de son époque, d'une quantité incalculable de notes de lecture, embrassant de très nombreux sujets sociétaux, domaines de connaissance et disciplines artistiques, l'auteur bâtit à coup d'une infinité de cahiers et de «paperoles» disséminées un peu partout dans ses brouillons (et qui feraient apparemment toujours tirer les cheveux à ses éditeurs posthumes !), de chapitres composés dans le désordre, de révisions interminables du contenu et de l'ordonnancement de ses manuscrits, un univers littéraire unique, extrêmement complexe à cerner, un hybride entre mémoire et imagination, monde fictionnel et réel, entre personnages de roman et figures historiques, entre fiction et autobiographie. Univers dont la reconstitution par le lecteur, au gré des réminiscences de son Narrateur, déclinées sur plusieurs milliers de pages et en sept volumes, pourrait à la limite se faire aussi dans le désordre, et sa lecture être entamée par n'importe laquelle de ses subdivisions ou chapitres, car l'artiste fragile et immense ne nous inviterait-il justement à abattre les cloisons entre ces mondes parallèles qui coexistent en chacun de nous, à effacer la distance entre ce qui fut et ce qui est, entre ce qui aurait dû être marquant et ce qui le fût vraiment, entre celui qu'on a oublié et celui qui s'en souvient ?

Si la «Recherche» ne fut pas écrite d'une seule et stratosphérique phrase, cette «vocation invisible» semble la traverser entièrement, aussi bien dans ses grands motifs narratifs parcourant en surface ses successifs tomes, que dans les moindres détours de ses innombrables digressions à l'intérieur de chacun : une seul et unique bloc temporel, ouvragé comme un sculpture de soi où l'artiste, travaillant la matière brute du souvenir, au fur à mesure de ses coups plus ou moins guidés, mais surtout au hasard des affleurements qu'il y provoquerait accidentellement, découvre ce qui ayant été toujours en lui et préexistant à son apprentissage du monde et à son intelligence des choses, il méconnaissait cependant jusque lors ...

Je me rends compte qu'au vu du format conseillé, je m'étends trop ici, et que je m'y égare (Proust, sortez de ce corps!)… Et que je n'ai même pas réussi à aborder l'univers de ce faubourg St-Germain qui pourtant semble accaparer quasi exclusivement l'intérêt de notre Narrateur dans ce volume, jeune adulte désormais, ni à évoquer les motifs de sa passion pour ce dernier, déclenchée au départ et incarnée longtemps par celle vouée à la Duchesse de Guermantes, ni surtout cet éternel renouvellement de sa fascination pour les noms de son enfance, la seule qui, en toutes circonstances, continue à faire fidèlement battre son coeur.

D'Oriane de Guermantes non plus, dont «l'esprit» plus que l'intelligence règne ici au coeur d'une aristocratie parisienne «fin de siècle» vivant sans le savoir encore ses derniers jours de gloire, et dont les portes des salons s'ouvrent et se referment sur des sésames distribués essentiellement à partir du rang de naissance, donnés exceptionnellement, sous certaines conditions, à quelques personnalités "sans naissance", souvent interchangeables, autorisées à intégrer provisoirement les différentes «coteries» qui la constituent. Je n'ai pas pu, enfin et enfin, évoquer toute la complexité et l'ambiguïté des sentiments du Narrateur (en parfaite symétrie, d'ailleurs, avec ceux de Proust, lui-même féru chroniqueur mondain dans Le Figaro à cette époque ), à la fois séduit par tout ce qui recèlerait potentiellement un monde dont (et peut-être aussi parce que) il se sent au départ exclu, et déçu par l'impression de médiocrité et de vacuité dégagée par les êtres en chair et en os qui l'habitent, et qu'il comparera entre autres à celle «de plate vulgarité que peut donner l'entrée dans le port danois d'Elseneur à tout lecteur enfiévré de Hamlet».

Mais qu'importe, n'est-ce pas ? J'aurais après tout probablement écrit dans le fond exactement la même chronique.

À suivre..?




