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EAN : 9782204052610
338 pages
Le Cerf (06/03/1996)
3/5   1 notes
Résumé :
La liberté dont nous cherchons la nature, "beaucoup en ont la bouche pleine, mais peu l'ont dans l'esprit". Dante le regrette en ces mots. C'est que, le 7 mars 1277, lorsque l'évêque de Paris condamne une certaine idée de la liberté, il ne se doutait pas qu'il allait réussir : au début du XIVe siècle encore, personne n'ose plus la défendre à Paris ou ailleurs. Le présent essai met en lumière quelques évènements qui jalonnent cette histoire, dans le temps qui sépare ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Liberté

En 1200, la philosophie enseignée à Paris, à la Faculté des arts, sorte de propédeutisue - ou de classe préparatoire dirait-on aujourd'hui - aux études de droit, de médecine ou de théologue, est augustinienne. Constantinople est prise en 1204 par les Croisés. Les livres qui arrivent de cet autre monde sont trop nombreux pour les savants de Palerme, Naples ou Tolède : ils débordent jusqu'à Paris - qui ne tarde pas à agir. En 1210, l'archevêque Pierre de Corbeil interdit sous peine d'excommunication que l'on commente les livres de philosophie d'Aristote. En 1228, le pape Grégoire IX s'inquiète des effets sur l'évolution de l'enseignement de la théologie. En 1231, il exige que les livres d'Aristote passe d'abord entre les mains des théologiens pour en retirer les aberrations.
En 1245, le nouveau pape, Innocent IV rappelle la subordinations des arts libéraux à la théologie. En 1267, Bonaventure s'insurge contre l'aristotélisme et ses supercheries, bientôt suivi de Thomas d'Aquin qui dénonce l'averroïsme et Gilles de Rome qui établit en 1270 et réfute 95 thèses (déjà ?) aristotéliciennes incompatibles avec le christianisme. La sanction tombe, l'évêque de Paris Etienne Tempier condamne 13 propositions sous peine d'excommunication.

Mais rien n'y aura fait : Aristote plaît. Les enseignants de la Faculté des Arts y trouvent le moyen de faire carrière dans une occupation de découverte pour leur vie entière qui change du ressassement augustinien et leur permet de s'affranchir de la théologie. On lit Averroès depuis 1220 ; Roger Bacon enseigne publiquement la Physique d'Aristote dans les années 40 ; Albert le Grand remarque que ce sont des censeurs qui déjà avaient condamné Socrate ; en 1252, « La nation anglaise de la faculté des arts impose aux étudiants de suivre un cours au moins sur le traité de l'âme » ; jusqu'à cette décision de 1255 : « le règlement de la faculté des arts inscrit au programme obligatoire l'ensemble des oeuvres d'Aristote ». Tout l'inverse. C'est qu'il se produit en réalité à Paris ce qui s'était produit à Bagdad quelques siècles plus tôt.

Il est question de liberté. Cela posait problème. Personne ne nie l'existence du libre-arbitre, mais comment le définir ? Albert Legrand passe d'une proposition subordonnée à Augustin (« toute liberté vient de la volonté ») à une pensée strictement philosophique dissociée de la théologie : l'homme est maître de ses actes et la raison lui faire découvrir le monde et la nature. Siger de Brabant répond aux condamnations de 1270 et critique cette philosophie qui, par traditionalisme et dépendance à l'égard de la théologie, place la liberté sous la volonté. Cela n'est pas du goût de l'évêque de Paris pour qui la volonté humaine est toujours libre. Il lit chez Siger, à raison que la volonté peut être contrainte, mais à tort qu'il refuse à l'homme le libre-arbitre. Cette position, contraire à celle de l'Église pour qui l'homme doit être libre, fait de Siger un déterministe abhorré - et justifie que les condamnations de 1277 lui soient prioritairement adressées - pense-t-on.

L'accusation, on l'a vu, est infondée. La raison engage la volonté qui, si elle est contrainte, entraîne la liberté. Mais si elle n'est pas contrainte, elle trouve une opposante en la liberté. Celle-ci agit sur la raison qui forme la volonté. Ça ne plaît donc pas à l'Église qui préfère que la volonté domine la raison - pour subordonner la philosophie à la foi, là où Siger distingue la raison de la foi. Chez Thomas d'Aquin, philosophie et foi se distingue, mais la philosophie sans objet supérieur, sans foi, est vaine : « il vaut mieux aimer Dieu que le connaître ».

Mais à Strasbourg, les Franciscains recommandent de garder les textes de Thomas à l'abri des regards des profanes car l'ambiguïté y est telle qu'on aurait tôt fait d'en assimiler les thèses à celles condamnées par Tempier. Ainsi, aujourd'hui encore est répandue l'idée que c'est contre Thomas que Tempier a prononcé ses interdictions. L'ordre franciscain étant concerné, le travail de clarification engagé par Strasbourg traverse la Manche - et les condamnations de Tempier atteignent Oxford.