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S'il fut parfois dit que Proust écrivit invariablement le même livre, il eût été peut-être porté à votre connaissance qu'un certain lecteur ordinaire, amateur d'écritures facétieuses, rédigea peut-être huit cents fois la même chronique en comptant celle-ci.
La même chronique parlant d'humanité, de vie, d'amour, de blessures forcément, un peu de soi aussi en espérant ne jamais oublier les autres...
Faut-il saucissonner l'oeuvre d'À la recherche du temps perdu qui est censé se poser d'un seul tenant ? La question a été souvent exprimée, notamment lorsque Proust reçut le prix Goncourt en 1919 pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs, précisément le second volume.
Cette question a été maintes fois posée, aussi vous délivrer comme cela un billet dédié sur ce troisième volume pourrait paraître incongru.
Mais je garde une image proustienne d'un voyage donnant une description de la vision de clochers au fur et à mesure que le narrateur s'en rapprochait dans le véhicule où il se trouvait, tandis que la perspective du point de vue s'en trouvait modifiée alors que le véhicule avançait.
Voir des clochers se déplacer selon le point de vue du narrateur, alors que c'est le narrateur qui se déplace dans un véhicule, cette approche m'a parue originale pour dire mon ressenti sur cet immense texte. Dans ce changement de perspective c'est le paysage qui bouge, c'est une inversion de la relativité des mouvements, le monde entier ressemble brusquement au théâtre d'une lanterne magique.
C'est tout simple pourtant, nous pouvons l'éprouver chaque jour, chaque fois que nous voyageons dans un mode de transport qui nous déplace. Nous voyons les perspectives se modifier lorsque nous voyageons dans un train, ou une voiture... J'ai ressenti cela, voyageant, me déplaçant dans l'univers d'À la recherche du temps perdu...
Voilà ce que nous montre Proust. Voilà ce que j'ai ressenti à l'approche de ces textes qu'on dira découpés...
Je mesure la difficulté pour ne pas dire l'aberration d'un tel exercice, mais me saisissant de cette image très riche qu'il m'est arrivé de vivre moi-même, je me demande, ne pourrait-on pas dire que nous voyageons dans cette oeuvre toujours autour du même sujet, ce fameux temps, mais en nous déplaçant chaque fois d'un texte à l'autre, peut-être que l'angle d'approche s'en trouve modifié. Nous changeons légèrement de point de vue à chaque fois comme un voyageur qui se déplace d'un endroit à un autre.
Et puis le chemin d'À la recherche du temps perdu est long, deux mille quatre cents pages dans la version Quarto de chez Gallimard que je possède. On ne sait jamais ce qui peut arriver de malheur à un lecteur parvenu à l'âge sage... Aussi voulant donner mon ressenti sans attendre, fragmenter me semble le mode opératoire idéal.
Le côté de Guermantes, c'est donc le troisième volet d'À la recherche du temps perdu, marqué par l'installation du narrateur et de sa famille dans un nouveau foyer, près de la demeure des Guermantes.
Le quotidien de notre héros se trouve rythmé par la vie de ses prestigieux voisins, qu'il ne tarde pas à côtoyer grâce à la bienveillance d'un certain Saint-Loup.
Je retrouve avec plaisir ce narrateur omniscient que je commence à connaître, -à force nous allons finir par devenir amis je le sais mais il faut encore être patient nous apprivoiser.
Mais ici j'avance forcément aux premières pages avec une forme de méfiance, le monde aristocratique, la vie mondaine, tout ceci n'étant pas du tout mon genre.
Je découvre que l'entrée dans le jeu de la vie mondaine s'accompagne chez le narrateur d'un éveil à la sensualité. Alors forcément c'est pour moi aussi un éveil, un rapprochement vers l'auteur.
Comme son titre l'indique, cet opus est centré sur la famille Guermantes. Les choses sont facilitées par le fait que la famille du narrateur emménage dans un appartement dépendant de l'hôtel où le duc et la duchesse de Guermantes résident une bonne partie de l'année. Fort du prestige que la duchesse de Guermantes revêt aux yeux du narrateur, celle-ci va nourrir une forme d'idéalisation et de fantasme chez celui-ci, dont tout le récit va se nourrir et s'enrichir. Il éprouve le désir de pénétrer dans cet univers pour mieux en saisir l'essence exceptionnelle.
Ici la femme, dans l'image de la duchesse de Guermantes devient source d'attirance, de mystère et d'admiration.
Il la voit, la croise, donnant une nouvelle matière à sa rêverie. À force de rêver sur le nom de Guermantes, le narrateur en vient à devenir amoureux de la duchesse. Il organise ses promenades, pour se trouver toujours sur son chemin. Mais tout ne se passe jamais tout à fait comme prévu, le narrateur ne se privant pas lors de multiples passages d'égratigner ce monde vain, sa futilité...
Dire que ce volume parle d'aristocratie n'est pas faux, mais n'est pas non plus tout à fait exact. Disons que l'essentiel n'est pas à cet endroit.
Amour de tête sans doute, il n'en demeure pas moins que le narrateur est vraiment épris de la duchesse. Il va solliciter son nouvel ami Sant-Loup pour lui demander d'intervenir en sa faveur, étant donné qu'il est neveu du duc.
Le prétexte est trouvé : la volonté de voir les tableaux d'Elstir que possèdent les Guermantes. Chouette !
Ici, peut-être plus que jamais j'ai senti qu'entrer dans l'univers de Proust, c'était entrer dans un espace-temps. Bien sûr chez Proust, comme dans nos vies, il y a toujours une distance, reste à voir à quel endroit on la pose. Distance dans l'espace ? Dans le temps ?
Est-ce là la seule dichotomie d'ailleurs, ce désaccord entre nos impressions et nos expressions habituelles ?
La distance est la source de toute souffrance, distance entre l'enfant et la mère que ne cesse de raconter le narrateur, c'est une malédiction, une béance infinie, la compréhension de notre finitude, celle qui dit que nous sommes mortels, que le temps a beau être élastique, un jour l'élastique finit par casser... Forcément, j'ai pensé à mon enfance, j'ai pensé à ce temps où j'étais déjà un jeune adulte et où ma mère devint veuve lorsque mon père vint à mourir et lorsque ma mère me happa dans sa souffrance, m'invitant, me convoquant presque à redevenir l'enfant que je n'étais plus mais qu'elle voulait que je redevienne... Proust me dit cela, ma souffrance, celle de ma mère aussi. Il me dit cela lorsqu'il évoque sa grand-mère qui va mourir...
L'éclipse de la perspective fait que le lointain devient proche, mais l'inverse aussi et c'est douloureux car l'instant est déjà un futur en construction, un souvenir arrimé à la barque qui s'apprête à aller d'un rivage à un autre, d'un versant à un autre, le passé c'est peut-être déjà un oubli en partance pour qu'il ne revienne jamais....
La distance temporelle est un arrachement à soi-même.
La réponse pourrait être l'art, nous dit Proust, nous invitant ici à revenir vers l'atelier de chez Elstir.
L'art nous permet de goûter à l'éternité, ici et maintenant. L'ennui est lové à l'intérieur du temps, protégé du malheur.
L'espace, le temps, ici les deux lieux se rejoignent comme dans un kaléidoscope magique.
La joie, c'est d'accéder à l'éternité, mais il y a une autre joie qui consiste à se tenir à l'état pur dans l'immanence de l'instant.
Retenir le temps encore un peu dans nos doigts, c'est vouloir faire un seul noeud entre le passé et le présent, un seul lieu entre le lointain et le proche, c'est alors que l'artiste survient, l'écrivain, le peintre, le musicien, le lecteur par-dessus tout qui entre dans ce spectacle comme on entre dans un symphonie, c'est le triomphe, la joie consolatrice qui nous rassure de la séparation de l'enfant et de la mère tandis que le vide et la distance vont continuer à se creuser inexorablement...
Le temps serait-il plus docile que l'espace ? Proust s'en soucie guère ne voulant surtout pas dissocier l'un de l'autre et j'en ai pris conscience ici.
Proust renverse la table où gît le temps et l'espace, mélangeant l'un à l'autre dans ce désordre voulu.
Selon Proust, l'espace et le temps c'est la même chose, c'est une lumière qui varie dans un même prisme.
Il s'agit toujours d'un espace-temps, tout n'est qu'espace-temps, pour moi c'est une image qui me parle, très prégnante comme l'effet presque d'une hallucination, ne sachant pas ce que c'est vraiment une hallucination, mais l'imaginant quand même un peu.
L'art c'est le triomphe de la rencontre du temps et de l'espace dans cette béance, le triomphe sur cette béance angoissante.
À chaque instant, le temps retrouvé redevient réel, ce qui était distant devient proche.
Le texte semble venir en mouvement alors que c'est nous lecteur qui venons au texte en tournant les pages.
Tout tourne, toute est renversé. Tout revient.
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Le narrateur vit avec ses parents dans un appartement de l'hôtel particulier des Guermantes, dans le faubourg Saint Germain à Paris. Il tombe amoureux de la duchesse Oriane de Guermantes et recherche un moyen pour attirer son attention en la suivant tout comme il l'avait fait avec Gilberte dans « à l'ombre des jeunes filles en fleur ». Il rejoint son ami Robert de St Loup à Doncières où ce dernier est en poste dans une garnison. Il lui demande d'intervenir auprès de sa tante pour qu'il lui soit présenté. Il apprend que sa grand-mère est souffrante et rentre précipitamment à Paris où il retrouve Albertine qui cède à ses avances et s'offre à lui. St Loup qui l'avait accompagné, lui présente sa maîtresse qui n'est autre que Rachel, une cocotte qu'avait connu le narrateur. Il rencontre enfin la duchesse de Guermantes lors d'un salon que donne Mme de Villeparisis mais le charme n'opère plus. Sa grand-mère meurt d'une crises d'urémie. Il est invité par Palamède de Guermantes, baron de Charlus, frère du duc de Guermantes à passer le voir un soir. Il s'y rend après avoir passé la soirée chez les Guermantes. Charlus a une attitude déconcertante et ambigu envers le narrateur. de retour, il rencontre Swann dont il apprend qu'il est malade et condamné.
Des femmes, Proust à travers le narrateur les place haut dans la hiérarchie de ses personnages, de la plus humble à la plus noble, étrangère aperçue ou de sa propre famille. Elles ont le pouvoir de faire ou défaire les alliances, les réputations. Il leur voue un amour immatériel, désincarné en presque les divinisant. Il leur ôte tout aspect charnel pour en faire des êtres de lumière et d'ombre. Elles lui sont inaccessibles même quand elles finissent par s'offrir (Albertine) car il n'envisage pas d'avoir de relation sardanapalesque avec, et d'ailleurs, il entend la fréquentation d'un bordel comme un acte médical et non ludique. On ne peut imaginer l'auteur et son oeuvre sans elles.
Des salons, Proust en fait les lieux incontournables de la vie parisienne. C'est l'endroit où il faut être, où le paraître et le néant se propagent, se multiplient, se répandent, les égos coulent.