Pour Henri de Gand, l'intellect dont l'objet est la raison universelle est supérieur à la volonté dont l'objet est le bien, sauf si le bien se trouve dans un objet plus grand que l'homme lui-même : il faut alors élargir sa volonté jusqu'à le vouloir entièrrment et se fondre en lui. Vouloir Dieu, c'est plus grand qu'en déterminer la raison. Ce n'est plus vrai, rétorque Godefroid de Fontaines, plus radical que Thomas, si l'on considère que ce bien que veut la volonté en Dieu, c'est la perfection de l'acte d'intellection qui attire à lui la volonté : l'intellect est bien supérieur. Pour rappel, Siger de Brabant jugeait que les animaux ne sont pas libres car leur désir suit leur jugement qui n'est pas libre tandis que les hommes sont libres puisque leur volonté est attirée par leur libre jugement en ce qu'il n'est pas déterminé de nature mais par l'intellect. Ce que Henri complète : certes, mais la volonté humaine n'est pas plus libre que l'animale qui toutes deux suivent ce qui est jugé. La liberté n'est donc humaine que parce que l'homme peut choisir à quoi il applique son jugement au contraire de l'animal : le libre-arbitre n'est pas dans la volonté mais l'intellect.

Jean Damascène l'amène à modérer sa position : l'homme choisit librement les objets de son jugement mais, une fois les jugements énoncés, il peut encore choisir celui vers lequel il oriente sa volonté : « la liberté de juger (intellect) est dépendante de la liberté de choix (volonté) ». Il rejoint donc ici Thomas qui place la volonté au-dessus de l'intellect - et non seulement dans le cas où l'objet de la volonté est Dieu. Pour l'Église, ça ne fait de doute, si la raison était supérieure, Adam aurait suivi son jugement, qui lui vient de Dieu - et on n'aurait rien eu à lui reprocher. S'il a péché, c'est que sa raison était en désaccord avec la raison divine, et si tel était le cas c'est qu'il a voulu appliquer sa raison à de mauvais objets : le désordre de la raison vient d'un désordre de la volonté - et la volonté prime nécessairement la raison.

Pour Godefroid de Fontaines il se pourrait bien que le jugement humain ne soit pas entaché d'erreurs, puisqu'il n'est pas toujours appliqué à l'objet le meilleur, mais quand la valeur de l'objet de l'intellect, qui est action, sera la meilleure, la volonté qui nécessairement la suivra se confondra avec la nécessité. La volonté n'est pas autonome. En tous les cas pour Gilles de Rome, « personne ne niera le fait qu'il y a une connexion entre la malice de la volonté et un certain aveuglement de l'intellect ». Mais, donc, malgré toutes ces doctes réflexions qui se sont tenues depuis dix ans et depuis 1277, on n'en sait pas beaucoup plus...

Dante propose une explication de la liberté qui reprend Siger et Godefroid mais s'adresse aux laïcs plutôt qu'aux clercs : c'est une potentialité de dire « non » : « L'homme est libre parce qu'il suit la loi de la raison : il jouit de la capacité de dire « non » aux sollicitations immédiates, de retenir les désirs qui s'allument en lui sans lui, d'y mettre un frein ou de les juguler. Il faut, pour y parvenir, le discernement de la raison qui oriente l'appétit au sein de cet univers finalisé et dynamique qui invite par nature l'âme à retourner vers son principe, à retrouver la vraie cité ». La liberté humaine trouve donc aussi son chemin dans une organisation sociale, la monarchie, dont les lois aideront l'individu à refuser la nécessité de ses désirs. Cet élargissement social fait l'originalité de sa pensée.

Dès lors la question de la liberté qui était celle de la vérité, puisque la condamnation de l'intellectualisme en 1277 ne visait qu'à réaffirmer la précellence du dogme chrétien du péché originel, s'échappe du cercle étroit de la corporation qui pour ses propres besoins d'autoconservation la tenait enfermée et, en se détachant de sa dépendance à la morale, devient une question politique intéressée à la question du bonheur. le projet philosophique de la liberté est recomposé et s'ouvre aux siècles qui annoncent et préparent la modernité.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
D’après Avicenne, l’univers est organisé hiérarchiquement, selon un ordre de la nécessité croissante ; tout ce qui arrive est déterminé de façon telle qu’un effet produit par une cause qui en est la raison d’être suffisante : tout ce qui advient, tout événement contingent, trouve dans la cause qui le produit une raison nécessaire. Siger de Brabant a maintenu fermement cette axiome avicennien ; il a défendu une conception de la liberté humaine qui puisse s’insérer dans ce cadre métaphysique.
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Après plusieurs années passées à la Faculté des arts jusqu’à ce que la maîtrise lui donner d’accéder à une autre Faculté, un étudiant en doctrine sacrée devait suivre les cours de théologie ; âgé d’au moins 25 ans, il lisait ensuite l’Écriture Sainte (bacheliers biblique durant deux ans), commentait les sentences de Pierre Lombard durant deux nouvelles années (bacheliers sententiaire), puis participait avec le maître durant trois ans encore à la formation des étudiants (bacheliers formé). Ce n’est guère avant 35 ans qu’il pouvait donc espérer recevoir la « licence d’enseigner » par toute la terre.
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[Jean de Pouilly] avait été interrompu alors qu’il défendait l’idée que la volonté suit nécessairement le jugement de la raison. On ne comprend pas immédiatement comment une thèse apparemment mineure, une simple dispute sur les mérites respectifs de l’intellect et de la volonté, a pu susciter pareille contestation.
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Dante en effet est venu à la philosophie pour des raisons personnelles ; ce n’est pas qu’on n’y vienne jamais pour d’autres raisons, mais ce fait rappelle seulement qu’il n’a pas suivi ld cursus universitaire régulier.
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Le 23 novembre [1276 ], l’Inquisiteur de France cite à son tribunal trois maîtres de la Faculté des arts, dont Siger de Brabant : cette fois, ils ont à répondre du crime d’hérésie et son sommés de comparaître le 18 janvier 1277 au tribunal de l’Inquisition. On n’en sait pas davantage
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