« Il savait que Mme de Guermantes avait, apanage précieux des femmes vraiment supérieures, ce qu'on appelle un « salon », c'est-à-dire ajoutait parfois aux gens de son monde quelque notabilité que venait de mettre en vue la découverte d'un remède ou la production d'un chef-d'oeuvre. le faubourg Saint-Germain restait encore sous l'impression d'avoir appris qu'à la réception pour le roi et la reine d'Angleterre, la duchesse n'avait pas craint de convier M. Detaille. Les femmes d'esprit du Faubourg se consolaient malaisément de n'avoir pas été invitées tant elles eussent été délicieusement intéressées d'approcher le génie étrange. »
Le voyage à travers « la recherche du temps perdu » n'est pas une simple lecture, c'est une exploration, car lire Proust c'est s'attarder sur tel ou tel passage, autrement l'oeuvre se rebelle, s'échappe.
Editions Gallimard, 546 pages.
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Voici venu le temps des rêves et des désirs, des lentes manoeuvres et des amitiés utiles pouvant entrouvrir la porte du paradis où règnent les Guermantes. Voici, enfin, un regard, un salut et un sourire tombé un soir d'opéra pour enflammer le coeur et l'esprit du jeune homme. le voici, à forces d'intrigues subtiles, élu entre mille, invité à côtoyer les « Immortels », et le voilà finalement, un soir terrible où toutes ses illusions se brisent sur des souliers noirs qui auraient dû être rouges et se fracassent sur un « grand et cher ami » qui ne pourra accompagner la duchesse en Sicile, au printemps prochain, parce que … « ma chère amie, c'est que je serai mort depuis plusieurs mois», et parce que cet ami Swann connaissant la valeur de ces amitiés, «savait que, pour les autres, leurs propres obligations mondaines priment la mort d'un ami et qu'il se mettait à leur place, grâce à sa politesse. »
C'est le roman des Illusions Perdues mais aussi du chagrin que lui cause la longue maladie de sa grand'mère et de sa mort, de l'irruption dans la vie sociale de l'Affaire Dreyfus, de l'aveuglement de l'amour (Saint-Loup est le pendant de Swann) mais aussi de Françoise, la cuisinière-gouvernante qui parle parfois comme La Bruyère, ce qui donne toujours lieu à des passages aussi drôles que réjouissants.
On y trouve des pages fascinantes sur l'utilisation du téléphone qui, si vous y prenez gare, vous feront envisager les appels à vos êtres chers sous un angle nouveau. Et toujours ces formules aussi inattendues que brillantes comme quand « s'avance le sommelier, aussi poussiéreux que ses bouteilles, bancroche et ébloui comme si, venant de la cave, il s'était tordu le pied avant de remonter au jour. »
Les pages sur la maladie de sa grand'mère chérie sont admirables ; elles n'épargnent pas les médecins dont les diagnostics aussi contradictoires que péremptoires ne parviennent pas, consultation terminée et verdict implacable posé (« votre grand'mère est perdue ») à masquer qu'ils ont d'autres chats à fouetter (« vous savez que je dîne chez le ministre du Commerce »). L'évolution de la maladie, les phases d'espoir succédant aux phases de découragement, tout cela parlera à qui l'a traversé, tout comme la solitude qui s'empare de celui qui a vraiment du chagrin : « Ce n'est pas que le duc de Guermantes fût mal élevé, au contraire. Mais il était de ces hommes incapables de se mettre à la place des autres, de ces hommes ressemblant en cela à la plupart des médecins et aux croque-morts, et qui, après avoir pris une figure de circonstance et dit : «Ce sont des instants très pénibles », vous avoir au besoin embrassé et conseillé le repos, ne considèrent plus une agonie ou un enterrement que comme une réunion mondaine plus ou moins restreinte où, avec une jovialité comprimée un moment, ils cherchent des yeux la personne à qui ils peuvent parler de leurs petites affaires … »
Mais que dire de cet adieu magnifique à cette grand'mère qui semble avoir tellement compté ? Rien, juste le lire et sentir l'émotion vous gagner :
« Maintenant (ses cheveux) étaient seuls à imposer la couronne de la vieillesse sur le visage redevenu jeune d'où avaient disparu les rides, les contractions, les empâtements, les tensions, les fléchissements que, depuis tant d'années, lui avait ajoutés la souffrance. Comme au temps lointain où ses parents lui avaient choisi un époux, elle avait les traits délicatement tracés par la pureté et la soumission, les joues brillantes d'une chaste espérance, d'un rêve de bonheur, même d'une innocente gaieté, que les années avaient peu à peu détruits. La vie en se retirant venait d'emporter les désillusions de la vie. Un sourire semblait posé sur les lèvres de ma grand'mère. Sur ce lit funèbre, la mort comme le sculpteur du Moyen Age, l'avait couchée sous l'apparence d'une jeune fille. »
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Curieux à dire, mais il se passe beaucoup de choses dans cet opus de la Recherche. Que ce soit la visite inopinée d'Albertine, la proposition ambiguë de Charlus, la découverte de l'identité de la maîtresse de St-Loup ou le rapprochement avec le duc et la duchesse de Guermantes, les surprises ne manquent pas et insufflent un certain rythme à cette lente et longue oeuvre. Sur le fond, cette autopsie de l'aristocratie m'a bien plu, captivé même par moments, sauf lorsqu'on tombe dans la généalogie aussi complexe, pour un néophyte du moins; mettons que je ne partage pas le plaisir esthétique que le narrateur affirme y trouver. Par contre, l'observation pointue du fonctionnement mondain du couple duc-duchesse m'a comblé et j'ai souvent souri à l'évocation des travers aristocratiques, ceux des Courvoisier particulièrement, mais pas que ceux-là.

Le narrateur continue de m'exaspérer par moments; au-delà de son jeu de cache-cache enfantin du début avec la duchesse, c'est son dédain affiché pour l'amitié, alors que sans amis il ne serait rien qu'un pur esprit philosophant dans le néant, qui m'agace. de même, il sublime l'art sous différente forme, mais n'en pratique aucun, se contentant d'errer d'un salon à l'autre, sans but précis, ballotté au gré des rencontres. Au moins, sa conception des femmes évolue lentement, encore que dans des directions discutables, et il réussit, pour une fois, à faire preuve de caractère lorsqu'il se fâche sous les insultes de Charlus. Il y a toujours cette écriture parfois magique, comme le dernier paragraphe sur sa grand-mère morte, qui illumine le récit et constitue en soi une bonne raison de se pencher sur cette oeuvre.
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3eme tome de la Recherche...

Pas beaucoup plus d'action que dans les 2 précédents tomes, mais tout autant de plaisir à le lire.
Comme dans une série Netflix, on y retrouve avec bonheur les personnages découverts dans les premiers tomes .
On commence à se repérer dans ce monde là et on progresse en apprenant à mieux les connaitre.
Beaucoup d'humour dans la description méticuleuse de ce milieu aristocratique aux relents d'antisémitisme et à la généalogie bien chargée, de somptueuses pages sur la maladie et la mort de la Grand Mère , personnage important pour le narrateur, une vue du milieu artistique de l'époque... Bref un vrai régal ! (Sauf peut être les pages nombreuses sur l'affaire Dreyfus qui m'ont tout de même un peu barbée...)

Je vais poursuivre mon long périple Proustien par le tome 4, en m'accordant une petite pause sur d'autres auteurs. .
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Je poursuis mon aventure proustienne avec "À la recherche du temps perdu, tome 3 : le côté de Guermantes". Je suis toujours sous le charme de la prose poétique de Marcel Proust même si ce troisième volume est moins surprenant puisque je me suis déjà installée dans son univers.

Le narrateur est en grand amoureux, cette fois-ci il tourne les yeux vers Oriane de Guermantes dont la finesse d'esprit est à la hauteur de ses réparties. Grâce à elle, les souvenirs d'amour lui reviennent.
Françoise vieillissante lui parle de cette grande famille des Guermantes dont il connaît l'histoire féodale du château qui a donné son nom au village.
Robert de Saint-Loup est l'ami qu'il fréquente, il est militaire et neveu de Madame de Guermantes. Ce n'est pas par hasard si l'armée est évoquée puisqu'un des sujets centraux du roman est l'actualité de l'affaire Dreyfus, la révision de son procès mais aussi l'antisémitisme ambiant et les divergences de vues.
Si le contexte politique est particulièrement intéressant, la richesse culturelle de l'époque est omniprésente grâce au théâtre, à la peinture, à la musique et surtout à la littérature avec de nombreuses références comme Balzac, Stendhal, Hugo, Zola ou Musset.
S'il insiste sur la différence entre la vieille aristocratie et celle de l'Empire, le narrateur fréquente les salons et soirées où les conversations sont souvent tournées vers la généalogie. On y croise la "race ancienne de l'aristocratie" comme le Baron de Charlus, beau-frère d'Oriane de Guermantes, neveu de Madame de Villeparisis, oncle de Saint-Loup, ainsi que la princesse de Parme et celle de Sagan (et là on a une petite pensée pour Françoise Sagan dont le nom de plume a été inspiré par Proust).

J'ai beaucoup aimé les anecdotes qui donnent des pointes d'humour au récit à l'ambiance mondaine, comme le coiffeur qui permet à Robert D avoir sa permission, le régime lacté lorsqu'on est malade ou les infidélités des uns et des autres. Mais le plus beau passage est celui mort de la grand-mère, il est si bien écrit qu'il est particulièrement émouvant.
Il va sans dire que j'ai hâte de poursuivre cette oeuvre passionnante.


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Je viens de terminer la troisième étape de mon voyage à La Recherche du Temps Perdu, le Côté de Guermantes.
J'ai appris, je crois, à lire Proust comme il aurait fallu que je le lise dès le début, c'est-à-dire lentement et avec un temps de relecture, une trentaine de pages journalières, bref, ainsi que le recommandait Nietzsche, de procéder comme les vaches, de "ruminer" le texte.
Plus encore que les précédents, est-ce parce que je suis maintenant au diapason de l'auteur, ce troisième tome m'a ébloui, par la beauté de sa construction et de son écriture, par la multiplicité de ses niveaux de lecture, et par toutes les sensations, sentiments, réflexions qu'il provoque. On y rit et on y pleure, et on sort de la lecture avec le sentiment nostalgique d'avoir parcouru un monde unique.

Le jeune narrateur y poursuit son chemin de vie, son parcours initiatique, en découvrant le monde aristocratique parisien, celui du faubourg Saint-Germain, (en fait Proust avait côtoyé celui du Faubourg Saint Honoré). Mais il découvre aussi l'amitié de Saint-Loup et la vie militaire, et aussi la sensualité dans sa relation avec Albertine. Enfin, il fera pour la première fois l'expérience douloureuse de la mort d'un proche, sa grand-mère bien aimée.

J'ai trouvé ce tome de la Recherche merveilleusement construit, mieux que les précédents. Cela me fait penser à un opéra, ou à un poème symphonique, dans lequel les trois tableaux majeurs sont deux scènes mondaines, celle du Salon de la Marquise de Villeparisis et celle, très longue, du Diner chez les Guermantes, qui encadrent l'épisode tragique de la maladie et de la mort de la grand-mère du narrateur qui termine Guermantes I et fait le début de Guermantes II.

Le "prologue" du roman est l'arrivée dans un appartement qui dépend l'hôtel du Duc et de la Duchesse de Guermantes, déménagement lié à l'état de la santé de la grand-mère du narrateur, et, comme souvent dans les prologues, on assiste aux réflexions du petit monde des domestiques, Françoise en tête.

Puis, lors d'une soirée au théâtre où le narrateur découvre enfin le talent de la Berma, voilà que la Duchesse de Guermantes lui fait un petit signe de la main! Il n'en faut pas plus pour que, comme toujours chez Proust, le désir et l'exaltation monte. Mais l'approche de la duchesse se révélant infructueuse, le narrateur décide de retrouver son ami Saint-Loup, neveu de la Duchesse, en garnison à Doncières, ville militaire pas très loin de Paris, afin de lui demander d'intervenir pour lui auprès de la Duchesse.

Le séjour à Doncières est un nouveau tableau d'une grande douceur, d'une grande sérénité, le seul de cette nature dans tout ce tome, marqué par l'amitié et les discussions sur la stratégie militaire ainsi que sur l'affaire Dreyfus, et une foule de détails délicieux sur les sons, le sommeil et les rêves etc..
Mais un appel téléphonique de la grand-mère lui procure un sombre pressentiment et précipite son retour où il a la vision quasi photographique de la détérioration de son état de santé.

Après un intermède où le narrateur rencontre son ami Saint-Loup et sa maîtresse Rachel, une comédienne avec laquelle la liaison est tumultueuse, prend place le premier grand tableau, le "five o'clock" chez la Marquise de Villeparisis.
Celle-ci prétend tenir un salon littéraire comme ceux des 17ème et 18ème siècle. D'ailleurs, ses Mémoires la feront passer, selon le narrateur, comme un des salons les plus brillants de la fin du 19eme siècle, qui ne manque pas de nous faire remarquer perfidement que beaucoup des personnes citées n'y sont pas venues, mais sans doute aussi nous montrer que la création littéraire compte plus que la réalité. Et voici que sont décrits, avec un humour gentil ou féroce, tous ces personnages souvent ridicules, la Marquise qui peint ses fleurs, l'ambigu diplomate de Norpois et son langage fleuri, l'arriviste et vulgaire Bloch, le prétentieux Legrandin, le Prince de von Faffenheim (qui dans la suite sera nommé le Prince Von!) qui sollicite le soutien de Mr de Norpois pour l'entrée à l'Institut, etc....et puis le Duc et la Duchesse de Guermantes, qui exécutent une première fois leur duo comique qui sera accompli au centuple lors de l'immense Soirée que nous verrons à la fin du roman. Tout ce petit monde factice évoque aussi le grand évènement du moment, l'Affaire Dreyfus.

A l'opposé de ce tableau de la futilité, le narrateur nous décrit maintenant, de façon très réaliste et sans épargner les détails, la maladie, l'agonie et la mort de sa grand-mère, dont on sait qu'elle furent en fait celles de sa mère. Comme quoi, pour paraphraser Paul Klee, le roman ne reproduit pas le réel, le roman rend réel aux yeux de l'esprit. On y voit la bêtise et l'absence de compassion de certains médecins, pas tous, les réactions de l'entourage, et puis l'agonie qui nous bouleverse, et la mort qui redonne à la grand-mère sa jeunesse.

Étrangement, à ce tableau et sans que l'on sache les sentiments du narrateur après cette épreuve, suit la visite d'Albertine, sorte d'intermède plutôt sensuel (ah, ce baiser sur la joue!) et mélancolique: en fait, le narrateur n'aime pas Albertine, et est attiré par Mme de Stermaria, à laquelle il a proposé un rendez-vous, mais qui finalement ne viendra pas (ô rage, ô désespoir!).

Un autre intermède d'une petite soirée chez la Marquise de Villeparisis, au cours de laquelle, ô miracle, la Duchesse de Guermantes invite le narrateur à un diner "en petit comité", puis après une soirée de l'amitié avec Saint-Loup et ses camarades militaires, voilà enfin le Diner chez le Duc et la Duchesse de Guermantes, le sommet de la description mondaine du roman, un long épisode qui en occupe le quart.
C'est un incroyable tableau que nous donne Proust de cette aristocratie, de ces Princes, Princesses, Ducs, Duchesses, Marquis, Marquises, etc..une bonne partie parents les uns des autres.
On s'y emploie, surtout la Duchesse de Guermantes, à qui le mari sert de faire-valoir, à faire des "bons mots", assez souvent vulgaires, à y dire beaucoup de méchancetés et de médisances, surtout à l'égard de celles et ceux qui ne sont pas là, à montrer en réalité, sous l'apparence du goût du paradoxe, un esprit bien réactionnaire et rétif à la nouveauté littéraire, picturale ou politique. le narrateur nous décrit avec précision, humour, ironie, ce monde désuet de la représentation, où chacun joue un rôle comme au théâtre (il est d'ailleurs frappant de constater que le monde du théâtre vienne en contrepoint dans le récit: la soirée théâtrale, où joue la Berma, la répétition de la tragédienne Rachel, maîtresse de Saint-Loup).
Et tout cela est parfois désopilant, par exemple lorsque nous sont exposés les manières de saluer des Guermantes et des Courvoisier, aristocrates ennemis, il le fait presqu'à la manière d'un ethnologue comparant les moeurs de deux tribus d'Amérique.

Mais aussi, chez Proust, il y a, bien sûr, plus d'un niveau de lecture.
Derrière cette description d'un monde clos où tout les nobles se connaissent et connaissent leurs parentés, filiations, généalogies, on sent que cette petite société aristocratique, qui cherche à reproduire les manières de l'Ancien Régime, sait qu'elle n'est plus qu'un vestige du passé, qu'elle ne compte plus pour grand chose. "Tout en chantant sur le mode mineur l'amour vainqueur et et la vie opportune" ces aristocrates sont "quasi-tristes sous leurs déguisements fantasques" (d'ailleurs le Duc et la Duchesse se précipiteront à un bal masqué à la fin du roman, échappant ainsi à Swann qui leur annonce sa maladie incurable). J'interprète ainsi la scène hystérique que fait le baron Charlus au narrateur, à qui il avait proposé d'être son mentor. J'y sens la rage désespérée d'un aristocrate à l'ascendance glorieuse de ne plus "compter".

Mais, plus que tout cela encore, j'en retiens que ces aristocrates réunis à diner chez la duchesse et le duc de Guermantes procurent au narrateur le "plaisir esthétique" et la nostalgie d'un monde perdu, car par leurs noms, leurs ascendances qui peuvent remonter jusqu'au Moyen Âge ils sont, en quelque sorte, les témoins vivants d'un passé glorieux et inaccessible.

En conclusion, à la fin de ce troisième tome, c'est la nostalgie qui l'emporte. La grand-mère est morte, Swann va mourir, et les aristocrates, dont la compagnie est bien décevante, ne valent que par le passé magique qu'ils représentent.
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Coup de 💝!!

Grâce à Babelio, je vois qu'il m'aura fallu 35 jours pour déguster ce chef d'oeuvre, à petites touches de 10 pages chaque matin, autant le soir. Un bonheur littéraire. Grâce à la recherche du temps perdu, Proust m'apprend une autre façon d'apprécier les écrits, cette fresque littéraire est une pure beauté. Une rééducation de la lecture, en tout cas pour moi.

Ce troisième volume est juste épatant. Il contient plein de tranches de vie, de réflexions, de sagesse, de l'ironie aussi, je n'ai pas vu le temps passer. A tel point que, le lisant en format kindle, j'ai été surprise de voir que je l'avais fini ! Voilà mon livre favori depuis le début.

Depuis que je suis sur Babelio, c'est la première fois que je partage autant d'extraits d'un livre, c'était irrésistible, tellement de vérité émane de ce bijou.

Je suis déjà prête pour la suite...

Bonnes lectures à vous !

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J'ai enfin terminé la lecture du 3eme tome de la recherche du temps perdu. Il s'en passe des choses ! le narrateur tombe amoureux de la duchesse de Guermantes alors que lui et les siens emménagent dans un appartement qui dépend de l'immeuble des Guermantes. Françoise, la gouvernante si on peut le dire ainsi se lie avec Jupin et les valets de pied de la duchesse. Albertine et le narrateur ont une relation physique mais l'amour pour la duchesse de Guermantes est trop fort... avant de se dégonfler comme un ballon de baudruche. L'ami présente sa maîtresse que le narrateur a connue prostituée et le baron de charlus a une attitude équivoque. Et n'oublions pas ce fait : la grand mère du narrateur tombe très malade et décède après avoir dû subir les diagnostics abracadabrants de certains médecins. Moment d'émotion intense.

Cependant, ce que je retiens de cette lecture est surtout l'humour voire l'ironie au regard de ce milieu aristocratique complètement déconnecté des réalités et qui se pense, de surcroît, intellectuel et intelligent. Foutaises !

Et surtout l'affaire Dreyfus bat son plein et chacun se positionne en fonction de ses positions : pro ou anti-dreyfusard.

En tout cas, le narrateur sorti de l'enfance et entrant dans cet entre- deux de jeune adulte se fait son idée, notamment du cercle mondain surfait.

J'ai encore une fois adoré cette lecture. Maintenant un essai pour changer d'univers et ensuite j'attaque le 4eme tome.

Proust est addictif 😀😀😀

Bonne soirée
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